Séries politiques : tous accros !

Filmer les coulisses du pouvoir permet aux diffuseurs de séduire un large public. Enquête sur ce genre atypique où fiction et réalité s’entrechoquent.
Dans la série « Sous contrôle », Léa Drucker incarne une directrice d’ONG propulsée au gouvernement.
Dans la série « Sous contrôle », Léa Drucker incarne une directrice d’ONG propulsée au gouvernement. (Crédits : latribune.fr)

C'EST L'HISTOIRE D'UN PARADOXE, résumé par Gaspard Gantzer : « La défiance à l'égard du pouvoir n'a jamais été aussi importante, l'abstention est à son plus haut niveau et, pourtant, les séries politiques cartonnent, constate l'ancien conseiller en communication de François Hollande à l'Élysée. Les gens veulent savoir ce qui se passe derrière la porte, ils sont fascinés. Je les comprends, car il y a tous les ingrédients d'un bon scénario : la conquête, les trahisons, et parfois la corruption et les scandales sexuels. » Les audiences des dernières séries politiques viennent appuyer sa démonstration. Le 5 octobre, 1,1 million de téléspectateurs étaient devant Arte pour savourer Sous contrôle, une farce irrésistible dans laquelle Léa Drucker incarne une directrice d'ONG propulsée ministre des Affaires étrangères le jour où des Français sont pris en otage au Sahel. Une excellente performance pour la chaîne franco-allemande à laquelle viennent s'ajouter 1,6 million de visionnages sur la plateforme Arte.tv, où le programme est disponible jusqu'à début décembre. Sur France.tv, c'est une autre série qui affole en ce moment les compteurs : Parlement. On y suit les aventures désopilantes de Samy, jeune collaborateur parlementaire plongé au cœur des institutions européennes. Les deux premières saisons ont déjà été vues plus de 5 millions de fois et la troisième, qui vient d'être lancée, se présente sous les meilleurs auspices.

Pour remonter à la genèse de ce phénomène, il faut traverser l'Atlantique et prendre la direction des États-Unis. Il y a vingt-cinq ans, une série s'impose là-bas comme le modèle du genre : À la Maison-Blanche (The West Wing). Concoctée par Aaron Sorkin et diffusée entre 1999 et 2006 sur NBC, elle serait même « insurpassable » à en croire Roselyne Bachelot, boulimique de séries politiques. « Je lui décerne mon oscar, s'enthousiasme l'ex-ministre. Ça n'a rien à voir avec House of Cards, qui ne vaut pas un cachou sur le plan politique. Ici, les 155 épisodes décrivent de manière extrêmement fine la façon dont fonctionne la présidence américaine. » Une analyse partagée par Emmanuel Taïeb, professeur de sciences politiques à Sciences-Po Lyon et fondateur de la revue Saison, consacrée aux séries. « À la Maison-Blanche représente une bascule. Son scénario est complexe, Aaron Sorkin avait l'ambition de parler à l'intelligence du spectateur. Et sur le plan idéologique, c'est une série équilibrée. Même si elle penche du côté démocrate, elle ne caricature pas les républicains. »

En France, dans la foulée, quelques fictions voient timidement le jour comme L'État de Grace en 2006 ou Les Hommes de l'ombre en 2012, qui explore l'univers des « spin doc-tors », ces communicants qui œuvrent en coulisses. Mais à l'époque, la machine peine à se lancer, à l'inverse de ce qu'on observe ailleurs, comme au Danemark où Borgen, une femme au pouvoir fait sensation en 2010. La faute aux diffuseurs hexagonaux, trop « frileux », déplore Fabienne Servan-Schreiber, productrice de Parlement : « On a pris un retard fou. C'est un sujet qui faisait très peur aux chaînes. Je me souviens qu'il y a vingt ans nous avions commencé à développer une comédie politique avec une chaîne privée. Nous étions en pleine écriture lorsqu'elle a tout arrêté subitement en prétextant que cela n'intéressait pas les gens... »

Mais en 2016, un événement rebat les cartes. À grand renfort de publicité, Canal+ lance Baron noir. Le public découvre les tribulations d'un ténor de la gauche sur fond de manipulation et de corruption. Le succès est immédiat. « La chaîne n'en voulait pourtant pas au départ, confie Emmanuel Taïeb. Elle considérait que c'était clivant. Les créateurs Éric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon ont dû faire des pieds et des mains pour la vendre. Ça n'est pas pour rien que Kad Merad a été choisi, il vient de l'humour et a un côté "rassurant". » La série est louée pour son aspect ultra-réaliste. Et pour cause ! « Éric Benzekri est un "insider", il a été collaborateur d'élus pendant de nombreuses années, indique Emmanuel Taïeb. Il a notamment travaillé avec Julien Dray et Jean-Luc Mélenchon. Il a "mangé" de la politique du matin au soir et connaît cette matière sur le bout des doigts. » Pour sa prochaine série - baptisée La Fièvre et portée par Benjamin Biolay -, Éric Benzekri fera des infidélités à la politique et explorera pour Canal+ le milieu du football. Mais avec tout de même au cœur de l'intrigue un « scan- dale qui oblige deux spin doctors à livrer un combat sans merci pour orienter l'opinion publique », peut-on lire dans le scénario. On ne se refait pas...

