Sécurité économique : Bercy, agence matrimoniale pour les entreprises françaises stratégiques ? (4/5)

Quatrième volet de la série sur la sécurité économique : le Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques ne se contente pas de bloquer des opérations. Il cherche également des solutions financières pour aider les entreprises ayant besoin de financements en allant contacter des investisseurs bien sous tous rapports.
Michel Cabirol
« Nous ne sommes pas une agence matrimoniale mais nous accompagnons certaines d'entre elles dans la recherche de financeurs français qu'elles peuvent ne pas avoir identifiés » (Joffrey Célestin-Urbain)
« Nous ne sommes pas une agence matrimoniale mais nous accompagnons certaines d'entre elles dans la recherche de financeurs français qu'elles peuvent ne pas avoir identifiés » (Joffrey Célestin-Urbain) (Crédits : Reuters)

C'est une mission méconnue du Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE), un service du ministère de l'Économie créé il y a dix ans (2016) : trouver un investisseur alternatif à une société française prête à se faire racheter par une entreprise extra-communautaire mise à l'index par le SISSE pour des raisons de sécurité économique. « Le SISSE ne se contente pas que de bloquer, il offre une solution aux entreprises dans certains cas. Toutefois, nous ne réussissons pas à tous les coups », explique le chef du SISSE, Joffrey Célestin-Urbain. Pourquoi une telle démarche ? Le SISSE a conscience que ses refus motivés pour des questions de souveraineté peuvent détruire de la valeur et freiner le développement des entreprises françaises concernées.

Le déclic du SISSE

Le déclic est notamment venu à la suite du cas d'une PME stratégique dans la filière électronique, qui avait un besoin de financement et voulait s'ouvrir le marché asiatique. Et forcément, elle intéresse un fonds d'investissement extrême-oriental, jugé trop proche des intérêts d'un État suspect pour ses opérations de prédation. Alerte rouge vif pour le SISSE, qui n'identifie pas non plus d'entreprise française substituable à cette PME dans la chaîne de valeurs. Le dossier finit par atterrir sur le bureau du ministre de l'Économie qui met un veto à l'issue d'une procédure Investissements étrangers en France (IEF).

« Il y a parfois une position assez simpliste, qui estime que les pépites technologiques doivent être protégées en les isolant, quitte à bloquer leur développement et financement. C'est la pire des erreurs. Nos concurrents n'attendent pas », avait expliqué dans une interview accordée en 2020 à La Tribune le PDG de Kalray Eric Baissus.

Dépitée par la tournure de son dossier, la PME se retourne alors vers le SISSE, en lui expliquant que ce veto ne règle pas son problème de financement et sa volonté de se développer en Asie. Une problématique que le SISSE tente désormais de prendre en compte. « On s'est dit qu'il nous manquait un outil pour accompagner cette PME après le refus. Et on s'est posé la question : comment gère-t-on l'après blocage avec ces entreprises ? », analyse-t-il. Pour aider cette PME, le SISSE a finalement positionné le fonds French public Tech Souveraineté (FTS), créé à la suite de la crise du Covid et doté de 650 millions d'euros. Et l'histoire se finit même très bien : l'arrivée de FTS dans le capital de cette PME a permis de monter un nouveau tour de table équilibré avec un actionnaire historique et un nouvel entrant.

Anticiper au maximum

Dans cet esprit, le SISSE a fait passer ces derniers mois des messages très clairs aux acteurs du monde de la finance française (banquiers d'affaires, avocats, fonds d'investissements) et du monde des startups. Objectif : discuter très en amont pour organiser une opération de sortie acceptable pour les équipes du SISSE, qui met en relation des sociétés stratégiques avec certains fonds d'investissement avec qui il a déjà travaillé. Car « plus nous anticipons, plus le champ des options est large », avait expliqué en mars Joffrey Célestin-Urbain à l'Assemblée nationale.

« Notre valeur ajoutée est de faire matcher startup stratégiques et investisseurs. Nous ne sommes pas une agence matrimoniale mais nous accompagnons certaines d'entre elles dans la recherche de financeurs français qu'elles peuvent ne pas avoir identifiés ». C'est d'ailleurs à l'agent, qui s'est occupé de traiter l'alerte (menace de prédation), de faire aussi ce job. « Pour nous, cela fait partie du traitement d'une alerte. Les agents sont en mode projet intégral, qui est notre marque de fabrique », précise Joffrey Célestin-Urbain.

