
Un site bourré de charme et un programme ambitieux de reconquête urbaine... De prime abord, l'horizon semblait dégagé pour l'écoquartier dit du « Nouveau Bassin ». Au terme de dix ans d'études détaillées, il devait voir le jour sur la presqu'île de Caen à portée de vue de plusieurs équipements culturels et à un jet de pierre du centre-ville. Plus précisément, sur une friche portuaire de 40 hectares bordée au Nord par le canal de Caen à la mer et au sud par le fleuve côtier de l'Orne. Un petit coin de paradis en somme.
Jusqu'il y a quelques semaines, la communauté urbaine prévoyait d'y construire un ensemble de 2.500 logements aux meilleurs standards environnementaux et de 35.000 mètres carré de locaux d'activités : restaurants au bord de l'eau, commerces, petites entreprises.... Le tout desservi par le tramway, parcouru par plus de 4 kilomètres de voies cyclables, maillé par une cinquantaine de jardins ou d'ilots de fraicheur et protégé des vents par 18 kilomètres de haies bocagères. Bref, le type même de quartier où il fait bon vivre.
Confiant, l'exécutif de l'agglomération avait attribué, au printemps dernier, les premiers lots à bâtir à deux groupements -l'un emmené par le Normand Guérin Promotion, l'autre par Eiffage- en vue d'une pose de la première pierre en 2025 : l'année de la célébration du millénaire de la cité de Guillaume le Conquérant. C'était sans compter sur le changement climatique et les dernières prévisions du GIEC.
Coup d'arrêt
Le groupement international des experts sur le climat a, en effet, réactualisé en début d'année ses calculs sur la montée du niveau des mers. Corroborées en France par les analyses du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), elles sont alarmantes. Suffisamment pour que Joël Bruneau, maire de Caen et président de la communauté urbaine, se résolve à tout stopper net, la mort dans l'âme, dans l'attente des conclusions de nouvelles études de simulation hydraulique. Lesquelles ne sont pas espérées avant au moins deux ans. « J'ai agi en responsabilité pour ne pas créer un défi supplémentaire pour les générations futures », explique l'édile.
Le programme prenait pourtant en compte les risques d'inondations et de fortes marées comme l'avait noté le commissaire-enquêteur après l'enquête publique. « Le projet intègre dans sa conception la gestion des aléas », écrivait-il dans son rapport publié en fin d'année dernière. Couloirs d'écoulement des eaux, rez-de-chaussée rehaussés de plus d'un mètre, bâtiments sur pilotis... Le quartier était taillé pour résister à des événements majeurs. Mais quid du quotidien ? Ville de fond d'estuaire comme Nantes, Rouen ou Bordeaux, Caen est mécaniquement soumise au marnage. La hauteur du canal qui relie la ville à la mer peut varier de 2 à 4 mètres à chaque marée. Autrement dit, une élévation du niveau de la Manche telle que nous l'annonce désormais le GIEC est susceptible de l'impacter beaucoup plus souvent qu'autrefois.
« On sait gérer un mètre d'eau pendant une semaine. Mais qu'adviendra t-il si le quartier est recouvert de plusieurs centimètres d'eau pendant trois ou quatre mois ? », s'interroge tout haut Joël Bruneau.
Difficile d'imaginer des quais et des rues baignant dans des marécages boueux plusieurs semaines durant. D'où la décision conjointe de la communauté urbaine et de l'aménageur, la Société publique locale de la presqu'île (SPLA), de renvoyer les pelleteuses au garage. Mais aussi de reporter « sans doute après 2028 » la réalisation de la ligne de tramway qui devait desservir la ZAC du Nouveau Bassin. A la SPLA, on admet que le couperet n'a pas été facile à manier. « Il faut que nous fassions notre deuil mais si nous n'avions pas agi, on aurait subi », souligne Thibaud Tiercelet, son directeur.
Des constructions revues à la baisse
Le projet va donc être repensé à l'aune des résultats des études hydrauliques. A ce stade, toutes les options sont sur la table. Création de digues de protection, remodelage des terrains, nouveaux principes constructifs, urbanisme transitoire... Joël Bruneau n'exclut aucune hypothèse mais concède que l'ambition devra être revue à la baisse. « Il faut être lucide. Cela va sans doute nous amener à diminuer la constructibilité », explique t-il.
Chez les promoteurs qui -heureusement- n'avaient pas encore acquis formellement les terrains, on se montre compréhensif. « Nous étions très heureux de cette opportunité mais cela nous semble une décision raisonnable. Au vu des projections à 100 ans, il était difficile pour les élus de s'en laver les mains », commente l'architecte Laurent Lehman, co-fondateur du cabinet parisien E&L qui devait embarquer dans le programme aux côtés d'Eiffage.
Pour Thibaud Tiercelet, la remise en cause du projet restera comme un cas d'école. « Ce que le GIEC nous apprend, c'est que le cadre technique figé de gestion des risques dans lequel nous évoluons doit être repensé », théorise t-il. Les orateurs du sommet des pôles qui se tient cette semaine à Paris n'y trouveront rien à redire.
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