Après les scandales, l'année a ressemblé au retour du phénix. Si 2022 fut l'« annus horribilis » pour le marché des cryptos, perdant, en douze mois, plus de 2.000 milliards de valorisation, 2023 a montré que ces actifs décentralisés échangés sur les blockchains étaient capables de se relever des affaires de fraudes et de faillites. En 2023, leur notoriété dans les sondages a même continué à croître, s'étendant au-delà des cercles habituels d'investisseurs technophiles rompus à la volatilité de ces jetons numériques.
Alors qu'ils étaient présentés comme les nouveaux entrepreneurs du Web 3.0, capables d'inventer une finance décentralisée, des certificats numériques (NFT) ou des nouveaux moyens de paiements de pair-à-pair, en 2023, les anciennes stars du secteur sont tombés avec fracas en une des médias.
Les stars déchues
A commencer par l'Américain Sam Bankman-Fried, ancien prodige des cryptomonnaies. Fils de professeurs de l'université de Stanford, « SBF » fonde FTX en 2019. La plateforme devient la deuxième plus grande au monde et sa fortune atteint 24 milliards de dollars en 2022, selon Forbes. Bankman-Fried se forge une image d'ambassadeur officieux de l'industrie des cryptos, avec des apparitions très médiatisées et même au Congrès américain.
Mais il s'engage sur une voie dangereuse : il utilise l'argent des clients de FTX pour tout, de l'achat de biens immobiliers luxueux, à la couverture d'opérations risquées de sa société d'investissement Alameda Research. Le 2 novembre, un jury new-yorkais l'a reconnu coupable des sept chefs d'accusation, principalement fraude, association de malfaiteur et blanchiment d'argent. Sa peine doit être prononcée le 28 mars 2024. Il encourt plus de 100 ans de prison.
Autre figure emblématique du secteur à avoir été contraint à tirer sa révérence en 2023, Changpeng Zhao, le patron de la plus importante plateforme d'échanges de cryptomonnaies. Il fonde Binance en 2017 à Shanghai (Chine). L'entreprise connaît une croissance record. Célébrité connue pour son franc-parler dans le monde de la cryptographie, avec 8,7 millions d'abonnés sur X (ex-Twitter), « CZ » devient le plus riche des entrepreneurs des cryptos avec un patrimoine estimé à 65 milliards de dollars en 2022, selon Forbes.
De lourdes condamnations
Mais ce succès entraîne une surveillance accrue des opérations de Binance par les autorités, alors que les sociétés de cryptomonnaies dans le monde entier commencent à être confrontées à une vague d'enquêtes criminelles.
Les États-Unis l'accusent lui et Binance de multiples violations telles que du blanchiment d'argent, et notamment d'avoir sciemment autorisé des transactions avec des groupes considérés comme terroristes tels que l'État islamique et dans des pays sous sanctions américaines, comme la Corée du Nord et l'Iran.
L'affaire s'est soldée par un accord : Binance a accepté de payer des pénalités de 4,4 milliards de dollars et Changpeng Zhao a démissionné de son poste de PDG. Et bien qu'il conserve apparemment ses parts dans la société, il lui est interdit de participer à ses activités. Il encourt aussi une peine de prison.
Enfin, mi-octobre, la procureure de l'Etat de New York a assigné en justice deux plateformes de cryptomonnaies, Gemini et Genesis, accusées d'avoir pris des risques excessifs et fait perdre plus d'un milliard à des particuliers. Gemini proposait aux investisseurs de prêter leurs cryptomonnaies en échange d'une rémunération élevée, jusqu'à plus de 7% par an.
L'accélération des réglementations
2023 fut l'année du serrage de vis en matière de réglementations des cryptos. En Europe, l'année a même été charnière. Le 20 avril 2023, le Parlement européen a voté le règlement MiCa (Market in crypto assets). Ce texte prévoit, pour la fin 2024, la création d'un agrément obligatoire pour les plateformes cryptos souhaitant fournir leurs services dans toute l'Union européenne, en échange d'un certain nombre d'obligations. Mais aussi, dans la foulée, le texte TFR (transfer of funds regulation), dont la députée Aurore Lalucq était co-rapportrice pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.
Entre autres mesures, « il a été décidé d'abaisser le seuil à partir duquel les plateformes de cryptos seront tenues de demander des informations élémentaires à leurs utilisateurs. Dès le premier euro, celles-ci devront mettre en œuvre des procédures de KYC (know your consumer) extrêmement banales dans le monde de la banque et de la finance. La travel rule, qui existe déjà dans la finance traditionnelle, s'appliquera à l'avenir aux transferts de crypto-actifs », détaille à La Tribune la députée Aurore Lalucq.