Les fonds publics en dernier ressort

Dans le cadre de cette stratégie, le SISSE, qui s'est pris au jeu, souhaite que cette mission prenne un peu plus d'envergure et y met un peu de moyens. Au-delà, le SISSE sollicite en premier lieu les acteurs privés, dont « les industriels français lorsqu'il y en a, ce qui n'est pas le cas dans tous les secteurs », avait-il expliqué aux députés. Encore faut-il que les industriels soient également intéressés. Ainsi, dans le cas de Photonis, ni Safran, ni Thales n'ont souhaité s'engager comme l'État leur a pourtant instamment demandé.

Le SISSE entretient par ailleurs de plus en plus de contacts avec les fonds d'investissements en leur demandant entre autres discrètement de leur montrer leur portefeuille d'actifs et de communiquer le calendrier de sortie pour pouvoir anticiper des solutions en amont. Tout cela à bas bruit. Mais, parfois, le SISSE doit dans l'urgence faire le tour des investisseurs potentiels dans l'urgence dans le cadre d'une procédure IEF. Il n'a plus que trente puis quarante-cinq jours pour réagir, ce qui est très peu pour trouver des alternatives de financement françaises. Résultat, « cela n'est pas toujours couronné de succès, notamment parce que nos délais sont souvent très contraints, avait-il précisé à l'Assemblée nationale. Mais au moins cela nous permet-il de faire le tour de toutes les alternatives ».

Les fonds publics n'ont vocation à intervenir qu'« en dernier ressort », avait-il souligné en mars dernier. En revanche, le SISSE travaille avec Bpifrance dans la mesure où il constitue un véhicule d'investissement pour l'État. Piloté par Bpifrance, le fonds FTS permet à l'État de prendre des participations dans des entreprises technologiques françaises vulnérables ayant des besoins de financement. La présence de Bpifrance dans FTS tend d'ailleurs à rassurer les fonds privés ou des industriels et à les inciter à investir. Et la présence de FTS peut catalyser un tour de table jusqu'ici en souffrance. En revanche, avait noté à l'Assemblée nationale Joffrey Célestin-Urbain, « il n'est certes pas toujours avantageux que l'État entre au capital : il a des revendications et l'équilibre est délicat entre la liberté entrepreneuriale et la souveraineté ».

La souveraineté n'a pas de prix

En dépit de ses efforts, le SISSE rencontre des difficultés pour monter des tours de table ou susciter l'intérêt financier du vendeur. Ainsi, la désindustrialisation de la France ne favorise pas la politique de sécurité économique. « Inversement la politique de réindustrialisation du gouvernement renforcera notre bouclier de protection », avait estimé Joffrey Célestin-Urbain devant les parlementaires.

Par ailleurs, dans le cas de la vente de Photonis, le fonds Ardian avait trouvé en Teledyne un investisseur miracle prêt à investir 550 millions de dollars pour racheter cette PME bordelaise. Après le veto de l'État à cette ventele fonds HLD a racheté Photonis pour environ 370 millions d'euros. Ardian a pu se sentir à juste titre floué par ce refus de l'État français. « Cela ne me dérange pas de détruire de la valeur si on en crée pour le compte de la souveraineté, qui est en quelque sorte une valeur cachée, qui est bien réelle à défaut d'être monétisée », assume Joffrey Célestin-Urbain.

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Lire ou relire les trois premiers volets de la série sur la sécurité économique :

Vers un record de menaces étrangères sur les entreprises françaises en 2023 (1/5)

Comment Bercy protège les laboratoires français devenus la proie des puissances étrangères (2/5)

Sécurité économique : des fonds activistes aujourd'hui sous surveillance (3/5)

Michel Cabirol
Commentaires 2
à écrit le 06/11/2023 à 12:42
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bercy : Agence stratégique de financement des copains avec nos impôts? la fifa. a paris, paradis fiscal financé par la plèbe? un état stato financier qui au regard des résultats, donne de l'argent, mais il semble que le tonneau des danaïdes va s...

à écrit le 06/11/2023 à 11:15
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Encore un manière d'utiliser les service de l’État pour remercier les copains et les encourager pour que rien ne change ! ;-)

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