L’AMF inflige une amende record à la société de gestion H20 AM

Le gel d’une partie des fonds de H20 AM en 2021 avait défrayé la chronique financière. La Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers a suivi l’avis du collège du superviseur et validé tous les griefs portés à l’encontre de H20 AM, une société de gestion pointue qui fit les belles heures de Natixis. Les sanctions sont lourdes et le charismatique patron et fondateur de H2O AM, Bruno Crastes, se voit privé de toutes responsabilités opérationnelles pendant cinq ans. H20 AM vient de contester la sanction devant le Conseil d’Etat.
Le superviseur des marchés financiers en France a frappé très fort à l'encontre de la société de gestion H2O AM, basée à Londres.
Le superviseur des marchés financiers en France a frappé très fort à l'encontre de la société de gestion H2O AM, basée à Londres. (Crédits : HANS LUCAS/REUTERS)

La sanction est tombée et elle est lourde. Dans sa décision du 30 décembre, la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a infligé une amende record à la société de gestion H2O AM, basée à Londres, et à ses deux dirigeants fondateurs pour « plusieurs manquements à leurs obligations professionnelles ». L'amende s'élève à 75 millions d'euros pour H2O et à 15 millions pour Bruno Crastes, directeur général, et 3 millions pour Vincent Chailley, directeur des investissements, et ce conformément aux réquisitions prises lors d'une séance publique en novembre 2022.

Plus grave encore, à ces sanctions pécuniaires s'ajoute une interdiction d'exercer le métier de gérant, « directement ou par délégation », ou de dirigeant de H20 pour Bruno Crastes pendant cinq ans. Cela sonne comme une mise à mort professionnelle pour celui qui a été longtemps considéré comme l'un des plus brillants traders de sa génération, voire comme une véritable « star » sur les marchés de taux.

Recours devant le Conseil d'Etat

La Commission a souligné « la gravité des manquements » et « le préjudice subi par les investisseurs, résultant en particulier du blocage de leur épargne ». Elle a surtout retenu l'ensemble des faits reprochés à l'ex-filiale de Natixis (même si la banque détient toujours 23 % du capital, en voie de cession au management de H20) dans sa gestion de plusieurs de ses fonds vedettes, qui ont longtemps trustés les meilleures places en termes de performance et dont les conseillers en gestion de patrimoine (CGP) raffolaient pour leurs clients.

Ce mercredi matin, la société H20 a annoncé qu'elle allait déposer un recours devant le Conseil d'État jugeant la sanction « disproportionnée » au regard du dossier en soulignant « qu'aucune erreur intentionnelle n'a été commise ». Logiquement, Bruno Castres quitte son poste de directeur général, mais « reste au sein de la société en tant que directeur de la stratégie ». C'est donc Loïc Guilloux, co-directeur général, qui reprend la totalité de la direction générale.

La galère Lars Windhorst

Pour résumer, le régulateur reproche à H20 AM d'avoir investi quelque 2,2 milliards d'euros dans des actifs illiquides, en dehors de toute règle de bonne gestion, d'autant que ces titres étaient tous liés au groupe Tennor du financier allemand Lars Windhorst.

C'est d'ailleurs la question centrale à laquelle ni les régulateurs, ni même H2O n'ont réellement répondu : pourquoi deux hommes de marché aussi avisés que Bruno Crastes et Vincent Chailley ont-ils confié 2,2 milliards d'euros à un homme d'affaires dont il suffisait de lire la presse pour connaître sa réputation sulfureuse. D'autant que le private equity n'a jamais été la tasse de thé de H2O AM, société plutôt réputée pour sa gestion « global macro » à effet de levier sur des marchés très liquides (taux, devises, actions...). D'où d'ailleurs le nom même de la boutique H20 censé souligner la transparence et la liquidité de ses fonds.

