Face à la hausse de leurs coûts de production, érodant leurs marges et leurs capacités d'investissement, les industriels du secteur agroalimentaire s'inquiètent et interpellent les pouvoirs publics depuis déjà plus d'un an. Mais en cette rentrée 2022, leur cri d'alerte se fait particulièrement perçant, allant jusqu'à évoquer des risques de ruptures de production.
"Nous sommes confrontés à une situation inédite depuis plus de 40 ans, à un véritable changement de paradigme pour nos chaînes d'approvisionnement alimentaire, fondées sur un monde stable et abondant en train de disparaître ", résume Dominique Chargé, président de La Coopération Agricole, qui réunit quelque 2200 coopératives agricoles et agroalimentaires françaises.
En cause, non seulement la crise sanitaire et ensuite la guerre en Ukraine, qui ont profondément bouleversé les flux et donc les prix des échanges mondiaux, mais aussi le réchauffement climatique et ses phénomènes météorologiques extrêmes, qui ces derniers mois ont affecté en France les rendements de certaines filières de l'agriculture. Résultat: une diminution de la disponibilité de matières premières, non seulement agricoles, et une inflation galopante qui déséquilibre profondément et sans cesse les comptes des industriels.
Le risque d'une raréfaction de certains produits des rayons
Depuis quelques mois, c'est notamment le "mur énergétique", "infranchissable", qui fait paniquer l'industrie agroalimentaire française, pour laquelle l'énergie pèse souvent lourdement sur les charges.
"Le géant des produits laitier Lactalis calcule qu'en 2023 sa facture énergétique doublera, en atteignant 1 milliard d'euros. Le groupe laitier Sill en prévoit une hausse de 800 % entre 2021 et 2023", note le président et directeur général de la Fédération nationale de l'industrie laitière (Fnil), François-Xavier Huard, en rappelant que "rien n'indique une stabilisation", bien au contraire.
"De tels déficits ne pourront pas être absorbés. Ils conduiront à l'arrêt d'unités de production", met en garde Dominique Chargé, en soulignant que dans certaines filières des mises au chômage technique ont déjà dû être opérées.
Mais lorsque les industriels transforment des produits périssables, toute interruption des flux entraîne un important gaspillage d'aliments, ainsi qu'un risque de raréfaction de certains produits des rayons, rappelle-t-il. D'autant plus que, pour certains producteurs, réduire les références pourrait être un moyen d'économiser de l'énergie, ajoute le président de La Coopération Agricole.
Un secteur demandant d'être reconnu comme d'intérêt général
Les industriels demandent donc l'aide des pouvoirs publics, dont les réponses jusqu'à présent ne sont pas considérées à la hauteur. Ils insistent notamment sur la nécessité que, en cas de rationnement de l'énergie, l'agroalimentaire en soit exonéré en tant que secteur répondant à l'intérêt général.
"Les industriels laitiers peuvent réduire leur consommation d'énergie d'au maximum 5% sans que cela ne perturbe leur activité. Au-delà, nous ne pouvons plus assurer la continuité de la collecte de lait", avertit François-Xavier Huard.
Ils demandent également une révision "rapide" des critères du dispositif d'aide aux entreprises pour lesquelles la facture d'électricité pèse plus de 3% du chiffre d'affaires, mis en place dès le printemps par le gouvernement. Lundi, sur RMC, la ministre déléguée aux PME, Olivia Grégoire, a reconnu que, en raison de sa complexité, "à peine 50 millions d'euros d'aides sur 3 milliards ont été décaissés". Elle en a donc promis une simplification.
La Coopération Agricole, à l'unisson avec la Fnil, réclame encore "la mise en place d'un bouclier énergétique plus efficace", pour que les entreprises de l'agroalimentaire soient protégées "au même titre que les particuliers". A plus long terme, les industriels souhaitent aussi davantage d'aides et des procédures plus simples pour investir dans la sobriété et dans la décarbonation de leurs activités.
Des négociations commerciales jugées comme plus adaptées
Le "changement de paradigme" auquel l'ensemble de la chaîne alimentaire est confrontée exige toutefois une "adaptation de tous ses acteurs", estime Dominique Chargé, en se référant en particulier à la grande distribution, accusée depuis des mois par les industriels de refuser leurs demandes de hausse de leurs tarifs.
"Depuis mars, nous avons obtenu à peine la moitié des augmentations que nous avons demandé aux distributeurs... et seulement quand les négociations aboutissent, ce qui n'est pas toujours le cas. Cela couvre juste les augmentations de la matière première agricole", calcule François-Xavier Huard.
Les industriels demandent donc désormais "l'indexation des coûts de l'énergie dans la
fixation des prix des produits alimentaires", ainsi que "la modification de la temporalité des négociations commerciales" -aujourd'hui régie par la loi qui fixe un rendez-vous annuel avec une échéance au 1er mars-, afin de "pouvoir rediscuter les tarifs en fonction de l'inflation ou de la déflation des coûts de production", plusieurs fois par an. Ils dénoncent également la longueur excessive des délais d'exécution par les distributeurs des tarifs nouvellement négociés, qui mettent les industriels dans des situations de trésorerie critiques, ainsi que l'abus de leur part des pénalités logistiques, nécessitant à leurs yeux un moratoire.
En appelant les distributeurs à faire preuve de "responsabilité" "non seulement vis-à-vis des consommateurs, mais aussi de leurs fournisseurs", La Coopération Agricole propose également l'élaboration, "en complément de la future loi sur l'orientation agricole", d'un "Pacte de souveraineté entre les acteurs de la filière alimentaire, les pouvoirs publics et les consommateurs". Elle espère qu'il permettrait d'adapter les chaînes d'approvisionnement au "nouveau paradigme", et d'assurer la rémunération de tous leurs acteurs.
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