Réindustrialisation : la bataille à couteaux tirés des territoires pour attirer les usines

Depuis la présentation du projet de loi relatif à l'industrie verte, les élus locaux veulent jouer les premiers rôles dans la réindustrialisation du pays. De l'avis général, ils ont dû se professionnaliser, mais les communes, les intercommunalités, les régions, voire l'État, doivent jouer ensemble pour attirer les investisseurs. Décryptage.
César Armand
A Béthune, l'ancien site Bridgestone représente à lui seul 5% de la surface de la ville.
A Béthune, l'ancien site Bridgestone représente à lui seul 5% de la surface de la ville. (Crédits : Ville de Béthune - Ludovic DECLERCQ)

Qui seront les grands gagnants de la réindustrialisation du pays : L'État ? Les élus locaux ? Les entreprises ? Les employés ? C'est la question à plusieurs milliards d'euros que se posent tous les acteurs économiques et responsables politiques depuis l'annonce du projet de loi relatif à l'industrie verte.

Depuis le palais de l'Élysée, le président de la République a promis, mi-mai, de « territorialiser » la politique industrielle... jusqu'à ce que les ministres de l'Économie, Bruno Le Maire, de l'Industrie Roland Lescure et de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu, et leurs cabinets parlent davantage du rôle des préfets que de celui des élus locaux...

« Comme je suis moins radical que mes collègues présidents d'association, je crois au couple maire-préfet. Si cela peut accélérer les choses, il n'y a pas de raison de s'en priver. D'autant que les élus locaux sont les premiers à se plaindre que l'administration n'est ni réceptive, ni réactive... », grince Gil Avérous, maire de Châteauroux (Indre) et président (LR) de l'association Villes de France, qui représente les villes moyennes.

Vers un copilotage élus-État de « Territoires d'industrie » ?

Il n'empêche que le président (LR) des Intercommunalités de France, Sébastien Martin, persiste et signe. Fort de 149 territoires labellisés « Territoires d'industrie » s'étendant sur 550 intercommunalités, de 2.000 projets identifiés, de 43.000 emplois générés et de 8 milliards d'euros investis, il demande au gouvernement de copiloter le programme en question. À ce titre, il incite l'exécutif à réunir une assemblée générale des présidents d'intercommunalité concernés avant le 1er juillet.

« Cela n'ira dans la bonne direction que si nous gardons une logique ascendante avec une territorialisation des politiques industrielles. Sans nous, la réindustrialisation ne se fera pas », s'est époumoné, le 24 mai dernier, Sébastien Martin dans l'amphithéâtre du Muséum d'histoire naturelle.

Un discours que tient aussi... Arnaud Montebourg auprès de La Tribune« Pour réindustrialiser, il faut partir de l'idée que cela ne viendra ni de l'État seul, ni des investisseurs étrangers, mais des projets dans les cartons des PME qui ne sont pas financés du fait de patrons découragés », pointe l'ancien ministre du Redressement productif.

« Il faut un secteur bancaire qui finance, mais aujourd'hui, ce n'est pas le cas : ce dernier a entériné la désindustrialisation, car il considère que c'est dangereux, risqué et pas assez rentable. Si on n'a pas le système financier, on n'y arrivera pas ! », tonne encore Arnaud Montebourg.

Des territoires moins industrialisés par le passé

En réalité, les remontées de terrain montrent qu'« une industrie ne se construit pas à partir de rien, mais à partir de son histoire, de sa géographie, de la richesse de ses sols, de son histoire industrielle », souligne Caroline Granier, autrice d'une note baptisée « Refaire de l'industrie, un projet de territoire » pour La Fabrique de l'Industrie.

« Il est très difficile d'avoir une industrie sur un territoire qui n'en a pas l'histoire », appuie Stéphanie Pernod, 1ère vice-présidente (LR) de la région Auvergne-Rhône-Alpes, vice-présidente de la commission « Développement économique » des Régions de France.

Lire aussi« La souveraineté industrielle ne se construit pas depuis Paris » (Laurent Wauquiez)

 À Cognac (Charente), par exemple, après la crise économique du début des années 1990 qui a fait plonger leurs ventes, les professionnels, qui se transmettent leur savoir-faire de génération en génération, se sont diversifiés vers la production de gin ou de vodka.

« Aujourd'hui, un nouveau spiritueux sort tous les deux jours de la « Spirits Valley ». Nous avons réussi à nous projeter à 10, 15, 20 ans avec un programme de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences », se félicite le président (MoDem) du Grand Cognac, Jérôme Sourisseau.

Des élus locaux qui se sont professionnalisés

Autrement dit, les élus locaux doivent s'adapter eux-mêmes, et en permanence, à la nouvelle donne économique et financière de leur territoire. Faute de quoi, les industriels ne survivent pas ou peinent à prendre le virage productif qui convient.

