Les pénuries de masques et de gel hydroalcoolique, le manque de lits d'hôpitaux, les urgences sous pression ont profondément heurté l'opinion publique en 2020. L'Etat français s'est retrouvé désarmé face aux conséquences dramatiques de la crise sanitaire en seulement quelques semaines.
En réponse, le gouvernement français a dû mettre en place des mesures drastiques de confinement parfois très mal acceptées par une partie de l'opinion publique. Les différentes mises sous cloche ont en outre plongé l'économie française dans une profonde léthargie. "Les pays qui ont dû mettre en place des politiques de confinement à la dernière minute faute d'anticipation, comme la France, en ont payé le prix économique le plus fort" expliquait l'économiste Eloi Laurent dans un entretien accordé à La Tribune. Cette gestion parfois jugée "erratique" a abîmé la confiance déjà dégradée des Français à l'égard des institutions, des gouvernements et des scientifiques révèle une note du Conseil d'analyse économique rendue publique ce mercredi. Afin d'éviter qu'un tel épisode ne se reproduise à l'avenir, les économistes Yann Algan et Daniel Cohen ont formulé une série de recommandations lors d'un point presse.
"Cette crise a d'abord été gouvernée par des facteurs exogènes comme le taux d'incidence ou le taux de vaccination. Le problème de coordination était lié à un problème de coopération des citoyens avec les autorités. Cette crise a permis de mesurer le niveau de cohésion sociale des populations. Elle augure sûrement d'autres crises du 21e siècle. Le choc sanitaire explique une grande partie de la récession économique", a déclaré Daniel Cohen, récemment nommé à la tête de la direction de l'École d'économie de Paris (Paris School of Economics).
Muscler les moyens de l'agence Santé publique France
"Trop cher", "pas assez efficace"... le système de santé a régulièrement fait l'objet de critiques et d'attaques de toutes parts ces dernières années. À cela s'ajoutent la compression des dépenses de santé dans les hôpitaux au profit de la médecine de ville, les suppressions de lits qui ont continué malgré la pandémie mondiale.
La multiplication des acteurs et la création de comités ad hoc a favorisé la complexité de la gestion de la crise. Au lieu de faire appel aux instances existantes, l'exécutif a rapidement mis en place un conseil scientifique chargé notamment de l'expertise au sommet de l'État. "Le système de santé français se caractérise en effet par une profonde « diversité institutionnelle », qui se manifeste dans la nature tant des institutions de son financement que dans celle de l'offre de soins qu'il propose", rappellent Algan et Cohen.
Les deux économistes préconisent, plutôt que de disséminer les organisations, de doter la France "d'une véritable institution de santé publique." Ils proposent pour cela de renforcer les moyens de l'agence de Santé publique France avec "des moyens accrus et un mandat clair centré sur l'expertise scientifique, la veille sanitaire et la gestion de crises relatives à la santé publique (coordination, données)". En revanche, si les deux auteurs ont une approche institutionnaliste de la santé, ils n'apportent pas plus de précisions sur les montants supplémentaires ou les moyens humains nécessaires.
Renforcer la confiance des citoyens
L'originalité de la note du centre de recherche rattaché à Matignon est qu'il pointe la défiance des Français à l'égard du gouvernement, défiance déjà très marquée avant la crise, comme le rappelait Yann Algan dans les colonnes de La Tribune. À titre de comparaison, les citoyens français sont seulement 40% à penser en avril 2020 que l'exécutif a bien géré la crise sanitaire, contre les trois quart de la population au Royaume-Uni, en Allemagne (voir aussi l'exemple de l'Espagne).
"Cette confiance [de la population] a un impact direct sur l'adhésion aux mesures restrictives et à la vaccination et sur le respect des règles de distanciation sociale et des gestes barrières", rappellent justement les économistes.
Pour tenter de restaurer cette confiance, l'organisme public recommande de "procéder à des évaluations de politiques publiques avec des données en temps réel. Établir une véritable politique publique des données de santé en levant les freins et désincitations [mécanismes qui découragent l'accès aux données, NDLR] à leur partage". Pour remédier en partie à ce problème, plusieurs initiatives citoyennes ont d'ailleurs émergé pendant la crise sanitaire pour assurer le suivi des indicateurs de l'épidémie ou de la vaccination.
> Lire aussi : Covid Tracker, Vite Ma Dose : Guillaume Rozier, le docteur français de l'open data
Gestion de la crise sanitaire : la France 28e, dans le bas du tableau
Pour tenter d'établir un classement des pays dans la gestion de la crise, les différents chercheurs qui ont contribué à la note ont construit un "indice de sacrifice"(*) à partir de données sur la mortalité et le produit intérieur brut. Selon cet indice, la France apparaît en bas de tableau, à la 28e position sur 38 pays recensés. Si l'Hexagone a fait mieux que l'Italie, l'Espagne ou le Royaume-Uni, elle reste en retrait par rapport à l'Allemagne par exemple.
"Les pays qui ont obtenu les meilleurs résultats sont surtout ceux qui ont réussi à mener une stratégie zéro Covid, en l'éradiquant très vite", indiquent les chercheurs.
Moral des Français: l'anxiété et la dépression en forte hausse
La pandémie a eu des répercussions délétères sur le moral des Français. Dans leurs travaux, les économistes rappellent que l'anxiété et la dépression ont fortement augmenté dans la population tricolore. Parmi les chiffres impressionnants, le taux de dépression frapperait une personne sur trois à l'automne 2021. Les jeunes figurent en première ligne depuis le début de la pandémie souligne le Conseil d'analyse économique.
"Le mal-être de la population est apparu comme une contrainte très forte de l'action publique à partir du quatrième trimestre. La tentative de repousser le troisième confinement porte la marque de celle-ci, il s'agissait tout autant de maintenir la santé mentale de la population française que d'éviter une nouvelle crise économique", expliquent les économistes.
Sur ce sujet sensible, les effets de la crise sanitaire sur le moral des Français risquent de se prolonger pendant encore longtemps.
___
NOTES
(*) À la manière des indices du développement humain, les auteurs ont créé un "indice de sacrifice" qui ajoute récession économique et surmortalité(**). Cette méthode s'inspire aussi de celle qui consistait, dans les années 1970, à ajouter taux de chômage et taux d'inflation pour mesurer la performance des pays.
(**)"Nous divisons en fait le taux de mortalité (par million d'habitants) par 100, de manière à rendre les deux paramètres santé et PIB à peu près équivalents en moyenne. Cela revient à considérer que la valeur implicite de la vie sauvée vaut 100 fois le revenu par habitant, soit environ 2 millions d'euros dans le cas français."