« Le SPAC me rappelle l’aventure LibertySurf dans les années 2000 » (Olivier de Guerre, président de Phitrust)

ENTRETIEN. Phitrust est partie prenante de l’engagement actionnarial en France depuis près de vingt ans, au travers de la Sicav Phitrust Active Investors, qui dépose en assemblée générale des résolutions sur les sujets environnementaux et de gouvernance des entreprises du CAC 40. Pour La Tribune, son président, Olivier de Guerre, porte son regard sur les assemblées générales de 2021, et les limites du huis clos, et revient sur l’AG emblématique de Total sur la question du climat. Il pointe également les risques de la mode actuelle des SPAC, ces structures cotées créées en vue de réaliser une acquisition future, dont le but est, selon lui, d’enrichir à court terme leurs promoteurs et de contourner les règles de cotation mises en place pour protéger les épargnants.
Pour Olivier de Guerre, président de Phitrust, au lieu d'exclure, il est préférable d'accompagner les sociétés dans leur transition, même si cela peut paraître frustrant.
Pour Olivier de Guerre, président de Phitrust, "au lieu d'exclure, il est préférable d'accompagner les sociétés dans leur transition, même si cela peut paraître frustrant". (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - En dépit des contestations de certains investisseurs, la résolution climat du groupe Total a été largement votée en assemblée générale. Quelle a été la position de Phitrust sur ce dossier emblématique sur la question climatique ?

OLIVIER DE GUERRE - L'an dernier, nous avons demandé aux dirigeants du groupe que la responsabilité du Conseil soit élargie aux enjeux environnementaux et sociaux et cela a été accepté et voté lors de l'Assemblée. Cette année, Total a proposé une résolution climatique. C'est un énorme chemin parcouru par le groupe depuis ces dernières années et nous avons voté cette résolution, comme l'écrasante majorité des investisseurs du Climat Action 100 +.

Certes, nous pouvons toujours demander plus car la transition énergétique ne va jamais aussi vite que nous le souhaiterions. Mais nous considérons que la direction et le Conseil du groupe sont désormais très conscients des enjeux et qu'ils souhaitent aller dans la bonne direction aussi vite que possible. Certains lui reprochent de continuer à développer le gaz naturel mais c'est une obligation pour gérer la transition. Le groupe n'a clairement pas suffisamment de capacités en énergies renouvelables pour remplacer les énergies fossiles. La transition énergétique est un processus. Il est clairement engagé par le groupe Total, rebaptisé TotalEnergies, pour souligner que son modèle n'est plus uniquement fondé sur les énergies fossiles.

Les questions climatiques ont-elles dominé cette saison des assemblées générales ?

C'est évident que les questions climatiques sont désormais au cœur des décisions stratégiques des entreprises et donc des assemblées générales. Il y a deux raisons à cela. Tout d'abord, les investisseurs comme les entreprises ont pris conscience, surtout depuis l'Accord de Paris, que le statu quo n'était plus possible, qu'il était devenu indispensable de faire évoluer les modèles d'affaires sous peine de ne plus pouvoir opérer, voire exister, dans les prochaines années. Ensuite, en Europe, les investisseurs institutionnels ont l'obligation depuis deux ans de faire de l'engagement actionnarial. Ils doivent expliquer à leurs mandants ce qu'ils font et pourquoi ils le font.

C'est un changement fondamental qui va exercer une forte pression sur les investisseurs institutionnels, et par ricochet, sur les entreprises cotées. Finalement, le réglementaire arrive à un moment où les entreprises opèrent un virage stratégique. Ces deux volets appuient dans la même direction. Et la défaite en assemblée générale d'ExxonMobil face à des investisseurs engagés dans la transition montre bien que le mouvement s'opère également aux Etats-Unis.

Le vote des actionnaires et la réglementation, voire de la justice européenne qui s'invite dans le débat climatique, ne risquent-ils pas d'entraîner un effet d'exclusion, du secteur énergétique, comme c'est déjà le cas avec le tabac ?

La frontière entre la nécessité d'encourager et d'accompagner les entreprises dans leur transition et le vote sanction est un sujet complexe. Il y a actuellement un projet de directive européenne sur la taxonomie qui impose de nouvelles contraintes pour les investisseurs institutionnels pour justifier leurs investissements dans les entreprises qui n'iraient pas assez vie en matière de décarbonisation.

