"Territoires d'industrie" : le dispositif gouvernemental revu et corrigé par les élus locaux

Lancé en novembre 2018, le programme "Territoires d'industrie" est censé être co-piloté par les collectivités territoriales et l'État avec 1 milliard d'euros sur la table. Sauf que "l'État a trop recours aux appels à projets", s'agacent les intercommunalités. Les régions sont, elles aussi, sévères. Explications.
César Armand
(Crédits : Wolfgang Rattay)

Article publié le 12.05.2022 à 19h53, mis à jour le 13.05.2022 à 9h15 à la suite d'une réponse du ministère de l'Industrie

C'est un objet politique et économique hybride comme l'Administration et le gouvernement savent en produire. Un programme lancé quelques semaines après le début de la crise des "Gilets jaunes". Un dispositif né avant le début de la Covid-19, et qui continue de se déployer aujourd'hui: "Territoires d'industrie".

« Il n'y a pas de grande puissance économique sans grande puissance industrielle », avait déclamé, lors de son lancement le 22 novembre 2018, le Premier ministre, d'alors Édouard Philippe.

L'actuel maire du Havre avait ajouté:

« Pour la première fois depuis dix ans, les entreprises recréent des emplois industriels en France [et] la France est le pays qui a accueilli en 2017 le plus d'investissements industriels étrangers en Europe, [mais] il n'y a pas de quoi fanfaronner. »

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Un milliard d'euros sur la table

A rebours de la loi de Modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) en 2014 et la loi portant Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRé) en 2015 votés sous le quinquennat de François Hollande, cette initiative privilégie la "France périphérique" et non "la France urbaine". "Celle où justement s'expriment avec le plus de force, la colère et l'inquiétude", avait souligné le locataire de Matignon.

Trois ans et demi plus tard, l'Etat assure que les 146 "Territoires d'industrie" sont à l'origine de 1.800 projets à l'échelle de 543 intercommunalités (coopérations de commune, Ndlr). Sur le papier, le pilotage est décentralisé, les projets étant "gérés et animés" par les acteurs locaux - industriels, maires, présidents d'intercommunalité - et "pilotés" au niveau du conseil régional.

Près d'un milliard d'euros se trouvent sur la table via trois opérateurs: la Banque des territoires (groupe Caisse des Dépôts) pour l'ingénierie, l'immobilier industriel ou le foncier, Business France pour l'attractivité et l'export, et la banque publique d'investissement Bpifrance.

Pour les intercommunalités, "l'Etat a trop recours aux appels à projets"

Sur le terrain, le bilan est plus nuancé. Certes, le plan "France Relance" de 100 milliards d'euros de septembre 2020 est venu abonder le dispositif initial, mais les intercommunalités et les régions expriment des réserves. Sur une ligne positive, l'association Intercommunalités de France accompagne sa critique de "Territoires d'industrie", avec des propositions d'amélioration.

Sur leur site Internet, les intercommunalités se félicitent ainsi que l'initiative ait permis de concevoir des réponses directes aux besoins des industriels locaux à plusieurs niveaux: "renforcer l'attractivité des métiers industriels, décarboner un processus de production, faciliter la mobilité dans les zones industrielles, moderniser un site d'activité industrielle, favoriser l'émergence de formations sur le territoire, etc.".

"Le plan de relance, en abondant ces plans d'actions de manière inédite, a permis de concrétiser un certain nombre de projets territoriaux avec des créations d'emplois directs à la clef : les 1.416 lauréats du fonds de soutien à l'investissement industriel dans les territoires prévoient la création de plus de 27.000 emplois", ajoute l'association Intercommunalités de France.

Elles appellent donc à "pérenniser" le programme, mais en revoyant le mode de gouvernance. Les intercommunalités demandent en effet à recentrer le programme sur les stratégies territoriales pour apporter des réponses "sur-mesure" aux besoins des industriels. Elles reprochent à l'Etat de "trop recourir" aux appels à projets nationaux.

Les régions sont, elles aussi, sévères

Une rengaine entendue quels que soient les élus et quel que soit le dispositif impulsé depuis Paris, et même venant de la part de la région Île-de-France. En théorie, les conseils régionaux sont en effet censés piloter "Territoires d'industrie". En pratique, leur porte-parole se révèle très sévère avec le dispositif.

"C'était une belle promesse dans un contexte économique et politique différent [d'avant crise sanitaire, Ndlr], mais le programme n'a jamais été co-construit avec nous car l'Etat s'est empêtré dans ses méandres administratifs", déclare à La Tribune Stéphanie Pernod, vice-présidente de la commission "Développement économique" de Régions de France.

A la suite de la publication de cet article, le ministère de l'Industrie fait part à La Tribune de son étonnement.

 "On travaille avec tous les cabinets des présidents de région et tous les projets sont pris en co-décision. Dire que le programme n'est pas construit avec les élus est donc un mensonge", affirme-t-on.

Lors du premier anniversaire de "France Relance" en septembre 2021, le Premier ministre annonce par ailleurs une rallonge de 150 millions d'euros supplémentaires pour "Territoires d'industrie". Sauf qu'une fois convoqués à Bercy par la ministre de l'Industrie Agnès Pannier-Runacher et la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités locales Jacqueline Gourault, les élus seraient tombés de de leur chaise.

"L'Auvergne-Rhône-Alpes ne représente pas 43% de la richesse du pays"

A ce moment-là, les ministres annoncent aux présidents des conseils régionaux que sur les 150 millions d'euros annoncés, 10 millions d'euros sont alors réservés à un appel à projet "Compétences 4.0" lancé en novembre 2021 qui vise à soutenir des projets industriels qui veulent monter ensemble des centres de formation dans chaque région. Les 40 millions d'euros restants sont, eux, fléchés vers le dispositif d'ingénierie baptisé "Choc industriel" qui vise à réindustrialiser les territoires qui ont grandement souffert d'une fermeture d'usine.

"Les territoires soutenus sont là aussi co-identifiés avec les régions. Ces 50 millions d'euros bénéficient directement à l'économie régionale", assure-t-on au ministère.

Il reste donc 100 millions d'euros pour les régions, mais là encore, cela se complique. Selon Stéphanie Pernod, première vice-présidente (LR) de la région Auvergne-Rhône-Alpes, l'Etat central n'a en effet écouté ni les élus locaux ni ses administrations déconcentrées. D'après elle, le conseil régional et la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS, ex-DIRECCTE) s'étaient mis d'accord pour demander 43 millions. Ils en obtenu... 10.

"L'Auvergne-Rhône-Alpes ne représente pas 43% de la richesse du pays et n'a pas touché 10 mais 14 millions d'euros. Elle est la première bénéficiaire et d'assez loin, la deuxième région n'ayant touché "que" 9 millions d'euros", réplique-t-on au ministère de l'Industrie. "L'objectif est bien que chaque région puisse être soutenue dans ses projets, de manière équilibrée, et que la réindustrialisation soit soutenue partout en France", insiste-t-on encore.

César Armand

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