Télécoms : l’inflation, une menace grandissante pour les opérateurs européens

L’augmentation des prix de l’énergie comme des matières premières constitue un défi de taille pour les opérateurs télécoms en Europe. L’inflation pousse leurs employés, qui ont perdu en pouvoir d’achat, à réclamer des hausses salariales. En parallèle, il apparaît difficile d’augmenter les prix des abonnements, au risque de perdre des clients dans un contexte de forte concurrence. Un casse-tête pour les opérateurs. A tel point que la hausse des coûts générée par l'inflation pour devenir un facteur de consolidation.
Pierre Manière
Les salariés de BT ont décidé de faire grève. Ils réclament une augmentation des salaires pour compenser l'inflation.
Les salariés de BT ont décidé de faire grève. Ils réclament une augmentation des salaires pour compenser l'inflation. (Crédits : Reuters)

Au Royaume-Uni, la nouvelle a fait l'effet d'une bombe. Vendredi dernier, les syndicats de BT, l'opérateur historique britannique, ont annoncé qu'ils feraient grève cet été. Deux débrayages sont prévus le 29 juillet et le premier août. S'il ne s'agit pas d'une première, cela faisait tout de même 35 ans que ce mastodonte des télécoms n'avait pas connu de grève. Les salariés réclament des augmentations pour faire face à une inflation galopante, qui a dépassé les 9%% outre-Manche en mai et pourrait atteindre 11% d'ici à la fin de l'année.

L'inflation apparaît désormais comme une menace grandissante pour les opérateurs télécoms du Vieux Continent. « La hausse des prix de l'énergie, des matières premières, et une série de chocs d'approvisionnement posent de nouveaux défis à ces acteurs », constate Moody's dans une note publiée le 13 juillet. Concrètement, « les opérateurs européens sont exposés à la hausse des coûts de main-d'œuvre, de l'énergie, et des baux [pour les sites d'antennes mobiles, Ndlr] qui représentent une part importante des dépenses et des recettes », précise l'agence de notation financière. Selon les prévisions, l'inflation pourrait s'élever en moyenne en 2022, à près de 5% en France, à 5,8% en Espagne, et à 6% en Allemagne comme en Italie.

Une augmentation des coûts de main d'oeuvre

Comme le confirme la grève chez BT, une « hausse aussi brutale de l'inflation » accroît mécaniquement « le risque d'affrontement avec les salariés », poursuit Moody's. Sur ce front, tous les opérateurs ne sont pas logés à la même enseigne. Chez les opérateurs historiques comme BT, Orange ou Deutsche Telekom, les salaires représentent « environ 20% des dépenses d'exploitation ou plus », relève l'agence de notation financière. La situation est très différente chez les opérateurs alternatifs. Chez Iliad (Free), les frais de personnels ne représentaient, en 2021, que 11% des dépenses d'exploitation. Quoi qu'il en soit, Moody's anticipe une augmentation des coûts de main-d'œuvre de 1% à 4% pour cette année.

Les opérateurs européens ne sont a priori que peu exposés à l'augmentation des prix de l'énergie. Ceux-ci représentent, en moyenne, 5% des coûts d'exploitation. Mais beaucoup de leurs sous-traitants, eux, en souffrent. Dans l'Hexagone, la filière du déploiement de la fibre, qui rassemble environ 40.000 personnes, est durement touchée par l'explosion des prix à la pompe. Ces employés avalent tous les jours des kilomètres à parcourir pour se rendre chez les clients et les raccorder. C'est la raison pour laquelle les entreprises du secteur appellent les opérateurs - et en premier lieu Orange, le premier donneur d'ordre - à indexer leurs contrats sur l'augmentation du coût de la vie.

Un renchérissement du déploiement des réseaux

De manière générale, l'inflation renchérit les grands projets d'infrastructure, à l'heure où les opérateurs européens investissent des milliards d'euros dans la fibre et la 5G. « En fin de compte, cela augmentera le coût du développement des réseaux, car il s'agit d'un mélange de main-d'œuvre et de technologie », souligne Moody's. Or si la France a presque fini de déployer la fibre, ce n'est pas le cas pour l'Allemagne, l'Italie ou le Royaume-Uni, où tout reste à faire... Dans ces pays, l'inflation devrait augmenter sensiblement la facture des déploiements.

Comment les opérateurs vont-ils réagir face à cette augmentation des coûts ? La réponse la plus évidente serait de la répercuter sur les prix des abonnements. Mais ce n'est pas si simple, au regard de la forte concurrence qui caractérise les principaux marchés européens. Augmenter les prix des abonnements téléphoniques et Internet fixe, c'est prendre le risque de voir ses fidèles filer à la concurrence. Cette menace est d'autant plus grande en cette période de baisse de pouvoir d'achat. « La question la plus pressante, à court terme, est de savoir si les opérateurs qui augmentent les prix seront confrontés à des taux de désabonnement plus élevés, ou s'ils réussiront à générer un revenu moyen par utilisateur (ARPU) durablement plus élevé », résume Moody's. L'agence s'attend, pour sa part, à une « compression des marges » si l'inflation demeure élevée en 2023.

L'inflation, un catalyseur de la consolidation ?

Dès lors, les opérateurs français, qui ont légèrement revu leurs tarifs à la hausse depuis 2021, vont-ils continuer en ce sens ? L'inflation va-t-elle mettre un coup d'arrêt à la stratégie du « more for more », consistant à augmenter progressivement les prix des forfaits en y ajoutant davantage de services ? Qu'en sera-t-il des nombreuses promotions qui pullulent sur le marché ? Pour préserver leurs abonnés existants, certains pourraient, par exemple, être tentés d'ajuster les dégriffes proposées aux nouveaux clients, plutôt que d'augmenter les tarifs pour leurs clients existants. Dans ce climat de fortes tensions sur le pouvoir d'achat, on peut même imaginer qu'un opérateur baisse brusquement ses prix pour siphonner rapidement des abonnés à ses concurrents...

L'inflation pourrait bien, à terme, pousser le secteur des télécoms européennes, aujourd'hui très fragmenté, à se consolider. « Cependant, les opérateurs qui tentent des opérations de fusion et d'acquisition ont souvent été confrontés à des défis réglementaires qui ont rendu la réalisation difficile », rappelle Moody's. Dans l'Hexagone, la perspective d'une consolidation semblait enterrée depuis 2018, où des informations de presse faisaient état d'un intérêt de Bouygues Telecom pour SFR, lequel sortait d'une période difficile. Depuis, le marché s'est depuis stabilisé. Mais les difficultés d'aujourd'hui pourraient bien, qui sait, raviver certains appétits.

Pierre Manière

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