Charlotte Rampling, l'œuvre au noir

En offrant trois de ses toiles au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, l’actrice révèle un refuge longtemps tenu secret.
(Crédits : "© LTD / HISTOIRES D’ART BETTINA PITTALUGA")

Charlotte Rampling est une force intranquille, une femme puissante qui avance, décide et doute, beaucoup. En questionnement perpétuel, la femme cherche, titube parfois, tombe aussi. Là, elle disparaît, ferme sa porte, se perd de vue. Reprendre le chemin d'elle-même peut prendre du temps. Dans ce cas, fini films, séances de photos, défilés de mode, remises de prix dans le monde entier, fini la représentation, l'affichage de soi. Rampling n'est pas dans la nécessité de paraître mais dans celle d'être. C'est sa force. Peindre est un chemin pour s'atteindre, se libérer, se confier.

Fondamentalement libre, indépendante, solitaire mais aimant aimer et être aimée, l'actrice décide de tout, avec intelligence, radicalité. Nul n'impose rien à Rampling. Charlotte s'en charge. Iconique mais pas monolithique, Rampling n'est enfermée dans rien. Élevée strictement par un père militaire et une mère qui peint, distante pour se protéger, la star est indomptable. Toujours en quête de sens et de vérité, cinéma, peinture ou vie, l'actrice ne joue pas. Elle essaie « juste » d'être au plus proche, au plus vrai d'elle-même, un chantier qui ne s'achève jamais. Quand Rampling choisit la lumière, le cinéma, ne pas se tromper : ce n'est pas pour la gloire, qu'elle tente de dompter depuis sa jeunesse.

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Peut-être fait-elle des films pour recevoir un peu d'amour, le non-point fort de ses parents. Elle joue probablement pour identifier, titiller, se délester de démons intérieurs pas nécessairement identifiés. Soixante ans de cinéma pour se connaître, se comprendre, C.R. n'a pas été douce avec elle-même. Dès ses premiers films devenus iconiques, Les Damnés de Visconti, Portier de nuit de Cavani, La Chair de l'orchidée de Chéreau, Charlotte choisit des films violents dont les personnages sont paradoxaux, à la frontière, en souffrance, en dilemme, comme Rampling. L'actrice est une équilibriste qui avance sur le fil de sa vie entre lumière et pénombre.

Lorsqu'elle peint, C.R. est l'unique limite de sa propre liberté

En période sombre, C.R. ne répond plus au reste du monde. Cela peut durer, un jour, des jours, plus longtemps. Nul ne sait ce qui se passe derrière la porte bien fermée de son appartement. De l'autre côté du rempart, on devine le murmure des pages de livres qui se tournent, le bourdonnement de notes de musique et, parfois, des bruits étranges. Celui de ses mains qui malaxent de la matière, la déposent, la grattent, la repoussent, tentent de l'apprivoiser. Quand C.R. peint, défense d'entrer. Pour un film, l'interprète Rampling n'est qu'un rouage exceptionnel. Lorsqu'elle peint, C.R. est l'unique limite de sa propre liberté. Libre ! Peint-elle pour cette raison ? C.R. ne le sait pas vraiment. Doute désarmant.

Elle peint quand ses mains, quand son être le réclament. Que peint-elle ? Le sait-elle ? Doute encore. Dans ses toiles : des apparitions énigmatiques, des fantômes, des formes incertaines, ceux qui hantent et nourrissent la femme-lumière. Rampling peint. Nul ne le savait jusqu'en 2023. Pendant vingt-cinq ans, la star s'est confiée à ses toiles, une par an, dans le secret. Un de ses amis a entraperçu son travail. Il en parle à Fabrice Hergott, patron du musée d'Art moderne de la Ville de Paris. Hergott est absorbé par le silence que les tableaux suggèrent, imposent. Ces derniers sont pour lui des trous noirs qui attirent et dévorent. Loin d'avoir peur, il adhère et propose une exposition. Rampling y croit à peine. Elle, dans un musée ?

Les offrir, c'est les quitter pour toujours

Certes, elle les fréquente avec un enthousiasme juvénile. Il faut voir la jeune fille qu'elle est encore glisser d'une salle à l'autre, freiner devant une toile, s'immobiliser, quitter la terre, écouter l'œuvre et ne plus pouvoir rien dire ensuite. Van Gogh, Munch, Giacometti, Hartung la hantent encore. Rampling exposée dans un musée, elle qui n'a jamais pris aucun cours de dessin ? Elle apprend en dévorant les livres d'art qui forment les colonnes magiques qui grimpent de son parquet jusqu'à en repousser les plafonds. Et le silence fut. Son exposition eut lieu en 2023, dans la pénombre, devant des visiteurs murmurants.

Des œuvres sorties des tréfonds de son âme non destinées à être montrées l'ont été. Un choc pour la créatrice qui vient de donner au musée trois œuvres, aujourd'hui dans les réserves. Les offrir, c'est les quitter pour toujours. La star attend devant l'entrée des réserves du musée. C.R. doit encore inscrire quelques informations au dos de ses toiles. Ensuite, c'est la séparation, définitive. Triste, Rampling ? Pas du tout. Enjouée, lumineuse, excitée, à l'affût comme elle l'est aussi souvent. Si elle est triste, elle le cache bien. Pudeur. Nous remettons nos pièces d'identité. Tessa Charlotte Rampling, née en Angleterre, tend son passeport, une des rares fois où son visage ne fait pas office de lève-barrières.

Une réserve ressemble un peu à un cimetière dont les morts ne le seraient pas, remis en vie pour être exposés. La peintre repère trois gisants, ses tableaux posés sur une table. C.R. est concentrée comme si on allait dire « moteur » et qu'il n'allait y avoir qu'une seule prise. C.R. ne pourra plus corriger les informations qu'elle va inscrire. Mais miss Rampling n'a pas de stylo. Désarmée ? Non, amusée. Commence alors un rodéo à travers les réserves pour en trouver un. C.R. découvre quelques chefs-d'œuvre de maîtres admirés, pas peu fière d'être bientôt rangée à leurs côtés. Retour devant la table des gisants. Rampling écrit ses mots d'adieu, dates, lieux où les œuvres ont été peintes. Voilà, c'est fini. Triste ? Pas encore.

C.R., déconcertante, fonce alors vers l'exposition consacrée à Jean Hélion. Le peintre a changé radicalement de style, abstrait, figuratif, fusionnant parfois les deux. Dérangée, C.R ? Non. Comment l'être par un peintre qui cherche, commence, recommence, déroute, transgresse comme elle l'a tant fait. Dehors, face à la Seine proche, C.R. s'adosse à un muret. Son visage change radicalement. Charlotte Rampling est déjà ailleurs.

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