Cryptomonnaies : les transactions illicites encore plus dans le viseur des régulateurs en 2022, note Chainalysis

Si elles restent extrêmement marginales, les transactions illégales en cryptomonnaies ont atteint un record l’année dernière, essentiellement due à l’envolée des sanctions contre les individus et groupes criminels par les régulateurs du monde entier, indique le rapport de Chainalysis. Une évolution qui révèle aussi une accélération de la surveillance de l’écosystème par les régulateurs.
Maxime Heuze
La part globale des cryptomonnaies associées à une activité illicite représente 0,24% des transactions totales en 2022.
La part globale des cryptomonnaies associées à une activité illicite représente 0,24% des transactions totales en 2022. (Crédits : Kacper Pempel)

Le bitcoin est-il la monnaie des criminels ? Une question épineuse à laquelle a tenté de répondre la société d'analyse spécialisée en crypto Chainalysis dans son étude annuelle 2023 sur la criminalité dans l'écosystème des cryptomonnaies* publiée le 26 juillet. Et, surprise, cette dernière explique que, malgré le déclin du marché crypto lié à l'assèchement des financements et la remontée des taux, le nombre de transactions illégales a augmenté pour la deuxième année consécutive. Ainsi, en 2022, elles ont atteint le chiffre record de 20,6 milliards de dollars.

Mais contrairement à ce qu'ils laissent penser, les chiffres ne sont en réalité pas si inquiétants, tempère la société à l'origine de l'étude.

Augmentation des contrôles et des sanctions contre des entreprises illégales

D'abord, car la part globale des cryptomonnaies associées à une activité illicite ne représente « que » 0,24% des transactions totales en 2022, contre 0,12% des transactions en 2019, note Chainalysis.

Mais plus encore, 2022 n'a pas été l'année de l'explosion de la criminalité mais celle d'une forte évolution de la nature des transactions illicites. Le nombre de transactions criminelles a, en effet, diminué dans quasiment toutes les catégories, à l'exception des vols de fonds, qui ont augmenté de 7 % sur un an et surtout de transactions illicites provenant d'entités sanctionnées qui se sont, elles, envolées de 43%.

« Depuis 2022, les gendarmes financiers s'arment et essayent de surveiller de plus en plus de flux, donc les volumes de transactions illégales provenant d'acteurs criminels repérés explosent mécaniquement », explique Stanislas Barthelemi, consultant crypto et blockchain chez KPMG.

Depuis 2018, l'Office of Foreign Assets Control (Ofac) le régulateur des transactions d'argents américain répertorie les adresses de réception de portefeuilles personnels de cryptomonnaies de personnes en lien avec de la cybercriminalité, le trafic de drogue, le blanchiment d'argent ou encore la participation à l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Mais il faut attendre 2021 pour que l'organisme américain s'intéresse aux entreprises qui hébergent des adresses pour le compte de tiers. Un choix qui va porter ses fruits puisqu'en élargissant le spectre de surveillance, 350 adresses ont été repérées et placées sur liste noire en 2022, contre 100 en 2021 et à peine une dizaine en 2020.

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Une « surveillance croissante »

Le réveil des régulateurs est survenu juste après l'envolée des cours des cryptomonnaies et du nombre de leurs détenteurs qui a eu lieu en 2022. « Face à la transformation de cet écosystème, d'un marché de niche à un secteur d'investissement quasi grand public, les autorités ont accordé progressivement plus d'importance et de moyens à la régulation de ce nouveau monde », analyse le consultant. Une pression encore accentuée après l'effondrement de la blockchain Terra Luna au printemps 2022 puis la faillite frauduleuse de la plateforme d'échange FTX en octobre dernier qui a floué et ruiné de nombreux détenteurs de crypto-actifs.

« Cette surveillance croissante du secteur a surtout pour objectif de sanctionner les entreprises actives dans un pays sans respecter les règles de conformité de ce dernier », ajoute Stanislas Barthelemi. En pleine guerre contre plusieurs projets et entreprises, la Security and exchange commission (SEC) le gendarme de la Bourse américaine a par exemple demandé 109 millions de dollars de budget additionnel pour renforcer ses équipes. Si la demande est acceptée par le Congrès, cela porterait son budget annuel à 1,4 milliard de dollars.

En France, des régulateurs comme l'Autorité des marchés financiers (AMF) ou l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) montent aussi en puissance dans la surveillance du monde crypto, en demandant notamment de l'auto-contrôle aux entreprises régulées. « Avec l'obligation prochaine d'obtenir l'enregistrement ou l'agrément de prestataire de service sur actifs numérique (Psan) pour exercer en France, les entreprises qui gèrent de l'argent pour des tiers devront se doter d'une politique de compliance et surveiller eux-mêmes les activités de leurs clients telles que les banques le font aujourd'hui », ajoute Stanislas Barthelemi. Cette capacité à contrôler les activités illégales des détenteurs de cryptomonnaies explique d'ailleurs en partie pourquoi Forge, la filiale de la Société générale est la première entreprise à obtenir l'agrément Psan en France « car elle a des moyens importants pour surveiller ses clients que n'ont pas la plupart des plateformes d'échange », explique-t-il.

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Reste que ce nouveau monde est encore un « far west » difficile à contrôler, selon Gary Gensler, le patron de la Sec. Garantex, une plateforme d'échange sanctionnée par l'Ofac en avril 2022 pour hébergement d'activités illégales, continue par exemple d'opérer des transactions sans problème, étant donné que cette plateforme est hébergée en Russie, pays qui a refusé d'appliquer les sanctions américaines.

*Chainanalysis a recensé les activités criminelles visibles sur les blockchains, des bases de données décentralisées, gérées par des ordinateurs indépendants. Cette étude ne tient pas compte des bénéfices tirés de la criminalité n'ayant pas pour base les cryptomonnaies, comme le trafic de drogue classique impliquant des cryptomonnaies comme mode de paiement.

Maxime Heuze

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Commentaires 5
à écrit le 04/08/2023 à 8:51
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Les régulateurs ne sont déjà pas fichus de réguler efficacement la masse monétaire en circulation (et ses acteurs) via les canaux traditionnels, comment espérer plus de sérieux dans le domaine des crypto-actifs, respectivement les "cryptomonnaies". V...

à écrit le 04/08/2023 à 8:35
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Pourquoi pensez vous qu'ils veulent l'imposer? Parce que l'honnêteté ne leur permettent pas l'échange! ;-)

à écrit le 04/08/2023 à 8:29
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"Si elles restent extrêmement marginales" Ben oui tandis que les paradis fiscaux dégueulent d'argent sale et que un quart des mouvements financiers est lié à l'activité criminelle sans qu'on puisse le distinguer. Bref l’œil la paille la poutre tout ç...

le 04/08/2023 à 9:40
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Si le "Tax haven" fait toujours couler beaucoup d'encre aux yeux du grand public, croyez-moi que la mécanique infernale du "Trust" (dont l'origine remonte pourtant aux croisades du moyen-âge) fait beaucoup plus de mal en soit. Et comme vous le précis...

le 04/08/2023 à 10:50
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Il y a eu un super article du diplo qui expliquait comment l'argent de la cocaïne a sauvé le système bancaire en 2008 mais parfois mes liens ne passent pas donc à chercher soi-même.

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