En France, l'année 2023 a notamment été marquée par le premier agrément PSAN, le passeport d'activité pour une entreprise de service numérique, mis en place dès 2019 par la loi Pacte, et délivré à Forge, la filiale crypto de la banque Société Générale.
Moins de cryptos, plus de stablecoins
Aussi, 2023 a confirmé une autre tendance : les stablecoins, ces crypto-actifs adossés à une devise traditionnelle et qui ont un cours stable, vont servir de monnaie intermédiaire pour les banques, lesquelles développent, au niveau des Etats, les monnaies numériques de banques centrales. Plus rapides, moins onéreux et sécurisés, ces paiements ont par exemple séduit les fonds de gestion pour l'achat de la première obligation verte « tokénisée » en France. En outre, de plus en plus d'acteurs institutionnels vont chercher à s'appuyer sur un stablecoin capable de s'interfacer avec des monnaies d'Etat.
« Cette maturation des stablecoins permet de les positionner comme de réelles alternatives de paiement, particulièrement pertinentes pour les paiements cross-border vers et depuis les marchés émergents aux monnaies volatiles et illiquides », observe Patrick Mollard, fondateur de Fipto, une société de paiements cross-broder entre pays.
Parallèlement, le marché des cryptos en est à la phase de rationalisation. « En 2023, plus de 3.445 cryptoactifs ont été supprimées des bourses d'échanges, contre 3.000 en 2022 et 1.500 en 2021. Un record donc. Cela illustre la fébrilité qui a saisi le marché des cryptos depuis les effondrements en chaîne qui se sont produits à la fin de l'année 2022, lors de l'hiver des cryptos, » note la députée Aurore Lalucq.
Bitcoin, une année en fanfare
De quoi profiter aux cryptos leader, bitcoin en tête. Sur douze mois, le jeton star, après avoir dégringolé à la suite des scandales de la fin 2022, a repris +160%. Il s'échange en cette fin d'année autour des 42.000 dollars, soit loin de son pic à 61.000 dollars en 2021 mais les signaux sont au vert pour que le marché continue à prendre de l'ampleur en 2024. La probable arrivée des ETF Bitcoin, en attente de leur validation, devrait venir doper le marché.
De même, Ethereum a lancé en 2023 sa mise à niveau « The Merge », qui permet de passer d'un modèle de preuve de travail (PoW) à un modèle de preuve d'enjeu (PoS), améliorant les performances et l'efficacité d'Ethereum, et rendant le réseau plus économe en énergie, rappelle Patrick Mollard. L'actif profite aussi de l'embellie du marché, en hausse de plus de 84% sur un an à la fin décembre. La fin annoncée de la hausse des taux en 2024 devrait d'ailleurs continuer de porter le secteur.
Et pour 2024, en matière de réglementations ? L'Union européenne a récemment adopté un nouveau règlement sur les marchés de crypto-actifs (MiCA), qui « prévoit - pour fin décembre 2024 - un agrément obligatoire pour les prestataires de services sur actifs numériques. Aussi, le Parlement français a prévu « la mise en œuvre d'un enregistrement 'renforcé' obligatoire pour la fourniture de services sur actifs numériques en France dès le 1er janvier 2024 », ne souhaitant pas attendre l'application du règlement européen, a noté la Cour des comptes. Outre ces textes, « pour 2024, quelques changements mineurs sont attendus en matière de fiscalité des cryptos : d'abord, la clarification de la fiscalité du staking (faire participer les jetons achetés au minage de la blockchain pour être rémunéré NDLR) et, de manière générale, des revenus passifs en cryptos (il sera désormais clair que ces revenus doivent être déclarés au titre de l'année de réception des récompenses en cryptos, même si les cryptos ne sont pas vendues). Ensuite, l'élargissement de l'obligation de déclarer les comptes cryptos ouverts hors de France aux personnes morales (cette obligation ne s'appliquait qu'aux personnes physiques). Il est par ailleurs probable que les contrôles commenceront plus sérieusement sur le sujet des cryptos dans la mesure où l'administration fiscale accueille désormais une centaine de PSAN (prestataire de service sur actif numérique en France) parmi les plus importants du monde et est déjà, à ce titre, susceptible de disposer, sur demande, d'un certain nombre d'informations en matière fiscale, » explique Alexandre Lourimi, avocat spécialisé.
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