Le verdict est tombé le 4 octobre. Le parc de huit éoliennes, qui devait sortir de terre dans la vallée de la Thironne chère à Marcel Proust, ne verra jamais le jour, malgré son emplacement au cœur d'une zone définie comme favorable à l'éolien par l'Etat. Au terme de trois ans de bras de fer entre l'entreprise normande JPEE, porteuse du projet, et la société des amis de l'écrivain, le Conseil d'Etat saisi par JPEE vient de donner raison à ses adversaires. La plus haute juridiction administrative a débouté le plaignant et confirmé le refus d'autorisation pris en 2020 par la préfète d'Eure-et-Loir de l'époque, suivant ainsi la décision prise par la cour d'appel de Versailles en 2022.
Dans leurs attendus, les juges considèrent en effet qu'il est possible pour un préfet de refuser un projet industriel en raison « des dimensions historiques, mémorielles, culturelles et notamment littéraires d'un paysage ». Ce faisant, le conseil d'Etat reprend à son compte les arguments avancés par les associations proustiennes. Celles-ci s'insurgeaient contre la proximité des éoliennes avec le village d'Illiers-Combray, immortalisé par Marcel Proust dans l'un des chapitres de « Du côté de Chez Swann ». Dans une pétition parrainée par le chroniqueur Stéphane Bern (par ailleurs détenteur d'une propriété historique en Eure-et-Loir), elles dénonçaient « l'encerclement et la profanation de l'un des plus célèbres paysages littéraires au monde ». Exit donc le parc dit « du Combray ».
Pour « quelques phrases dans un roman »
Au siège caennais de JPEE, on accuse le coup. « Quelques phrases dans un roman suffisent à signer la fin définitive d'un projet qui était situé dans une zone ventée, en bordure d'une autoroute, et soutenu par les deux communes concernées (Vieuvicq et Montigny-le-Chartif, ndlr) », commente dépité son directeur général. Joint par La Tribune, Xavier Nass s'inquiète par ailleurs « des conséquences potentielles pour toute la filière des renouvelables ».
En barrant la route à un parc éolien au motif de préserver un patrimoine historique (l'église d'Illiers-Combray, notamment), mais surtout littéraire, donc immatériel, le Conseil d'Etat adopte, en effet, une position inédite qui interpelle. Que penser par exemple des 72 éoliennes qu'EDF édifie en ce moment à une petite quinzaine de kilomètres au large des falaises Etretat si abondamment décrites par Maurice Leblanc par le truchement de son personnage devenu une icône planétaire, Arsène Lupin ? Et que dire des installations décarbonées qui poussent comme des primevères au printemps le long de la vallée de Seine, si bien immortalisée par les impressionnistes ?
Des paysages vitrifiés ?
Pour le patron de JPEE, le sujet soulevé par juges administratifs appelle à tout le moins un débat entre France Renouvelables (anciennement SER) et le ministère de la Transition énergétique. « Comment atteindre les objectifs fixés par l'Etat en matière de décarbonation dans un contexte où le paysage qui accueille les projets, doit rester figé comme vitrifié, au motif des dimensions patrimoniales et culturelles qu'il véhicule ? », s'interroge-t-il. Bonne question qui devrait agiter les juristes spécialistes de l'environnement pendant un moment.
A entendre Xavier Nass, la réponse sonne comme une évidence : « La principale menace pour nos paysages serait de ne rien faire à l'heure où le changement climatique affecte déjà et gravement notre patrimoine naturel et culturel ». En attendant « le dialogue apaisé » qu'il appelle de ses vœux, l'intéressé se donne quelques mois de réflexion avant, peut-être, de proposer un autre projet alternatif pour la vallée de la Thironne. Les aficionados de Marcel Proust peuvent encore dormir sur leurs deux oreilles.
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