Musk-Zuckerberg : sur les réseaux sociaux, les bons comptes font les bons ennemis

Ils avaient prévu de se battre dans un octogone, c’est finalement sur la Toile que le combat a lieu. La semaine dernière, le patron de Meta a lancé Threads en Europe pour concurrencer X.
(Crédits : © DORIANO STROLOGO POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

« Bienvenue sur votre fil ! Il est vide pour le moment, mais ne le restera pas très longtemps. » Il est 7 heures du matin jeudi en France quand les internautes découvrent une panne mondiale sur X (ex-Twitter), la plateforme d'Elon Musk. Pendant une heure, impossible de lire, publier, réagir. Pendant une heure, impossible de savoir - via X - ce qu'il se passe dans le monde ; le slogan « Les gens sur X sont les premiers à savoir » paraît anachronique. Une semaine après l'annonce d'une enquête lancée par l'UE contre la plateforme pour diffusion de fausses informations et contenus violents, les planètes semblent s'aligner pour son concurrent Threads dans cette guerre de la Toile. Pour autant, Threads n'est pas parfait, mais la nouvelle plateforme de Zuckerberg a-telle seulement les armes pour tuer X ? Si Threads n'a que quelques mois - le réseau a été lancé en juillet aux États-Unis -, le duel annoncé a déjà bien lieu.

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CONTENU PARTAGÉ

Threads veut être un « réseau social bienveillant » selon les mots de Mark Zuckerberg, une sorte de déclinaison d'Instagram mais davantage axé sur la conversation entre les internautes. Il faut d'ailleurs avoir un compte Instagram pour pouvoir poster sur Threads et le site vous propose de retrouver tous vos abonnés et vos abonnements. « C'est assez déroutant, explique Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l'université de Paris-Diderot, spécialisé dans les cultures numériques, on s'attend à retrouver les contenus de Twitter, mais on tombe sur ses abonnements Instagram. » Au premier abord, Threads ressemble effectivement beaucoup à X avec quelques nouveautés (les vocaux, très prisés des jeunes) et quelques manques (les messages privés sont inexistants). « Threads part avec beaucoup de retard, aujourd'hui tout se passe encore sur X, c'est toujours la prime au plus gros », explique Tristan Mendès France. Exemple frappant mardi dernier lors du vote de la loi immigration. Le Parlement enflamme X, des milliers de contenus sont partagés et Threads ramasse les miettes.

NOMBRE D'ABONNÉS

En valeur absolue, ce n'est pas comparable, Threads fait office de nain par rapport à X, mais les tendances sont intéressantes. Lancée le 14 décembre en Europe, l'application de Meta revendiquait 2,6 millions de téléchargements les trois premiers jours, dont 400 000 en France. Un bon démarrage, s'accordent à dire les experts. À l'inverse, X a perdu près de 10 % de ses abonnés en un an depuis l'arrivée d'Elon Musk. Selon Xavier Degraux, consultant en réseaux sociaux, la fuite devrait se tarir : « Tous les dégoûtés de X sont déjà partis. Même l'agenda politique de Musk, qui vire à l'extrême droite, n'a plus d'effet sur le nombre d'utilisateurs, il reste stable. » Cinq jours après son lancement en juillet dans une centaine de pays, Threads revendiquait 100 millions d'abonnés, quelques semaines plus tard, seules 10 millions de personnes se rendaient sur l'application chaque jour, loin des 225 millions de chez X.

DÉSINFORMATION ET CYBERHARCÈLEMENT

Les deux phénomènes ont explosé depuis le rachat de Twitter par Elon Musk. Retour de comptes complotistes suspendus, mise en avant par l'algorithme de contenus non vérifiés, présence de millions de robots sur la plateforme, « X agrège tout ce qui se fait de plus toxique sur les réseaux, c'est notamment le pôle d'attraction numéro 1 de la fachosphère » indique Tristan Mendès France. Pour le moment, Threads semble y échapper. « Les sujets clivants sont moins mis en avant, les commentaires sont donc moins violents. Pour le moment, il est plus question d'humour, de culture, de sport », constate Emmanuelle Patry, fondatrice de Social Medial Lab. « Aujourd'hui il y a un sentiment d'entre soi qui est rassurant, mais ce n'est qu'une illusion. La vague de toxicité n'a pas encore atteint les rivages de Threads, mais il n'y a aucune raison que Threads ne soit pas, à terme, victime des mêmes travers que X », poursuit Tristan Mendès France.