« Nos interlocuteurs se sont professionnalisés. Plus que des gestionnaires de collectivités, ils sont devenus des acteurs économiques avec une vraie volonté affichée et offensive d'aménager leur territoire dans une logique de mieux-disant. Ils entrent de plus en plus dans le détail des caractéristiques techniques et des aspects économiques au-delà de l'emploi », confirme l'avocat Stéphane Illouz, associé en immobilier au cabinet Reed Smith.

D'autant que les territoires représentent près de 70% des emplois industriels, calcule Olivier Lluansi, associé chez PwC Strategy& et Senior Fellow à l'ESCP Paris. Il estime ainsi que le potentiel de réindustrialisation se partagerait à 50% entre les nouvelles filières soutenues par « France 2030 » et à 50% par le potentiel des acteurs territoriaux, comme les petites et moyennes industries.

Une envie d'industrie dans les territoires

En d'autres termes, près de 300 bassins de vie, répartis entre le programme de revitalisation « Action Cœur de ville » et bien sûr « Territoires d'industrie ». Les 30% restants se trouvant dans les grandes villes et métropoles.

« "Territoires d'industrie" a déjà révélé une véritable envie d'industrie dans les territoires et de créer de façon endogène des emplois à valeur ajoutée. Ils ont envie de se réapproprier un destin économique à valeur ajoutée, même si l'acceptabilité de l'industrie n'est pas toujours acquise », enchaîne Olivier Lluansi.

Et d'ajouter : « Néanmoins, les élus locaux n'en ont pas nécessairement les ressources. L'État doit leur laisser la main et leur confier ces moyens, notamment lorsqu'ils ont réussi à démontrer leur capacité à s'organiser ».

À Béthune, la Ville, l'agglo, la région et l'État autour de la table

La commune de Béthune (Pas-de-Calais) en est l'illustration. Dès le lendemain de l'annonce de la fermeture de l'usine Bridgestone en septembre 2020, la Ville, l'agglomération Béthune-Bruay, le conseil régional des Hauts-de-France et l'État ont acté une méthode : réaliser un point d'étape tous les lundis sur la reconversion des salariés et la reconfiguration du site de 30 hectares. Objectif, remettre le territoire dans un cycle d'attractivité et de production.

« Nous avons sondé 165 entreprises. Une sur douze a des projets », témoigne le maire et président (UDI) de l'intercommunalité Olivier Gacquerre.

Aucune région n'est à l'abri d'un départ précipité. Fin 2019, alors que le président de la République vient de communiquer sur l'abandon du projet Europacity dans le Val-d'Oise, Valérie Pécresse déplore que « Tesla [ait] hésité entre l'Île-de-France et Berlin pour implanter son usine géante, [mais que] quand ils ont vu [l'abandon d'] EuropaCity, ils sont partis en Allemagne ».

La présidente (LR) du conseil régional francilien décide alors de prendre les choses en main. Elle lance, en novembre 2020, 26 sites clés en main, dont 7 terrains avec du bâti neuf ou à réhabiliter, et 19 autres terrains vierges de toute implantation, où les industriels ont la possibilité d'avoir un site opérationnel en moins de deux ans. L'ensemble est préservé de tout recours, étant des terres apportées par l'État situées sur des opérations d'intérêt national.

L'Île-de-France et l'Auvergne-Rhône-Alpes en concurrence

Sauf que « le grand mouvement de réindustrialisation n'est pas parti aussi vite qu'on l'espérait », concède Lionel Grotto, le directeur général de l'agence d'attractivité Choose Paris RegionÀ date, la région-capitale est certes positionnée sur 44 projets industriels de plus de 40 emplois, dont 13 déjà gagnés qui représentent 1.300 emplois, mais 32 demeurent en concurrence avec d'autres régions qui représentent 8.700 emplois.

« Le gouvernement pousse Grenoble pour l'électronique, les Hauts-de-France pour les batteries, Marseille pour le cinéma, Bordeaux et Toulouse pour l'aéronautique... Il faudrait un discours moins univoque », juge Lionel Grotto.

Et de poursuivre : « Nous assistons surtout à une mondialisation de la mise en concurrence des territoires dans un contexte géopolitique où il faut être en Europe pour servir l'Europe », citant le choix du géant américain des semi-conducteurs Intel d'implanter à Paris-Saclay son centre européen de recherche et de développement d'ici à 2024.

Un leadership que l'Île-de-France dispute avec l'Auvergne-Rhône-Alpes. « Si nous sommes toutes les deux en tête de pont, c'est grâce à nos infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, le premier sujet que posent les investisseurs », souligne Stéphanie Pernod, 1ère vice-présidente (LR) de la région AuRA et vice-présidente de la commission « Développement économique » de Régions de France.

