LA TRIBUNE - Mistral s'est fortement mobilisé à l'automne dernier, avec le plein soutien de l'Etat français, pour atténuer les contraintes du règlement européen AI Act sur les grands modèles de langage. Or, l'entreprise était en train de construire son propre modèle fermé, dont elle vient d'annoncer la distribution par Microsoft. L'Etat était-il au courant des relations entre Mistral et Microsoft à ce moment-là ?
MARINA FERRARI - Non, nous n'avions pas connaissance des négociations commerciales de Mistral avec ses partenaires, qui sont par ailleurs soumises au secret des affaires. L'Etat français a pris ses positions sur l'AI Act non pas vis-à-vis de celles de Mistral, mais pour défendre l'intérêt général, par rapport à l'état du développement de l'IA dans notre pays.
Ceci dit, je trouve formidable qu'une jeune entreprise française réussisse un partenariat de cette ampleur avec Microsoft. Il faut donc se réjouir de cet accord. Grâce à la puissance de distribution de Microsoft, qui est l'un des leaders mondiaux du cloud et des logiciels d'entreprise, Mistral devient une vraie alternative à OpenAI sur Azure, le cloud de Microsoft, et ce au niveau mondial, ce qui est exactement ce dont la tech européenne a besoin.
N'est-il pas paradoxal de la part de Mistral de s'ériger en alternative française et souveraine aux Gafam dans l'intelligence artificielle, puis de confier la distribution pour l'heure exclusive de son nouveau modèle à Microsoft, et de lui faire une place dans son capital ?
La participation de Microsoft dans Mistral est très minoritaire, voire anecdotique [de 15 millions d'euros, Ndlr]. De plus, l'accord de distribution avec Microsoft n'est pas exclusif, et nous n'avons aucun doute que Mistral saura conclure des accords avec d'autres distributeurs, y compris européens.
Sur l'open source, Mistral a dit depuis longtemps qu'elle n'était pas sa seule stratégie, et qu'il lui faudrait adresser les différents marchés avec différentes solutions. Mistral fait face à un vrai enjeu de distribution de ses produits et a par ailleurs déjà signé des partenariats avec des intégrateurs informatiques [tels que Capgemini ou Artefact, Ndlr] pour déployer ses solutions open source.
Quid de la souveraineté européenne dans l'IA ? Mistral a été érigé en symbole de la capacité de l'Europe à faire émerger des géants de l'IA indépendants des Gafam, mais finit par être intégré à l'écosystème Microsoft...
Encore une fois, il faut plutôt se réjouir qu'une entreprise française réussisse à casser le duopole Microsoft/OpenAI dans l'intelligence artificielle générative. Cela renforce la souveraineté européenne car le marché aura accès à une solution française de la meilleure qualité.
Par ailleurs, il est très important que les grands modèles de langage intègrent les langues et la culture européennes. C'est une forte plus-value de Mistral, et c'est essentiel pour les entreprises et les citoyens européens.
Propos recueillis par Sylvain Rolland
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