MODÉRATION

Parmi les nombreuses personnes licenciées par Musk lorsqu'il a racheté Twitter, ce sont probablement les modérateurs qui ont fait le plus parler. Aujourd'hui, les contenus sexuels, antisémites, racistes pullulent sur X sans être inquiétés, Musk se réfugiant derrière la sacro-sainte liberté d'expression. Sur Threads, rien de tout cela pour le moment, la modération rappelle celle d'Instagram avec en plus une méthode radicale : la censure de certains sujets sensibles. Si vous tapez « Covid » ou « vaccin » dans la barre de recherche, on vous renvoie vers le site du gouvernement ou sur celui de l'OMS, mais vous ne pourrez pas accéder à des conversations le mentionnant sur Threads.

PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES

C'est le sujet qui effraie le plus les observateurs avisés de Meta. Maison mère de Facebook, Instagram, WhatsApp et désormais Threads, Meta sait beaucoup de choses sur ses utilisateurs et sur leur comportement sur Internet. Une concentration qui inquiète Xavier Degraux : « Meta est aujourd'hui le plus gros aspirateur à données des Gafam en quantité et en qualité. Avec Threads, ils seront en capacité d'analyser très finement l'empreinte numérique de chaque utilisateur. » Des données précises et rares, donc chères. Il est trop tôt pour savoir qui d'Elon Musk ou de Mark Zuckerberg remportera cette guerre numérique, voire si Threads ou X ne pourront pas cohabiter. « Mais ce dont on peut être sûr, résume Xavier Degraux, c'est que le seul à pouvoir tuer X, c'est Threads. »

Deux géants et quelques nains

« Même si l'herbe n'est pas toujours plus verte ailleurs, le ciel est parfois... plus bleu! » C'est par ce message - publié sur X - que le commissaire européen Thierry Breton a enjoint aux internautes de le suivre sur Bluesky, un nouveau réseau social lancé en février 2023. L'initiateur de ce projet n'est autre que Jack Dorsey, le fondateur historique de Twitter. On y retrouve donc toutes les possibilités de Twitter, sauf celle de poster des vidéos. La modération est plus participative. Il y a davantage de signalements et les contenus haineux sont rares. Ce qui est nouveau, ce sont les différents fils d'actualité thématiques que l'internaute peut créer, nourrissant ainsi plusieurs algorithmes mais sans tout mélanger. Le problème, c'est que, pour le moment, Bluesky n'est accessible que sur invitation et le nombre d'abonnés est faible par rapport aux autres : 1,5 million dans le monde. Mastodon, autre alternative à X, revendique, lui, 14 millions d'inscrits à travers le monde, mais seuls 1,8 million de comptes sont actifs. Ce qui fait la singularité de Mastodon, c'est l'absence d'algorithme : n'apparaissent sur votre fil d'actualité que les publications de comptes que vous suivez, par ordre chronologique. Mais alors qu'il a été lancé en 2016, Mastodon n'a jamais vraiment percé, même après le rachat de Twitter par Musk. Un projet pourrait néanmoins relancer ces petits réseaux sociaux, le « fédivers ». Il ne s'agit pas d'un jeu de mots sur une histoire de meurtre, mais d'une contraction de « fédération » et d'« univers ». L'idée, lancée par Mark Zuckerberg, est de relier les réseaux sociaux, pour permettre de retrouver ses abonnés et ses contenus d'une plateforme à l'autre. Mastodon a déjà donné son accord, mais il est très peu probable qu'Elon Musk fasse un jour partie du projet.

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Commentaire 1
à écrit le 24/12/2023 à 9:19
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"pour diffusion de fausses informations et contenus violents" Ah oui tien une autre méga fake news avant internet c'était le charnier de Ceaucescu à Timisoara que les télévisions du monde nous ont exposé pendant plusieurs semaines et mois afin de nou...

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