
Qui y a-t-il de commun entre la coopérative agricole Limagrain, la Ligue de football professionnel (LPF) ou Publicis ? Rien sinon que ces entreprises ont créé ces derniers mois leur propre société d'assurance pour couvrir une partie de leurs risques.
La France compte désormais 12 « captives » d'assurance ou de réassurance agréées et plusieurs dossiers sont actuellement à l'instruction, dont celui de La Poste, auprès de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pour obtenir l'agrément. Certes, une centaine de groupes français, dont 80% du CAC 40, détient depuis de nombreuses années une captive de réassurance, mais elles sont domiciliées pour la plupart au Luxembourg pour des raisons fiscales.
La nouveauté porte sur la domiciliation en France. Après des années de lobbying, surtout depuis que l'association professionnelle des risk managers (Amrae) a pris les choses en main, le gouvernement français a finalement accepté d'aligner le droit français - ou plutôt celui des impôts - sur celui du Luxembourg pour faciliter la création des captives en France. La crise sanitaire, les catastrophes naturelles et la montée du risque cyber ont eu raison des dernières réticences de Bercy.
20 à 30 dossiers dans les cartons
Le principe d'une captive « à la française » était donc acquis dans la loi de finances 2023. Restait au décret d'application d'en fixer les modalités fiscales. C'est chose faite depuis le 7 juin dernier.
Il est désormais permis aux captives d'assurance ou de réassurance (et à elles seules) d'accumuler des réserves en franchise fiscale, jusqu'à 90 % des bénéfices techniques, sous la forme d'une provision «de résilience » qui pourra être mobilisée en cas de sinistre. « La provision unique, que vous pouvez utiliser pour tous les types de risques, sans les définir l'avance, est une disposition très importante et très attendue par nos clients car cela permet de mutualiser au mieux les risques au sein de l'entreprise », se félicite Laurent Bonnet, responsable des captives chez le courtier Marsh France.
Ce nouveau cadre fiscal devrait encourager de nombreuses entreprises françaises à franchir le pas alors qu'elles hésitaient jusqu'ici à se lancer dans un projet de filiale au Luxembourg ou à Dublin de crainte d'avoir un conflit avec le fisc ou une mauvaise image. Selon les estimations de l'Amrae du printemps dernier, une cinquantaine d'entreprises seraient intéressées de créer une captive. « Ce sera sans doute moins, de 20 à 30 d'ici trois ou quatre ans. Après, reste la question du transfert des captives existantes au Luxembourg en France », avance un professionnel de l'assurance.
Contexte de marché favorable
Face au durcissement du marché de l'assurance, avec des primes multipliées par trois ou quatre depuis 2021 et des conditions de franchises et d'exclusion de garanties de plus en plus sévères, les entreprises sont de plus en plus contraintes de trouver des solutions alternatives de protection. « La captive de réassurance n'a d'intérêt et de valeur que quand il y a une difficulté d'assurance, quand le marché est sous tension, que cela soit en termes de prix, de franchise ou de garantie », souligne Laurent Bonnet.
C'est clairement toujours le cas et les Rendez-vous de la réassurance, qui débutent dimanche à Monaco, ne devraient pas, selon les professionnels de la réassurance, déboucher sur une détente des prix ou des conditions de souscription. « La multiplicité des catastrophes joue avec les limites de l'assurance traditionnelles et nécessite la mise en place d'outils qui permettent aux entreprises d'être un peu plus autonomes sur la gestion de leurs risques », ajoute Olivier Balken, directeur captives et réassurance facultative chez le courtier Aon France.
De fait, créer une captive de réassurance n'est pas une mince affaire, même si sa gestion peut être déléguée à un tiers. Mais la réglementation prudentielle (Solvabilité 2) impose des fonds propres et une gouvernance qui ne peut pas en revanche être externalisée. D'où la question de l'intérêt économique à créer une captive, même si en pratique, la société n'aura à gérer que trois ou quatre contrats de réassurance (et non des milliers de contrats comme un assureur traditionnel).
La réponse dépend du secteur d'activité, de la taille de l'entreprise et du nombre de ses filiales et du marché de l'assurance. Cela concerne à la fois la responsabilité civile, les dommages et désormais, dans la quasi-totalité des projets, le risque cyber. Difficile de dresser un profil type de la captive, mais cette dernière doit gérer au moins entre cinq et dix millions d'euros de primes par an pour être intéressante. Certaines captives peuvent peser quelque 200 millions d'euros de primes.
Tranche au-dessus de la franchise
« C'est à la fois une décision de long terme, mais qui reste très liée à la conjoncture sur le marché de l'assurance. Si les prix baissent et que les capacités augmentent, comme ce fût longtemps le cas avant la crise sanitaire, il n'est pas forcément intéressant de créer sa captive. », explique un professionnel.
Dans les faits, la captive sert à couvrir les risques que plus aucun assureur ou réassureur ne veut couvrir. Autrement dit, elle apporte une réponse aux difficultés de placement d'un risque. Un programme d'assurance classique se décompose généralement entre des risques de forte fréquence et de faible intensité, des risques d'intensité et de fréquence moyennes et des risques de forte intensité, mais de faible fréquence. Les risques de pure fréquence sont généralement pris en charge par l'assuré via la franchise.
La captive va donc se positionner sur la tranche juste au-dessus de la franchise pour couvrir des risques certes importants, mais qui ne mettent pas en péril l'activité de l'entreprise. C'est généralement sur cette tranche que les prix explosent. Enfin, le marché de l'assurance peut couvrir un incident majeur de nature à remettre en cause l'exploitation. Dernier élément, la captive permet de mettre toutes les filiales sur un même plan au niveau des franchises. C'est un effet pyramidal.
Pour les courtiers interrogés, la captive n'a donc pas vocation à concurrencer les assureurs ou les réassureurs. « De plus en plus d'assureurs incitent les entreprises à créer leur captive, car cela leur permet d'être certains d'avoir des intérêts convergents en matière de gestion des risques », remarque même Olivier Balken.
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