Pour Emmanuel Macron, c'est un peu le sparadrap du capitaine Haddock. Celui que le chef de l'Etat n'arrive pas à décoller depuis sa première candidature à l'élection présidentielle il y a six ans. En février 2017, invité de RMC et de BFMTV, le « Marcheur » promettait, en cas de victoire, d'exonérer 80% des Français de la taxe d'habitation, malgré un coût pour l'Etat qu'il évaluait alors à 10 milliards d'euros.
Aussitôt dit, l'association des maires de France réagissait et qualifiait la proposition de « démagogique ». Son président François Baroin jugeait alors que 13 millions de foyers bénéficiaient déjà de dispositifs d'allègement, de dégrèvement, d'exonération ou de plafonnement. Pis, cette décision conduirait à une « perte » de 36% de leurs ressources.
Six mois plus tard, la mesure était inscrite dans la loi de finances 2018. Conformément à son engagement, un premier tiers des ménages des Français est concerné dès 2018. Le chef de l'Etat en profite pour annoncer aussi une réforme de la fiscalité locale en 2020.
Lire aussiLa taxe foncière explose (+51%, +25%...) dans certaines villes pour les propriétaires
2020, l'année où tout bascule
Sauf qu'en 2020, le Covid-19 bouscule l'agenda politique et, au premier chef, les élections municipales, dont le second tour est reporté de trois mois, en juin. A l'automne suivant, le congrès des maires, traditionnel raout où le chef de l'Etat vient se frotter aux élus locaux préférés des Français, est purement et simplement annulé pour cause de pandémie.
L'année suivante, en 2021, la grande réforme fiscale sort des écrans-radars, mais la compensation de la taxe d'habitation fait toujours débat porte de Versailles. En ouverture du congrès des maires, Philippe Laurent, alors président (UDI) de la commission des Finances, affirme que « la question n'est pas réglée ». Selon lui, 6.000 des 35.000 communes n'ont pas reçu la compensation promise par l'Etat « et ne la recevront pas ».
En clôture du congrès deux jours plus tard, le président Macron s'en défend et assure qu'« elle a été compensée conformément aux engagements à l'euro près ».
Lire aussiUn coup chef de l'Etat, un coup pré-candidat, Macron flatte et griffe les maires de France
Aujourd'hui, la question n'est pas réglée
Près de deux ans plus tard, la question n'est pas réglée. Pris à la gorge par les coûts de la crise sanitaire, les revalorisations des fonctionnaires territoriaux - décidées par le gouvernement - et l'explosion des prix de l'énergie, les maires ont en effet vu leurs dépenses de fonctionnement exploser en 2022 et en 2023.
Lors de leurs débats d'orientation budgétaire l'hiver dernier, puis lors des votes entre fin mars et mi-avril de leurs budgets à l'équilibre entre dépenses et recettes, les communes ont dû trouver des solutions pour faire face à l'inflation.
Faute de taxe d'habitation sur les résidences principales, 20% des exécutifs locaux - selon les chiffres de l'association des petites villes de France - ont ainsi décidé d'augmenter la taxe foncière, dont ne s'acquittent que les propriétaires. D'autant que cet impôt a mécaniquement crû de 7,1% en 2023 dans toutes les communes du fait d'une revalorisation des valeurs locatives cadastrales calculée par l'Insee à partir des indices des prix à la consommation entre novembre 2021 et novembre 2022.
Lire aussiImmobilier : pourquoi la taxe foncière augmente dans les grandes villes... et pas dans les campagnes
Les maires poussent une « contribution universelle »...
Depuis le 26 août, s'ajoute un décret du ministère du Logement autorisant 2.600 communes supplémentaires à majorer jusqu'à 60% de leur taxe d'habitation sur les résidences secondaires et étendant le champ d'application de la taxe annuelle sur les logements vacants à 1.100 autres communes. Ces 3.700 communes ont jusqu'au 1er janvier 2024 pour entériner ces décisions en conseil municipal.
