Paiement fractionné : un quart des utilisateurs britanniques payent des pénalités de retard

Les statistiques se suivent et se ressemblent : un nombre croissant de ménages utilise le paiement fractionné faute de pouvoir faire autrement et un nombre croissant paye des pénalités très élevés de retard. Une situation qui inquiète les associations de consommateurs mais aussi les régulateurs. Le paiement fractionné reste peu régulé au Royaume-Uni mais il vient d’entrer dans le champ de la nouvelle directive européenne sur le crédit à la consommation, qui doit entrer en vigueur d’ici octobre 2026.
La forte inflation au Royaume-Uni a dopé l'utilisation du paiement fractionné, mais aussi les retards de paiement.
La forte inflation au Royaume-Uni a dopé l'utilisation du paiement fractionné, mais aussi les retards de paiement. (Crédits : DR)

Près d'un quart des Britanniques utilisateurs d'un service « buy now, pay later (BNPL) » - « acheter maintenant, payer plus tard » , aussi appelé paiement fractionné - ont payé des commissions de retard de remboursement au cours des dix derniers mois, selon un sondage réalisé par le Centre for Financial Capability, une organisation caritative spécialisée dans l'éducation financière au Royaume-Uni. Un pourcentage qui grimpe à 34% pour les 18-34 ans. Et parmi ceux qui ont manqué des remboursements, environ deux tiers ont accusé des retards de paiement deux fois ou plus.

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Héritier du paiement en trois fois sans frais de la VPC, le paiement fractionné connaît un rapide essor depuis quelques années par le biais de la généralisation des usages numériques. Selon l'enquête de l'association, un tiers des adultes britanniques utilise le paiement fractionné, et près de 40% des 18-34 ans y ont recours.

Fractures sociales

Une étude publiée en octobre dernier par le superviseur britannique, Financial Conduct Authority (FCA), allait déjà dans le même sens. Elle indiquait alors que 27% des adultes britanniques, soit environ 14 millions de personnes, ont payé via une solution fractionnée ou différée au moins une fois au cours des six mois précédant janvier 2023. Un chiffre en forte hausse par rapport aux 17% qui ont déclaré, en mai 2022, utiliser le paiement fractionné au moins une fois au cours des douze derniers mois.

« Ces chiffres révèlent la prévalence actuelle des systèmes BNPL et les risques financiers dangereux auxquels les utilisateurs sont confrontés sur ce marché sauvage et non-réglementé. Alors que la crise du coût de la vie continue d'affecter le public britannique, il est évident que de nombreux utilisateurs sont de plus en plus dépendants de ces programmes, sans comprendre pleinement les risques qu'ils comportent », alerte Jane Goodland, administratrice du Centre for Financial Capability.

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Si le Covid a donné un coup de fouet au paiement fractionné, dans le sillage du commerce en ligne, la crise du pouvoir d'achat a été plus récemment un moteur de diffusion de ce mode de paiement. Ainsi, 25% des utilisateurs du paiement fractionné interrogés l'ont utilisé en raison de la hausse du coût de la vie et de l'inflation. Et 17% avait bien l'intention reproduire la manœuvre pendant les fêtes de fin d'année. Enfin, près de 30% déclarent utiliser le paiement fractionné faute d'avoir l'argent nécessaire pour effectuer l'achat.

Le piège des pénalités

Les offres de paiement fractionné sont une forme de financement à court terme, généralement trois mois. Elles permettent aux consommateurs de payer en plusieurs fois, en versements hebdomadaires ou mensuels, ou même en une seule fois à échéance (paiement différé). Ces offres ont été popularisées par des fintechs de paiement, comme Klarna, Clearpay ou PaylPal Credit. Elles sont également de plus en plus commercialisées par les banques ou les sociétés financières plus traditionnelles. Les marchands sont très friands de ces offres, car elles permettent de doper leurs ventes ou le panier moyen.

