Après trente ans de lutte, c'était, en 2022, l'une des victoires les plus importantes des pays du Sud, lors de la COP27 en Egypte : la création d'un fonds mondial « pertes et dommages » pour les aider à faire face aux dégâts irréversibles causés par l'accélération du changement climatique. Une mesure de « justice climatique », selon les diplomates de ces Etats, davantage impactés par les phénomènes climatiques extrêmes (inondations, cyclones, sécheresses, etc).
Mais si la création de ce fonds est bien actée sur le papier, ses modalités concrètes font en ce moment l'objet d'âpres débats dans les pré-négociations de la COP28, qui se tiendra du 30 novembre au 14 décembre aux Emirats-Arabes Unis. Quels pays doivent payer pour ce nouveau fonds ? Qui sont ceux qui en bénéficieront ? Où sera hébergé ce futur véhicule financier ? Telles sont les nombreuses questions qui font vibrer les murs feutrés de l'« Emirates Palace », fastueux complexe hôtelier aunds bord de la mer d'Abou Dhabi.
Des négociations qui patinent
Il y a deux semaines, un comité de transition sur l'établissement du fonds pertes et dommages se réunissait pour la quatrième fois en Egypte. Et celui-ci a mis au jour des lignes de fracture importantes. « Nous n'avons plus le temps », a déploré le président de la COP28, Sultan Al Jaber, via une vidéo aux délégués présents.
Dans une lettre récente aux parties prenantes de la prochaine conférence climat, celui qui est aussi ministre de l'Industrie et PDG de la compagnie pétrolière nationale des Emirats, a aussi déclaré : « Nous devons nous assurer que le nouveaux fonds » et que « les dispositions pour son financement soient opérationnels le plus tôt possible, de manière prioritaire ». Si 80% des modalités du fonds seraient actées et qu'une énième réunion cette semaine à Abou Dhabi est censée trancher les derniers débats, de nombreux observateurs des négociations sont encore dans l'expectative.
L'épineux débat des Etats financeurs et bénéficiaires
Plusieurs points font l'objet de désaccords. Un des premiers est la localisation du futur fonds. De nombreux pays en développement refusent qu'il soit hébergé par la Banque mondiale, accusée d'être aux mains des pays Occidentaux, ou trop influencée par l'agenda économique des Etats-Unis. Ces pays suggèrent plutôt la création d'une structure indépendante. Problème : la mise en place de cette dernière serait longue et donc complexe à abonder en argent frais.
La question des pays bénéficiaires fait aussi débat : les Etats-Unis plaident pour que cet argent ne bénéficie qu'aux pays les plus pauvres et vulnérables. Ce, alors que la Chine se positionne pour en être un potentiel destinataire, en tant qu'ancien pays émergents qui, d'un point de vue historique, n'est pas responsable du déclenchement du changement climatique. Une position remise en cause par l'Union européenne qui rappelle que la Chine est à ce jour un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre au monde. L'Inde et le Brésil font aussi l'objet de discussions sur le sujet.
Pour rappel, depuis les premières négociations climatiques en 1992, une distinction existe entre pays développés, historiquement responsables du changement du climat et pays en développement. De ce fait, les pays riches sont les premiers à financer les mécanismes d'aide. Un débat est aussi en cours sur qui seront les États financeurs du fonds : l'Arabie Saoudite insiste pour que la liste de donateurs soient restreintes aux seuls pays développés.
Flou sur le montant de l'enveloppe
Reste la question centrale du montant levé, d'autant plus que ses contributions seront à priori basées sur le volontariat. Une modalité défendue notamment par la France, mais contestée par plusieurs pays émergents du Sud. Ces derniers estiment qu'en tant que principaux responsables du dérèglement climatique, les nations riches du Nord ont l'obligation de payer pour les pays pauvres les plus impactés.
Selon une étude parue en 2018, qui fait référence sur la question, les pertes et dommages sont évalués entre 280 et 580 milliards par an d'ici 2030. Avec l'accélération actuelle des effets négatifs du changement climatique, certains experts affirment même que la facture pourrait aller au-delà. Celle-ci pourrait monter jusqu'à 1.700 milliards de dollars en 2050 dans les pays en développement.
Volonté politique remise en cause
La volonté politique des nations riches est aussi interrogée par les diplomaties des pays du Sud. En 2009, les puissances occidentales, parmi lesquelles figurent l'UE, les Etats-Unis ou encore la Grande-Bretagne, avaient promis de fournir 100 milliards de dollars pour financer l'adaptation au réchauffement climatique et les réductions d'émissions de CO2 dans les pays en développement, d'ici à 2020.
Mais ce montant n'a finalement atteint que 83 milliards de dollars selon une étude récente de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Un autre rapport des Nations unies publié ce jeudi atteste d'une même tendance : d'après celui-ci, le financement de l'adaptation aurait reculé de 15% en 2021 sur un an. Le déficit serait désormais compris entre 194 et 366 milliards d'euros par an.
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