C'est une question à 1.000 milliards d'euros. Comment faire (re)naître l'idée de l'Union des marchés de capitaux ? Ce serpent de mer de la zone euro refait surface depuis quelques mois. Il y aurait même « un consensus » en Europe pour faire bouger les choses après dix ans de surplace d'un projet qui devait pourtant naturellement s'emboîter avec l'union monétaire (l'euro) et l'union bancaire (toujours dans les limbes). « Il y a une convergence de vues au sein de l'Eurogroupe pour dire que ce chantier doit être au cœur des travaux de la prochaine Commission européenne et des prochains travaux législatifs », confie une source proche de Bercy.
Dans un rapport récemment présenté à Bruxelles pour dresser les lignes d'une véritable stratégie européenne face aux Etats-Unis ou la Chine, l'ancien Premier ministre italien Enrico Letta prône clairement en faveur de cette union des capitaux pour mieux drainer l'abondante épargne européenne vers l'investissement productif européen, et surtout, vers le financement de la transition énergétique. Parmi les pistes évoquées, le développement de la titrisation, une meilleure harmonisation réglementaire et la création d'un produit d'épargne de long terme.
Propositions « concrètes »
Autant de pistes qui se retrouvent dans le rapport du gouverneur honoraire de la Banque de France Christian Noyer, mandaté en janvier dernier par le ministre de l'économie Bruno Le Maire pour faire des propositions concrètes, « avec un vrai potentiel de transformation », selon l'expression de son auteur, et qui est présenté officiellement ce jeudi matin à Bercy.
L'union des marchés de capitaux, pourquoi faire ? Pour répondre à un besoin d'investissement de quelque 1.000 milliards d'euros chaque année d'ici 2030 pour deux grandes raisons : d'abord redresser la croissance potentielle de l'Europe qui est structurellement à la traîne par rapport aux autres grandes zones économiques ; ensuite financer la transition énergétique pour un coût estimé de 700 à 800 milliards d'euros. Chacun sait que l'argent ne viendra plus des Etats, trop endettés. Et que les bilans des banques européennes n'ont pas la capacité de répondre à la totalité de ces besoins. Marchons donc dans le sillage des Etats-Unis où l'investissement est financé à 80% par les marchés financiers.
« En dix ans, les Européens se sont surtout attachés à améliorer le fonctionnement des marchés, mais pas à favoriser son développement, c'est-à-dire tout ce qui permettrait de recourir davantage aux marchés. Et face aux besoins qui s'affirment, il y a un sentiment d'urgence », résume Christian Noyer.
Le rapport préconise donc quatre mesures clé pour doter l'Europe d'un marché financier digne de ce nom. Rappelons que la capitalisation boursière des entreprises européennes représente 11% de la capitalisation boursière mondiale alors que l'Union européenne pèse 18 % du PIB mondial.
Un label plutôt qu'un nouveau produit d'épargne
La première mesure concerne les produits d'épargne. Il s'agit de réallouer une plus grande partie des 35.000 milliards d'euros d'épargne financière des ménages européens vers les actions ou assimilées. D'où l'idée de réactiver l'idée d'un produit d'épargne paneuropéen de long terme.
C'est, de manière détournée, remettre sur les rails les fameux fonds de pension « à l'européenne ». Un sujet qui reste tabou en France malgré les nombreuses réformes sur les retraites. Il existe un seul fonds de pension en France et il est réservé à la fonction publique. Le plan d'épargne retraite (PER) lancé par la loi Pacte de 2019 s'y rapproche néanmoins. Quant au PEPP (produit paneuropéen d'épargne retraite), c'est un échec commercial total.
Plutôt que d'imposer un nouveau produit dans les différents pays - une mission impossible vu la disparité des cultures et des fiscalités en matière d'épargne - l'idée de créer une sorte de « label » sous certaines conditions (déblocage à la retraite, avantages fiscaux, abondement de l'entreprise, investissement dans des actifs européens, absence de garantie du capital, gestion pilotée...). En France, un PER collectif revu et corrigé pourrait être éligible à ce label.
La titrisation, mal aimée en Europe
La deuxième idée est de relancer la titrisation (cession d'une créance sur le marché), un marché en berne Europe depuis la crise des subprimes de 2007. C'est une demande forte des banques, qui pourraient « sortir » ainsi de leur bilan une partie du risque pour... prêter plus. Bref, faire comme les banques américaines qui titrisent jusqu'à 80% de leurs crédits aux particuliers, ce qui leur permet d'afficher des rentabilités sur fonds propres hors de portée pour une banque européenne qui doit conserver la quasi-totalité de ses crédits au bilan, avec les fonds propres qui vont avec.
Actuellement, le marché européen de la titrisation est de l'ordre de 150 milliards d'euros - une goutte d'eau, à peine la production de crédit immobilier en France - un montant qui pourrait être multiplié par trois ou quatre, selon le rapport, si on devait assouplir le cadre prudentiel et réglementaire, y compris les nouvelles contraintes de Solvabilité 2 (assurance) ou de Bâle 3 (banque). Pourquoi pas, encore faut-il trouver des investisseurs, ce qui renvoie à la première mesure. En France, le crédit à taux fixe rend cependant la titrisation peu attractive pour les investisseurs. La création d'une plateforme européenne de titrisation pourrait alors créer une meilleure profondeur de marché.
Un vrai pouvoir européen de supervision
La troisième série de mesures concerne la supervision européenne des marchés, un terrain sur lequel de nombreux débats ont achoppé ces dernières années. Le rapport évite donc « le grand soir » de la supervision, mais propose d'avancer « prudemment ». La première initiative pourrait être de réformer la gouvernance de l'Esma - autorité européenne des marchés - pour la rendre plus opérationnelle. Enfin, le dernier paquet de mesures concerne la supervision et l'amélioration des infrastructures de marché. « Lorsque ces institutions sont transfrontières, il nous semble que la supervision est très contournable », observe Christian Noyer. Il s'agit également de se pencher sur l'industrie de la gestion d'actifs dont la supervision est beaucoup trop fragmentée en Europe.
Reste désormais à mettre en musique ce rapport à l'échelon européen et à le coordonner avec les autres initiatives qui commencent à fuser de partout. Des positions communes commencent à émerger, comme celle des banques françaises et des banques allemandes. Les banquiers centraux appuient la démarche. Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a d'ailleurs longuement évoqué le sujet dans sa récente lettre au Président.
De longs débats en perspective
Les débats risquent cependant d'être compliqués tant les Etats restent soucieux de leur souveraineté en matière de fiscalité, d'épargne, mais aussi de supervision des acteurs locaux. Surtout si les nouveaux équilibres politiques au Parlement européen sont bouleversés en faveur de l'extrême droite aux prochaines élections de juin.
« Sur certains chapitres, on avance positivement vers un très large soutien des Etats membres, notamment sur le produit d'épargne ou la titrisation, ou bien revoir certaines contraintes prudentielles », estime un proche de ces discussions. En revanche, la fiscalité attractive du produit d'épargne ou la supervision restent des sujets compliqués pour parvenir à un consensus. Mais, comme le remarque un conseiller de Bercy, « nous sommes au début des discussions ».
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