Bâtiment : le "big bang" du BIM

[ #COP21 ] Grâce à la maquette numérique 3D partagée sur une plateforme collaborative, les acteurs d’un projet de construction vont accroître la qualité des ouvrages. Et baisser le coût de la construction d’un bâtiment ainsi que celui de son exploitation-maintenance.
Exemple de modélisation fonctionnelle d'un centre hospitalier.

Le monde du bâtiment enchaîne les révolutions. Avec la réglementation thermique 2012 (RT 2012), entrée en vigueur en 2011 pour le tertiaire et en 2013 pour le résidentiel, les constructions neuves ne doivent consommer que 50 kWh/m2/an. Ce qui a considérablement élevé le niveau d'exigence technique des chantiers de construction. À présent, le nouveau « Big Bang » pour la construction s'appelle BIM pour Building Information Modeling (modélisation des données du bâtiment).

En clair, il s'agit de « remodeler » en profondeur sa manière de concevoir, construire, exploiter et maintenir les bâtiments. Voire de les « déconstruire ». Le changement consiste à faire collaborer autour d'une maquette 3D centrale tous les acteurs du projet : maîtres d'ouvrage, gestionnaires de patrimoine, architectes, économistes de la construction, bureaux d'études (BE), industriels de la construction, entreprises générales de mise en œuvre, sous-traitants et artisans... Qui plus est, cette maquette numérique partagée sur une plateforme collaborative comporte la base de données de tous les éléments de construction (murs, portes, fenêtres, gaines de ventilation, isolants...) assortis de leur description (propriétés physiques et chimiques, performances thermiques, normes, prix...).

Pourquoi un tel effort ? Pour supprimer les 15 à 20 milliards d'euros de gaspillage annuels en France, dus à la non-qualité des ouvrages, estime l'Union nationale des syndicats français d'architectes (Unsfa). Pour y parvenir, il faut avoir une approche globale du projet de construction ou de rénovation qui va de la programmation à la conception, de la consultation à la réalisation jusqu'à l'exploitation-maintenance... avec une vision partagée entre tous les acteurs.

« Sur cinquante ans d'usage, les coûts d'un bâtiment sont de 3 % pour le montage du projet, 2 % pour la conception, 25 % pour les travaux et 70 % pour l'exploitation-maintenance, détaillait François Pélegrin, président d'honneur de l'Unsfa à l'occasion du dernier salon Passibat. Afin de réduire le coût de ce dernier poste, il faut revoir toute l'ingénierie globale du secteur. »

La maquette 3D numérique, un avantage absolu

« Le numérique pourrait aider à construire mieux, plus vite et moins cher. Les coûts des projets en conception-construction pourraient ainsi revenir de 5 % à 10 % moins cher, calcule Bertrand Delcambre, ambassadeur du numérique dans le bâtiment, auteur du rapport de la Mission numérique bâtiment et président du Plan de transition numérique dans le bâtiment (PTNB) soutenu par le gouvernement. À la clé, on peut également s'attendre à une diminution des délais de livraison des projets de 10 % à 15 %. Pour un chantier de vingt-quatre mois, on gagnerait entre trois et quatre mois. »

« L'intérêt de la maquette 3D commune du projet, c'est qu'elle s'enrichit grâce aux apports des différents intervenants sur l'ouvrage à tous les stades, soulève le président du PTNB qui dispose d'un budget de 20 millions d'euros, notamment pour accompagner les artisans du bâtiment dans cette démarche. Toutes les parties prenantes peuvent alors mieux représenter, anticiper et optimiser les choix à la fois techniques, économiques et organisationnels, tout au long de la vie de l'ouvrage. »

Reste que le BIM impose une intensification encore jamais vue de la phase de conception. En effet, la maquette numérique de l'architecte sera sans cesse améliorée et actualisée :

« L'économiste de la construction va détailler le descriptif technique, le bureau d'études va préciser les calculs de structures des murs et des fondations, et les entreprises vont envoyer leurs plans d'exécution. Tous ces éléments vont être intégrés à l'avatar 3D du bâtiment, expose Thierry Parinaud, architecte au cabinet Studio4 établi à Livilliers (Val-d'Oise) et vice-président de l'association Mediaconstruct. Avec la maquette 3D, on voit très rapidement les conflits potentiels qui peuvent survenir. Du coup, on évite le problème sur chantier, dès l'étape de conception. Il existe même des fonctions de détection automatique de conflits ! Ensuite, à l'exploitation-maintenance, la maquette numérique permettra de retrouver la description de la porte ou de la fenêtre qu'il faudra changer. »

Pas étonnant que les grands gestionnaires aient bien compris qu'un patrimoine outillé en maquette numérique sera mieux valorisé. D'ailleurs, les grandes entreprises s'y sont lancées il y a quelques années.