Cela risque d'amener beaucoup de gérants à finalement exclure nombre de sociétés, notamment énergétiques, pour éviter de rédiger des rapports de conformité, d'expliquer aux clients leurs choix... Ce désengagement pourrait alors profiter à des investisseurs non européens, moins scrupuleux sur les questions climatiques. Nous avons bien un risque important de souveraineté de nos entreprises qui assurent notamment notre approvisionnement énergétique. Au lieu d'exclure, il est préférable d'accompagner les sociétés dans leur transition, même si cela peut paraître frustrant compte tenu de l'urgence climatique.

La démission d'Emmanuel Faber chez Danone sonne-t-elle, selon vous, comme un aveu d'échec de la RSE ?

C'est clairement un échec de la gouvernance ! D'ailleurs, le nouveau directeur général a confirmé toute la stratégie de Danone en matière de RSE et la mission du groupe. C'est donc une question de personne. Nous sommes intervenus en début d'année pour manifester notre inquiétude sur la fuite d'informations confidentielles provenant du conseil. C'est regrettable. Nous pouvons également nous interroger sur l'attitude d'un fonds activiste, après une attaque en règle contre le PDG Emmanuel Faber, alors même que la société ne pouvait répondre en période de publication des résultats.

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Nous avons déposé avec plusieurs actionnaires un point à l'ordre du jour demandant aux administrateurs de préciser lors de la dernière AG leur vision de Danone et ce qu'ils pouvaient apporter au CA. Seuls cinq d'entre eux, dont l'administrateur référent et le président du Conseil, sont intervenus. Nous regrettons que Franck Riboud, ancien PDG du groupe, ne se soit pas exprimé, comme d'ailleurs les autres principaux administrateurs. L'intervention de Pascal Lamy qui dirige le nouveau comité de mission de Danone était pré-enregistrée, sans possibilité de répondre à des questions. Nous nous interrogeons également sur le processus de nomination du nouveau directeur général. Nous avons été dans l'impossibilité de poser des questions. Reste que les résolutions ont été voté à plus de 90%, ce qui témoigne d'une adhésion des actionnaires au changement d'équipe.

Pour la seconde année consécutive, les assemblées générales se sont déroulées à huis clos. Cela change-t-il la donne pour les actionnaires ?

Cela change effectivement beaucoup de choses. Certaines sociétés ont bien fait les choses, en permettant, comme Total, de poser des questions. Mais une seule société, Amundi, a proposé le vote en direct. Nous nous demandons pourquoi les autres sociétés n'ont pas suivi cet exemple : elles avaient largement le temps de le faire. C'est un vrai sujet de gouvernance. Dans trois cas emblématiques, les AG virtuelles ont vite montré leurs limites.

Le premier concerne Stellantis, né de la fusion entre Peugeot et Fiat. La réunion a duré moins d'une heure, aucune question sur l'avenir de l'un des fleurons du CAC 40, qui devient une filiale d'un holding immatriculé aux Pays-Bas. Nous n'avons aujourd'hui, par exemple, aucune idée de la rémunération de monsieur Carlos Tavares tant au titre de Peugeot qu'au titre de Stellantis. Cela montre bien qu'une AG physique est indispensable pour permettre aux actionnaires de s'exprimer.

Autre cas problématique, EssilorLuxottica dont l'AG devait avaliser le changement de gouvernance et la prise de contrôle du groupe par les Italiens. Là aussi, impossible de poser des questions. Ni le Président du Conseil, ni le CEO, ne se sont exprimés en direct pendant une AG retransmise intégralement en différée. Enfin, l'AG de Vivendi doit se prononcer sur une résolution sur la possibilité de lancer une OPRA (offre publique de rachat d'actions) portant sur 50% du capital, qui pourrait permettre à Vincent Bolloré d'opérer une prise de contrôle totale sur la société. D'autres AG s'annoncent compliquées, comme celle d'Atos et bien sûr, celle de Solutions 30, qui est le nouveau sujet chaud de la place de Paris.

Quels sont les autres points de vigilance de Phitrust cette année ?

En période de crise sanitaire et de creusement des inégalités, nous sommes particulièrement vigilants cette année sur la question des rémunérations mais aussi plus globalement sur le partage de la valeur. Nous avons évoqué ces sujets avec pratiquement toutes les sociétés que nous suivons. Certaines sociétés ont pris la décision de réduire les rémunérations des dirigeants, selon des formes variées. Soulignons l'initiative d'Amundi dont les deux dirigeants ont renoncé à la moitié de leur rémunération variable. D'autres sociétés ont créé des fonds pour soutenir leurs salariés pendant cette crise. Mais la question du partage de la valeur n'est pas encore un sujet de débat ou de proposition en AG, loin de là !

