« Nous annonçons un désengagement massif de l'amont pétrolier et gazier et les moyens d'y parvenir » (Antoine Sire, BNP Paribas)

BNP Paribas présente ce jeudi une version actualisée de son plan d'alignement pour le climat. Antoine Sire, responsable de l'Engagement d'entreprise de la banque dévoile pour La Tribune les principaux objectifs et surtout les moyens qui seront mis en oeuvre pour parvenir à décarboner son bilan. L'engagement est fort : BNP Paribas n'accordera notamment aucun financement dédié au développement de nouvelles capacités pétrolières et gazières, quelles que soient les modalités de financement. Un changement de monde que les ONG ne manqueront pas de vérifier dans les détails.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE- Comment expliquez-vous que BNP Paribas soit toujours au centre des controverses environnementales, notamment selon de nombreuses ONG, dans son soutien au développement des énergies fossiles ?

ANTOINE SIRE- Il y a deux manières d'aborder la finance durable. Il y a une manière consistant à l'aborder par ses lacunes, qui est fréquente aujourd'hui. Et comme la finance durable est une activité relativement récente, elle est nécessairement encore imparfaite et lacunaire. Il y a également une autre manière, celle consistant à regarder le verre à moitié plein. Et dans ce verre, il se passe beaucoup de choses, comme par exemple, le fait que nous avons désormais un objectif de 150 milliards d'euros pour les crédits à impact, qui n'existaient pas il y a six ans ! Il faut quand même bien mesurer le chemin parcouru en quelques années. Cela ne rend pas toute la finance durable parfaite mais cela représente une transformation en profondeur. L'action conjointe des acteurs économiques, des régulateurs et de la société civile lui permet d'être en progrès constant.

Vous avez présenté un rapport « d'analyse et d'alignement pour le climat » avec des objectifs de réduction de l'intensité carbone d'ici 2025. Ce rapport est-il une réponse à la pression croissante de la société civile ?

Cette pression s'exerce de manière particulièrement forte sur des banques qui financent historiquement les grands secteurs industriels et sont parmi les plus avancées en matière de transition. C'est le cas de plusieurs grandes banques françaises, mais aussi des grandes banques britanniques, allemandes ou néerlandaises. Les banques doivent vivre avec cette pression et les ONG ciblent celles qui ont sans doute le plus fort levier sur ces questions. Mais il ne faudrait pas que cela occulte la dynamique dans laquelle ces banques s'inscrivent aujourd'hui. En ce qui nous concerne, nous y travaillons depuis plus de dix ans. Nous avons d'ailleurs annoncé en janvier dernier une nouvelle étape avec un fort désengagement de l'amont pétrolier et gazier. Nous précisons aujourd'hui les modalités qui permettent d'assurer que ces engagements, décisifs, sont mis en œuvre dès maintenant et seront respectés de manière rigoureuse.

Rappelons toutefois que la production d'énergie dans son ensemble pèse moins de 5% de nos concours à l'économie. La question des énergies fossiles, qui représente une fraction déjà minoritaire de nos crédits à la production d'énergie, est bien sûr déterminante. Mais une autre question essentielle est de savoir comment nous pouvons contribuer à la décarbonation des 95 % restants de l'économie ! C'est pourquoi nous nous sommes fixés comme objectif stratégique de consacrer plus de 200 milliards d'euros à la transition de nos clients entreprises vers une économie bas carbone d'ici 2025.

C'est un objectif qui inclut à la fois l'accompagnement des industriels pour décarboner leurs outils de production et le financement des énergies renouvelables. Il fait partie des dix objectifs environnementaux et sociaux intégrés dans notre tableau de bord RSE dont l'atteinte conditionne en partie la rémunération de 8.400 cadres dirigeants de BNP Paribas. Il illustre à quel point ce sujet est devenu une priorité pour toute l'entreprise.

Il y a quand même, malgré tout, un objectif plus tangible qui est celui de l'arrêt du financement des énergies fossiles. Comptez-vous prendre de nouvelles initiatives dans ce domaine ?

Nous avons pris l'engagement d'allouer au moins 80% de notre portefeuille de crédits dédiés à la production d'énergie aux énergies bas carbone d'ici à 2030, avec un minimum de 40 milliards d'euros de financements. Compte tenu de l'inertie propre à tout portefeuille de crédit, de tels objectifs impliquent des décisions immédiates. A fin décembre 2022, nous étions déjà à 60% d'énergies bas carbone, essentiellement renouvelables.

Le deuxième engagement pris est de baisser de 80% nos financements à l'exploration et à la production pétrolière, pour les ramener de 5 milliards d'euros en septembre 2022 à moins d'un milliard en 2030. Et nous avons un objectif de baisse de 30 % pour ce qui est de l'exploration-production gazière.

Pour atteindre cet objectif, nous nous engageons à ne faire aucun financement dédié au développement de nouvelles capacités pétrolières et gazières, quelles que soient les modalités de financement. Cette décision concerne aussi les activités périphériques, comme le financement des barges flottantes, par exemple. Nous cesserons également de financer les entreprises spécialisées dans l'exploration-production pétrolière.

Enfin, la méthodologie de place PACTA retenue prévoit d'intégrer au comptage l'ensemble des crédits corporate accordés aux entreprises du secteur de l'énergie, au prorata du poids de l'exploration-production pétrolière dans l'activité des clients.