« Nous avons commencé le BIM en 2007. Deux ans plus tard, nous avons réalisé notre premier chantier tout en BIM et tous corps d'état pour l'hôpital de Surey au Canada. À présent, nous généralisons cette démarche », indique Trino Beltran, directeur innovation et partenariats de recherche chez Bouygues Construction, qui compte faire participer les TPE et PME artisanales du bâtiment à la démarche BIM.

Un investissement initial non négligeable

À condition, pour ces dernières, de pouvoir y mettre le prix. Et, sur ce terrain, rien n'est moins sûr. ArichCAD d'Abvent, Revit d'Autodesk, Allplan de Nemetschek, Bentley Station de Bentley... un logiciel d'architecture 2D revient à 800 euros. « Pour passer au BIM, il faut débourser 6. 000 euros ! », constate Thierry Parinaud. Même chose pour le BE structures, le BE thermique ou l'économiste de la construction...

« Le BIM intensifie l'effort de conception d'au moins 20 % car, virtuellement, le bâtiment est déjà construit avant de commencer le chantier, souligne Thibaut Robert, architecte associé au cabinet parisien Living and Building Archishop (L-BA), qui a reçu, dans la catégorie des chantiers de moins de 1.000 m2, le "BIM d'or'' 2014, organisé par notre confrère Le Moniteur. Le problème, c'est que la courbe des paiements ne tient pas compte de l'intensification des phases de conception. Cela plombe la trésorerie des petites structures. »

Ce qui n'empêche pas certains artisans pionniers de se mettre au BIM :

« Comme je travaille essentiellement en rénovation, je ne dispose pas forcément des plans et quand ils existent, ils sont rarement à jour, pointe Pierre Mas, artisan plombier-chauffagiste établie à Ramonville-Sainte-Agne (Haute-Garonne), près de Toulouse, qui utilise un télémètre laser. Avec cet outil, je fais des relevés en 3D et je crée directement une maquette numérique du logement. »

Il suffit ensuite de transmettre les données, via une liaison Bluetooth, à sa tablette tactile sur laquelle tourne le logiciel Archiwizard et il obtient une maquette 3D de son chantier de rénovation.

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GLOSSAIRE 
Le BIM (pour "Building Information Model", ou "modélisation des données du bâtiment") est une technologie associée à la maquette numérique qui permet de produire, communiquer et analyser les modèles de construction du bâtiment. Elle permet aussi un suivi dans le temps de la vie du bâtiment par tous les acteurs concernés, et donc de dégager des économies à terme dans l'entretien et la rénovation.

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ENCADRE

Un enjeu majeur pour les industriels du bâtiment

Les produits et éléments de construction fabriqués par les industriels vont se retrouver dans des catalogues numériques exploités par les outils du BIM. Pas question d'en être absent.

Techniquement, le développement du BIM passe par des bibliothèques numériques d'éléments de construction : parpaings, briques, carreaux de plâtre, blocs de portes et fenêtres, sanitaires... Soit plusieurs dizaines de milliers d'objets. Encore faut-il que ces bibliothèques soient interopérables d'un logiciel à un autre.

D'où l'intérêt du format de fichier IFC (Industry Foundation Classes) qui, labellisé ISO 16739 depuis mars 2013, standardise la description des objets (murs, fenêtres, espaces, poteaux, etc.), leurs caractéristiques et leurs relations au sein des logiciels d'architecture ou de conception/fabrication.

Mais cela reste insuffisant. À cet égard, la France prend de l'avance dans le monde avec une norme Afnor expérimentale (baptisée XP P07-150) qui cherche à garantir l'interopérabilité de deux types de dictionnaires : celui de produits génériques, sans marque, que l'on va utiliser dans les phases de conception ; et celui des catalogues de produits industriels commerciaux utilisables par la maquette numérique et le BIM après l'appel d'offres.

Chez les industriels, c'est la course : il faut absolument que tous les produits qu'ils vendent se retrouvent dans les catalogues commerciaux. Sous peine de disparaître ? C'est la question qui angoisse les artisans-fabricants.

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