Quel sont les autres faits marquants de cette saison des AG qui ont retenu votre attention ?

Je note des quorums importants et la plupart des résolutions sont votées à des niveaux rarement atteints ! C'est sans doute l'une des conséquences des AG virtuelles. Le huis clos ne favorise pas l'engagement actionnarial. La crise également suscite davantage d'adhésion au management, surtout si l'entreprise publie des résultats satisfaisants et que les cours de Bourse ne décrochent pas. Il n'y aurait sans doute pas eu de changement de gouvernance chez Danone si le titre n'avait pas perdu un quart de sa valeur. Historiquement d'ailleurs, quand la Bourse se porte bien, les actionnaires sont moins regardants sur les questions de gouvernance ou de stratégie. Ces questions seront sans doute reportées à l'an prochain.

Le groupe Accor vient d'annoncer son intention de lancer un SPAC. Quel regard portez-vous sur ce type de véhicule cotée ?

Je trouve assez étrange que l'on accepte la création d'entités cotées qui vont racheter des sociétés qui, parfois, ne respectent pas suffisamment la réglementation pour être cotées. C'est un détournement de la régulation, même si c'est probablement moins le cas en Europe qu'aux Etats-Unis. Ensuite, ces structures permettent à leurs promoteurs d'engranger rapidement leurs plus-values, selon le mécanisme du carried Interest, dès leur projet d'acquisition réalisé. C'est un peu comme dire aux investisseurs : mettez votre argent et j'empoche tout de suite la plus-value en vous laissant la société acquise sur les bras ! Je rappelle que dans le private equity, les promoteurs réalisent leurs gains au bout de 8 ou 10 ans, une fois qu'ils ont réussi à développer et à bien gérer la société. Enfin, une question se pose sur la protection des petits porteurs qui vont investir leur argent après la réalisation de l'acquisition par le SPAC, sur la seule confiance qu'ils portent à la réputation des promoteurs.

Cela me rappelle l'aventure de LibertySurf dans les années 2000, structure lancée en pleine bulle Internet, par des actionnaires de renom, en l'occurrence Kingfisher et Bernard Arnault, et valorisée 4,5 milliards d'euros lors de son introduction en Bourse. La boîte a été revendue un an plus tard sur la base d'une valorisation de 900 millions d'euros ! La vente de LibertySurf aura été une bonne affaire pour les promoteurs mais désastreuse pour nombre de petits actionnaires. Nous sommes sur un vrai sujet de transparence et de confiance.

De quoi le phénomène SPAC est-il révélateur du climat qui règne actuellement en Bourse ?

Ce phénomène des SPAC est clairement le révélateur d'une certaine survalorisation de la Bourse et d'une course aux profits à court terme. Nous sommes dans le même esprit qui régnait lors de l'éclatement de la bulle Internet avec une multiplication de structures financières et de cascades de holdings, dont la vocation était avant tout de générer du profit à court terme. C'est extrêmement dangereux.

Avec les SPAC, nous sommes loin de l'idée de l'investisseur à long terme dont la Bourse a besoin pour accompagner les entreprises dans leur développement et leur transition énergétique. Nous avons besoin de la Bourse mais pas des spéculateurs. Car, le jour où les marchés iront plus mal, tous ces actionnaires disparaitront aussi vie qu'ils sont apparus. Il faut encourager l'investisseur de long terme, notamment via des dispositifs d'épargne retraite par capitalisation plus musclés, et favoriser les actionnaires individuels qui se révèlent les plus fidèles en cas de coup dur.

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Commentaires 2
à écrit le 02/06/2021 à 18:21
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J'aurai tendance a être plutôt d'accord avec ce monsieur mais il devrait aller plus loin. En 2016 il écrivait "La démocratie actionnariale a-t-elle encore un sens ?" a part les célèbres fraises de carrouf... C'est vrai qu'il n'y a pas grand choses.. ...

à écrit le 02/06/2021 à 14:29
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rassurant de voir qu'il y a quand meme des gens inquiets de la creation de coquilles vides pour ' epargants' cupides...........moi je propose des sfac pour faire du forex et du bitcoin, c'est le summum pour plumer le gogo

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