Des critères essentiels

Elle ne croit pas si bien dire. Pour le président de la Chambre de commerce et d'industrie CCI France, Alain di Crescenzo, plusieurs critères essentiels, dont celui-ci, priment sur le reste pour réussir une opération de relocalisation/réindustrialisation.

Outre la multimodalité, le patron érige ainsi la localisation de pays frontaliers, la présence d'un écosystème de PME-ETI-multinationales clients et fournisseurs, l'existence de centres de formation et de R&D en leviers indispensables, mais aussi et surtout, des aides territoriales efficaces sur le plan local, une densité de population élevée et bien sûr des disponibilités foncières à faible coût. Une équation à plusieurs inconnues qu'il n'est pas simple de résoudre, et encore moins chacun dans son coin.

César Armand
Commentaires 15
à écrit le 22/07/2023 à 13:48
Signaler
Les politiques, après avoir " dégueulés" des lois de complexifications tout azimut depuis 20 ans. Dégueulent aujourd'hui de lois de simplifications dans tous les domaines ou les lobbies sévissent ! Rassurez vous le citoyen lambda ne pourra pas en pr...

à écrit le 21/07/2023 à 18:31
Signaler
Holà! On se calme! Y'en aura pour tout le monde!

le 22/07/2023 à 8:43
Signaler
avec des des pipé comment expliquer que deux entreprise ait choisi les haut de france et par un choix du mystere les deux reviennes dans l'aube et sans proposition direct sauf un grand hasard ou un maire deplait pour ne pas dire ennemie au presi...

à écrit le 21/07/2023 à 11:12
Signaler
Pour l'instant les grands gagnants de la prétendue réindustrialisation de la France sont l'Italie, l'Espagne, le Portugal (voir l'article sur Ranna), la Pologne et tous les pays plus compétitifs et avec des systèmes sociaux moins coûteux que le nôtre...

le 21/07/2023 à 21:35
Signaler
A ceci près que ce sera de la production bas de gamme à faible marge, l''atout de l'Espagne et de l'Italie étant un réservoir de jeunes mal formés et au chômage, mais s'il se résorbe, les salariés demanderont des augmentation de salaires ou bien part...

le 21/07/2023 à 23:01
Signaler
@o. Qu'est-ce qu'il ne faut pas lire sur un forum français: :l''atout de l'Espagne et de l'Italie étant un réservoir de jeunes mal formés et au chômage". Vous sortez du pays de temps en temps ou est-ce le chauvinisme qui parle? La France est déjà con...

le 22/07/2023 à 21:55
Signaler
@Raymond : vous apportez plutôt de l'eau à mon moulin en parlant du Bac dans la mesure où en France, un chômeur sur deux ne l'a pas... Mais pour revenir à l'Espagne et à l'Italie, elles savent former des profils prometteurs, mais sont incapables de l...

à écrit le 21/07/2023 à 10:15
Signaler
Quelle différence entre l'exécutif les pouvoirs locaux aucun tout cela n'est que de la sauce politique La seule certitude que la re-industrialidation sera un gouffre financier à la charge des citoyens. La France politique nationale où régionale n'es...

le 21/07/2023 à 21:50
Signaler
En fait, le développement de l'industrie française était déjà un gouffre financier car il était en fait intimement lié à l'effort de guerre en 14/18 et c'était ensuite rassurant d'avoir des usines sous la main des fois que, qu'elles soient rentables ...

à écrit le 21/07/2023 à 9:53
Signaler
Ça tombe bien, personne ne veut venir... faut arrêter de croire qu'on met les gens dehors sous les insultes et que quand on a de nouveau besoin d'eux ils reviennent se faire insultet par les hypertolerants... français schizophrènes

le 21/07/2023 à 11:44
Signaler
Beaucoup de mes collegues coreens me demandent si je ne souhaite pas revenir pour implanter en France la societe de sm, J'ai beau tenter de leur expliquer qu'il est hors de question de faire semblable demarche, ils ne comprennent pas que l'image ide...

à écrit le 21/07/2023 à 9:43
Signaler
La réindustrialisation va être très compliquée avec les écologistes. Il n'y a qu'à voir l'exemple de Bridor à Rennes. «Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre 10 ans, voire certainement davantage, pour que notre projet industriel aboutisse ! (....

à écrit le 21/07/2023 à 9:34
Signaler
Bienvenue en France où les grèves à répétition vous attendent les bras ouverts, où les syndicats politisés ne tarderont pas à handicaper votre appareil productif; un pays d'accueil où l'on peut ranger une bibliothèque dans le seul code du travail et ...

à écrit le 21/07/2023 à 9:25
Signaler
Nous avions une belle industrie pourquoi actuellement nous n'avons plus rien, industriellement nous sommes presque au niveau zéro, un grand Bravo.. Ce qui est perdu est perdu. Pire nous nous reposons sur nos acquis (centrale nucléaire) et dans trente...

à écrit le 21/07/2023 à 8:38
Signaler
Aïe...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.