Généralement, ces offres sont sans frais pour le consommateur, des « frais cachés » existent toutefois, comme les pénalités de retard. Et comme le secteur est (encore) très peu régulé au Royaume-Uni, les excès se multiplient et les rapports se succèdent sur les risques de surendettement. Ceux qui accordent ce crédit n'ont pas, contrairement à la souscription d'un crédit classique, l'obligation de vérifier la capacité de remboursement de l'emprunteur.

Ce dernier peut donc multiplier ses achats, et surtout ces pénalités de retard, qui peuvent atteindre des montants astronomiques, représentant parfois jusqu'à 25% du prix d'achat chez Clearpay, par exemple. La presse britannique a même inventé un mot pour désigner ces dérives, le « Klarnage », contraction de Klarna et de carnage.

Mobilisation pour encadrer

Le régulateur FCA est conscient du problème et annonce toujours un encadrement plus strict de ces pratiques... qui tarde à venir.

« Pour la troisième année consécutive, nos sondages révèlent l'utilisation importante de BNPL dans toutes les tranches d'âge, malgré les risques évidents qu'elle comporte. Le gouvernement a promis de réglementer ce marché, mais nous ne l'avons toujours pas fait », regrette ainsi Jane Goodland.

Quelques textes sur la transparence des frais obligent néanmoins les acteurs du marché à modérer leur imagination en matière de facturation déguisée. Ces derniers ont d'ailleurs conscience du risque de réputation et leurs clients - en réalité les marchands également soucieux de leur image - voient d'un mauvais œil les éventuels abus touchant les ménages. La FCA a ainsi conclu des accords avec deux fintechs - PayPal et QVC - pour rendre leurs conditions contractuelles plus lisibles.

Le numéro un du marché en Europe, Klarna, souvent la cible de critiques des associations de consommateurs, tente de redorer son image. Après avoir mis en place option de « sevrage » pour les accros du paiement fractionné, la fintech suédoise propose un service d'assistance pour les personnes qui traversent une mauvaise passe financière, afin d'être réorientées, le cas échéant, vers une plateforme de lutte contre le surendettement.

Nouvelle directive européenne

Aux Etats-Unis, le paiement fractionné fait, lui aussi, débat. L'Office of the Comptroller of the Currency (OCC) a publié, en décembre dernier, des recommandations pour les banques américaines. Il les invitait alors à mieux contrôler la distribution des prêts BNPL, notamment auprès de la clientèle fragile. Une enquête de l'organisme américain de protection des consommateurs (CFPB) au printemps dernier a montré que les populations fragiles étaient surreprésentées parmi les utilisateurs du paiement fractionné.

Certains consommateurs auraient déjà commencé à recourir au paiement fractionné pour payer un plein d'essence ou pour leurs courses alimentaires. Des efforts doivent également être faits en matière de transparence sur le coût du crédit et les frais annexes, notamment les pénalités de retard qui peuvent être très lourdes.

Enfin, en Europe, la Commission européenne a proposé de renforcer la réglementation en incluant désormais le paiement fractionné et le « mini crédit » dans le champ réglementaire de la directive européenne sur le crédit à la consommation. C'est désormais chose faite depuis le 30 octobre dernier.

Les États européens disposent désormais d'un délai de deux ans pour transposer cette nouvelle directive, au plus tard en octobre 2026. « Le texte nous oblige désormais à consulter le fichier des incidents de paiement, et surtout de l'alimenter », explique à La Tribune un acteur français du paiement fractionné. L'important est bien que le consommateur ait conscience qu'un paiement fractionné reste avant tout une formule de crédit.

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Commentaires 2
à écrit le 06/01/2024 à 9:09
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Au pays de l'ultra libéralisme, le renard (les fintechs préteuses, mais aussi "les marchands très friands de ces offres, car elles permettent de doper leurs ventes") prospère librement dans le poulailler libre (qui a de plus en plus recours aux BNPL ...

à écrit le 05/01/2024 à 19:20
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Le payement fractionné nouvelle technologie, c'est juste le retour des usuriers. Qui contournent les règlementations anti usure quand elles existent. Comme Uber et les autres sociétés qui font travailler des "associés" sont juste un retour du capita...

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