Il n'empêche : malgré la revalorisation automatique de la taxe foncière et en dépit de ce décret, les maires ont coutume de dénoncer depuis le premier quinquennat du président Macron une « recentralisation de la fiscalité opérée par l'Etat ». L'association des maires de France (AMF) comme les petites villes (APVF), par exemple, défendent donc l'instauration d'une « contribution universelle », c'est-à-dire acquittée par tous pour financer les services publics.
« Cela peut être très minime et même dix euros par an pour les moins aisés », justifie André Laignel, premier vice-président délégué de l'AMF et président du Comité des finances locales.
Dans sa ville d'Issoudun (Indre), qui compte 60% de propriétaires et 40% de locataires, il reconnaît avoir augmenté la taxe foncière de 3%, mais la justifie du fait d'une explosion de sa facture d'électricité de 430% au 1er janvier 2023. Malgré l'amortisseur gouvernemental, la note reste encore salée : +298%.
« J'avais un trou de 1,2 million d'euros dans ma commune et de 1,4 million à l'intercommunalité », insiste André Laignel.
.... et Terra Nova, une contribution résidentielle
Autrement dit, le système fiscal local est « à bout de souffle » comme l'écrit, pour le think-tank Terra Nova, Claire Delpech, responsable du pôle Finances et fiscalité à l'association d'élus Intercommunalité de France.
« Alors que nos collectivités territoriales doivent financer la transition écologique, la rénovation thermique des bâtiments et la crise du logement, il faut raccrocher le lien avec nos concitoyens qui bénéficient et consomment nos services publics », déclare Claire Delpech.
Aussi propose-t-elle de rétablir une « contribution résidentielle » s'adressant à tous les contribuables résidant sur un même territoire, commune ou intercommunalité. La piste peut paraître contre-intuitive à l'heure de l'inflation, mais Claire Delpech se défend de créer une charge fiscale supplémentaire.
Si le gouvernement décidait de suivre cette idée, la contribution serait déductible de l'impôt sur le revenu pour les contribuables concernés et nulle pour les autres. Pour le budget de l'Etat, la perte d'impôt sur le revenu serait compensée par la baisse d'une dotation de compensation qu'il reverse aux collectivités. Quant aux collectivités, cette nouvelle recette viendrait remplacer la dotation de compensation l'Etat reversée aux collectivités.
Lire aussi« Dialogues de Bercy » : l'ombre du 49-3 plane sur le budget 2024
2 milliards de recettes pour le bloc local
Si et seulement si la mesure était inscrite dans le budget 2024, elle pourrait rapporter 2 milliards d'euros aux communes et aux intercommunalités. C'est 21 milliards d'euros de moins que les recettes de taxe d'habitation, avant réforme, mais cela représente quand même 10% des dépenses annuelles du bloc local en termes d'achats et de charges externes.
Un pourcentage qui peut paraître dérisoire, mais un nouvel impôt que Claire Delpech espère voir adopté dans la loi de finances ne serait-ce que pour que les élus locaux aient les « moyens financiers indispensables pour réussir les transitions énergétiques et sociales que l'on attend d'elles ».
Le discours ne passe pas dans la majorité présidentielle. Député Renaissance du Gers et rapporteur général du budget, Jean-René Cazeneuve estime que les élus locaux sont entièrement responsables des taux dans leur commune, ayant même la possibilité d'effacer la hausse de l'Etat de 7,1%. Les collectivités territoriales ont vu leurs recettes augmenter de 11% entre 2017 et 2022, illustre-t-il, Cour des Comptes en bandoulière.
La présentation du texte gouvernemental est, elle, prévue le 27 septembre en Conseil des ministres. Aux côtés de Bruno Le Maire, se tiendra Thomas Cazenave, le nouveau ministre des Comptes publics. Un Bordelais que les édiles connaissent bien. Juste avant d'être nommé dans l'équipe d'Elisabeth Borne, il présidait la délégation à la décentralisation et aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale.
Lire aussiThomas Cazenave : un député girondin proche de Macron nommé ministre des Comptes publics