La méthodologie retenue pour calculer notre objectif de réduction impose mécaniquement une baisse de tous les crédits attribuables à l'amont pétrolier, ce qui inclut une fraction des crédits généralistes aux grands acteurs du secteur.

Concrètement, cette décision vous permet-elle de continuer de financer les majors pétrolières ?

Notre objectif est de financer les projets de transition de certains de ces acteurs, qui sont parmi les premiers investisseurs dans les énergies bas carbone aujourd'hui. La méthodologie retenue pour calculer notre objectif de réduction impose mécaniquement une baisse de tous les crédits attribuables à l'amont pétrolier, ce qui inclut une fraction des crédits généralistes aux grands acteurs du secteur.

A l'avenir, soit le montant des crédits que nous accorderons se réduira, soit l'amont pétrolier en sera explicitement exclu, soit sa part dans le mix d'activités des clients diminuera : ces différents leviers contribueront à l'atteinte de notre objectif de moins d'un milliard d'euros résiduel à l'horizon 2030.

Comment comptez-vous mieux convaincre de vos bonnes intentions cette fois ?

Ce ne sont pas de simples intentions, mais une étape décisive dans un effort de transformation majeur de la première banque européenne. Avant 2022, nous avions pris des engagements sur le charbon et les hydrocarbures non-conventionnels et ils ont été scrupuleusement respectés. Désormais, nous annonçons un désengagement massif de l'amont pétrolier et gazier, et nous expliquons toutes les modalités qui nous permettront de respecter nos engagements. Outre ceux-ci, il y a les objectifs que nous nous donnons pour accompagner la transformation de tous les acteurs de l'économie.

Au-delà du sujet de l'énergie, nous communiquons sur nos cibles de baisse des émissions financées par grands secteurs économiques. L'an dernier, nous avons ainsi donné des cibles de réduction de l'intensité carbone sur trois secteurs, le pétrole et le gaz avec une baisse de 12 % entre 2022 et 2025, la production d'électricité, avec une ambition de réduire de 30 % sur la période, et l'automobile où nous visons une baisse de 25%. Un an après nous sommes sur la bonne trajectoire.

Nous venons de rajouter trois autres secteurs, avec un horizon à 2030, l'acier, avec une baisse de 25% par rapport à 2022, l'aluminium (-10%) et enfin le ciment (-24%). Ces cibles seront atteintes à la fois par la transition de nos clients et par notre soutien plus important à ceux qui sont en avance sur la trajectoire de réduction des émissions. C'est tout l'enjeu des 200 milliards d'euros que nous comptons allouer à la transition énergétique et de l'accompagnement par notre équipe d'experts du Low-Carbon Transition Group.

Nous avons donc une stratégie à trois étages : nos engagements, nos cibles de décarbonation par secteurs, et enfin, nos objectifs de développement, qui sont d'être une banque leader en matière de transition énergétique et de décarbonation de l'économie. Nous sommes ainsi leader mondial sur les obligations vertes, non seulement pour 2022 et également depuis le début de 2023. Une banque ne se pilote pas que par des engagements, elle se pilote avant tout par des projets, et peu de choses enthousiasment autant nos équipes que l'idée de financer une nouvelle économie décarbonée.

Ne redoutez-vous pas que cette profession de foi ne détourne une partie de votre clientèle vers des banques moins-disantes ?

En tout cas il y a une convergence entre plusieurs grands acteurs européens pour que le critère climatique devienne décisif dans leurs décisions. Et au fur et à mesure que le cadre réglementaire se précise pour les entreprises - il ne faut jamais oublier que nous ne contribuons à la transition écologique qu'à travers nos clients - la qualité de cette transition dans les entreprises devient un facteur clé de concurrence et de performance. En tant que banque, nous serons donc naturellement attirés par les entreprises qui sont les plus engagées dans la transition.

Songez-vous à soumettre vos engagements au vote des actionnaires dans le cadre d'une résolution climatique, à l'image de plusieurs grandes entreprises du CAC 40 ?

Nous n'avons pas fait ce choix pour l'instant. La transition énergétique est un axe majeur de la politique de transformation et de la stratégie de développement de l'entreprise, qui est présentée dans le cadre de notre plan stratégique : celui-ci est par nature un élément de l'évaluation de l'entreprise par ses actionnaires.

La trajectoire de Paris qui est celle de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré a-t-elle toujours un sens aujourd'hui alors que les débats portent désormais sur les mesures à prendre en cas de réchauffement à 4 degrés ?

Nous cherchons à contribuer, brique après brique, à un monde qui serait neutre en émission carbone à l'horizon 2050 qui est en effet l'élément constitutif d'un réchauffement limité à 1,5 degré. Mais nous ne sommes qu'un maillon de la chaîne. C'est une matière qui est encore en construction, avec des politiques qui permettent aux acteurs économiques de s'aligner avec cet objectif, des autorités et des travaux de place qui permettent de bâtir des référentiels, et des orientations générales sur le climat qui bâtissent un cadre de réflexion. Nous sommes en ordre de marche et avançons, secteur après secteur, de façon sérieuse et transparente, sachant qu'il existe un grand nombre de secteurs pour lesquels le cadre méthodologique n'est pas encore figé. Ce qui est important de comprendre est que, à la fin des fins, il faut réellement réduire les émissions, dans une réalité physique et non purement comptable. Cela passe nécessairement par un travail méthodologique considérable, qui est toujours en cours.

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