Et lorsque le créateur d'une série politique n'est pas du sérail, qu'à cela ne tienne, la production fait appel à des « experts » pour nourrir les intrigues ! Pour la série Parlement, Noé Debré s'est entouré de deux coauteurs au CV long comme le bras : Pierre Dorac et Maxime Calligaro. Le premier est fonctionnaire à la Commission européenne, le second conseiller politique auprès de députés européens. « Maxime a ses entrées partout, confie Noé Debré. C'est grâce à lui qu'on a pu se faire accréditer au Parlement de Strasbourg. Lors de la phase d'écriture, on se retrouvait là-bas avec nos badges visiteurs. On poussait les portes et on s'imprégnait de l'ambiance. On allait par exemple à la cantine parler avec des fonctionnaires. Ils nous ont raconté énormément d'anecdotes. C'est pour ça que la série est extrêmement documentée. Rien n'est vrai mais tout est réel. [Rires.] » Lors de cette saison 3, l'eurodéputée LFI Manon Aubry fait même une apparition, tout comme la commissaire européenne Margrethe Vestager. « Pour la saison 4, j'ai contacté Angela Merkel, mais j'attends encore son retour », s'amuse Noé Debré.

« Une fiction politique est juste quand elle est crédible, le téléspectateur ne s'y trompe pas », résume Charly Delwart, créateur et scénariste de Sous contrôle. Pour peaufiner sa comédie sur le Quai d'Orsay, ce grand admirateur du travail d'Armando Iannucci (In the Loop, Veep) a énormément potassé en amont. Surtout pour écrire la partie qui concerne la libération des otages. « J'ai lu beaucoup de récits de captivité, j'ai également consulté une personne qui a été officier de marine dans les forces spéciales, raconte-t-il. Après, on prend évidemment des libertés. On regroupe par exemple un aréopage de conseillers en un seul et même personnage. Dans Sous contrôle, Cléa, chargée de la communication du Quai d'Orsay, représente en vrai huit personnes ! »

Si la fiction prend ici le pas sur la réalité, il lui arrive parfois, à l'inverse, de l'anticiper. En juin 2021, Emmanuel Macron est giflé par un homme lors d'un déplacement dans la Drôme. Une séquence imaginée de manière prophétique dans Baron noir. « C'est totalement fou, glisse Gaspard Gantzer. Dans l'un des épisodes, la présidente Amélie Dorendeu [interprétée par Anna Mouglalis] reçoit elle aussi une gifle dans des circonstances extrêmement similaires. » Et s'il suffisait de regarder sa télé pour prédire l'avenir de nos dirigeants politiques ? ■

Une fiction politique est juste quand elle est crédible, le téléspectateur ne s'y trompe pas

Charly Delwart, créateur et scénariste de « Sous contrôle »

ÉDOUARD PHILIPPE ET GILLES BOYER JOUENT LES SCÉNARISTES POUR FRANCE 2

En 2024, la chaîne publique diffusera Dans l'ombre, un thriller politique en six épisodes. Une superproduction incarnée par Karin Viard et Melvil Poupaud. Sa particularité : elle a été coécrite par l'ancien Premier ministre et son compagnon de route de toujours, actuellement député européen. « C'est adapté du livre que nous avions publié en 2011, explique Gilles Boyer. Avec Édouard, nous nous sommes dit dès le départ que ça pouvait faire une bonne série télé. Ça raconte les coulisses d'une élection présidentielle à travers l'entourage d'un candidat : sa chargée de communication, un apparatchik, son directeur de campagne, le jeune qui s'occupe des réseaux sociaux ou encore la "plume" qui écrit ses discours. » Mais ne cherchez pas de ressemblance avec des personnages existants car « vous en seriez pour vos frais », s'amuse Gilles Boyer. Crédités au générique en tant que coscénaristes, les deux hommes ont également été associés à l'ensemble des étapes de la production comme le choix des décors ou le montage des épisodes, en cours. R. J.

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