Et, dans cette affaire, il n'y a jamais eu de transparence, ni de liquidité. L'affaire éclate en juin 2019 lorsque le Financial Times révèle la présence dans plusieurs fonds gérés par H20 AM d'actifs peu liquides, émis par les sociétés de Lars Windhorst. Cette information a provoqué une crise de confiance dans H2O AM et une première vague de rachats. Le Covid et le violent retournement de marché de mars 2021 a complètement pris à contrepied les paris de H20 AM et fragilisé encore un peu plus l'édifice, provoquant une deuxième vague de rachats.

Mécaniquement, les actifs illiquides, par nature invendables en période de crise, pesaient de plus en plus dans les fonds dont la valorisation chutait parallèlement avec la baisse des marchés. Du coup ces actifs représentaient un poids supérieur au seuil maximum autorisé de 10% détenu sur un même actif (et/ou une exposition maximale de 5 % sur une même contrepartie). C'est d'ailleurs en partie sur ce point qu'H2O conteste la décision de l'AMF qui, selon la société, « n'a pas examiné la question de la liquidité à la date d'acquisition des titres non cotés, mais à une date bien ultérieure ».

Fonds cantonnés

Après plus de 8 milliards d'euros de rachats, H2O AM a finalement été contraint dsuspendre les transactions sur sept fonds de droit français fin août 2020, puis de créer en octobre, des fonds de cantonnement, les fameux side pockets , dans lesquels furent logés tous les actifs illiquides afin de pouvoir, selon H20 AM, mieux les vendre au fil de l'eau. Au départ, ces actifs ont été dépréciés à 1,6 milliard lors de la création des side pockets, puis à nouveau dévalorisés à 1,1 milliard d'euros en septembre 2022.

Depuis, H20 AM promet un remboursement prochain qui tarde à venir, sans indication sur la valeur de ces actifs. Entre-temps, Tennor, le holding de Lars Windhorst, a obtenu de ses créditeurs, dont H20 AM, la possibilité de consolider toutes ses dettes au sein d'une émission de dette unique, en théorie remboursable en 2022. H20 AM a toujours justifié la non publication des valeurs liquidatives des side pockets pour mieux négocier avec Tennor le rachat de ses titres émis.

Hasard ou non, H20 AM vient d'annoncer sur son site une première phase de remboursement des side pocket« dans les prochains jours ». Suite à un remboursement partiel de la dette unique effectuée en décembre dernier, « le nominal sera réduit de 250 millions d'euros ». Sans préciser cependant si ce montant correspond à la première tranche de remboursement.

Action en justice

Les attendus de l'AMF sont sévères et pourraient désormais alimenter des actions en justice de la part de porteurs de parts de side pockets. Un collectif d'épargnants est notamment sur le point de saisir la justice pour obtenir des dédommagements. D'ailleurs, la société de gestion, qui gère toujours 12,3 milliards d'actifs, a déjà provisionné 200 millions d'euros pour faire face à d'éventuels litiges ou sanctions.

La sanction de l'AMF est la plus lourde jamais prononcée à l'encontre d'une société de gestion. Le superviseur avait déjà infligé une amende de 35 millions d'euros à Natixis en 2017, un montant finalement ramené à 20 millions d'euros. En août 2021, la société Amundi, numéro un européen de la gestion d'actifs, avait également été condamnée à une amende de 32 millions d'euros pour « manipulation de cours » sur des opérations réalisées en 2014 et 2015.

Le temps du superviseur est long, bien plus long que celui de l'actualité. L'AMF avait été critiquée sur son silence lors du gel des fonds H2O AM, voire avant lors des premières vagues de rachats durant l'été 2019. Se posaient alors la question de la réglementation européenne Ucits, qui permet la commercialisation, selon certaines conditions, de fonds alternatifs (hedge funds) directement auprès des particuliers.

Les fonds H2O étaient des fonds Ucits mais de par leur nature et leur effet de levier, ils n'étaient pas forcément compris, dans toute leur dimension risque, par les souscripteurs et les réseaux de distribution (CGP, assureurs, gestion privée). La performance de ces fonds durant les années 2016-2020, bien au-dessus de la moyenne des fonds de même style de gestion, a vite balayé toutes les interrogations.

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