Paiement fractionné : Bercy met la question de l'encadrement des pratiques entre les mains de Bruxelles

Le rapport parlementaire Chassaing sur le surendettement recommande de mieux encadrer les pratiques liées au microcrédit et au paiement fractionné, sans attendre la mise en œuvre de la révision de la directive européenne sur le crédit à la consommation, actuellement en cours de discussion à la Commission européenne. La France souhaite cependant s’emparer du sujet lors de sa prochaine présidence de l’Union européenne pour faire aboutir le texte européen, sans légiférer en amont.
Le marché du paiement fractionné est estimé à environ 10 milliards d'euros en France en 2020, en croissance de 20 à 30%.

Le paiement fractionné, soit payer en plusieurs fois un achat, est le sujet du moment. Pourtant, dans un rapport parlementaire très attendu sur le surendettement, la question de l'encadrement de ces nouveaux modes de paiement est juste effleurée. Le député Philippe Chassaing a certes plaidé, mardi lors de la remise du rapport au ministre de l'économie, Bruno Le Maire, « pour légiférer sans attendre le vote de la directive européenne ». Même si, précise le député, « nous n'avons pas à ce stade de preuve qu'il y aurait une multiplication de cas de surendettement résultant de ces nouvelles modalités de consommation. Mais l'expérience montre que le surendettement provient souvent du crédit de trop ».

Pour Bercy, le calendrier reste avant tout européen. « Le paiement fractionné est un vrai sujet de préoccupation. Mais la réforme du paiement fractionné pour mieux protéger le consommateur doit se faire dans le cadre de la révision de la directive européenne (sur le crédit à la consommation, NDLR) et notre objectif est que cette directive permettant un meilleur encadrement du paiement fractionné soit adoptée sous la présidence française de l'Union européenne (qui doit débuter au 1er janvier 2022 pour six mois, NDLR) », explique Bruno Le Maire.

Le paiement différé (acheter maintenant, payez plus tard) ou le paiement fractionné sont des modalités de crédit qui passent actuellement, en France, sous les radars de la loi Lagarde sur le crédit à la consommation. Ce sont en effet des crédits soit de petits montants (moins de 200 euros), soit d'une durée inférieure à 90 jours.

C'est pourtant un business en plein essor, qui permet de combiner à la fois les marges du crédit à la consommation et la croissance explosive de l'e-commerce. Résultat, ce type de crédit non régulé est le secteur le mieux valorisé dans le monde de la fintech et attire une multitude d'acteurs, régulés ou non.

Lame de fond

« Nous assistons à une lame de fond », convient Geoffroy Guigou, le cofondateur de Younited Crédit, qui doit annoncer, la semaine prochaine, le lancement d'une solution de paiement fractionné pour l'ensemble des commerces. Le rapport du député Chassaing estime à environ 10 milliards d'euros le marché du paiement fractionné en France en 2020 - c'est encore marginal - mais la croissance est à deux chiffres depuis plusieurs années.

De fait, le paysage évolue, et très vite. Le géant suédois Klarna est valorisé 46 milliards de dollars, Apple a annoncé cet été une fonctionnalité de paiement différé sur sa carte de crédit, l'américain Square vient de racheter l'australien Afterpay, autre poids lourd du secteur, pour 29 milliards de dollars et, PayPal se lance dans une guerre des prix en proposant une offre gratuite de paiement en 3 ou 4 fois, avec la France comme marché pilote.

Les acteurs traditionnels sont également de la partie. BNP Paribas vient de racheter, au prix fort (soit 250 millions d'euros), Floa Bank et Oney propose un service de paiement fractionné permanent sur une carte Visa. Certains acteurs du e-commerce proposent même d'acheter un tournevis en 3 fois !

Cette révolution des modes de consommation ne pouvait pas laisser indifférents les régulateurs, ni même les associations de consommateurs. En France, UFC-Que Choisir a même déposé plainte en avril dernier pour pratiques commerciales trompeuses à l'encontre de Bling, Cashper et Floa Bank.

Parallèlement, la proposition de révision de la directive européenne sur le crédit à la consommation suggère d'aligner la réglementation du paiement fractionné sur celle des crédits classiques. Même Klarna a senti le vent du boulet et vient d'annoncer, sur le marché britannique, plusieurs mesures visant à anticiper une nouvelle réglementation (présenter le paiement différé comme un crédit, proposer une option de paiement comptant, renforcer l'information du consommateur).

Difficile, en effet, d'éviter à ce qu'un consommateur multiplie les achats en paiement fractionné auprès d'une multitude d'enseignes et de prêteur. Et dans le modèle anglo-saxon, peu importe que le client ne puisse pas rembourser à temps car les pénalités de retard constituent en soi une source de revenus (jusqu'à 15% chez Klarna). C'est moins le cas en France et la fintech française Alma propose même d'interdire les pénalités de retard sur les crédits de petits montants.

Le paiement fractionné est un crédit

La plupart des acteurs français du paiement fractionné s'accordent au moins sur deux points (même s'il n'y a pas encore de position commune de la profession) : le paiement fractionné est un crédit et il faut mieux l'encadrer, mais de façon homogène au niveau européen.

« Il faut appeler un chat un chat. Le paiement fractionné est un crédit mais c'est un crédit de nature différente de celle d'un crédit à la consommation standard. Aujourd'hui, chaque pays a une vision différente sur le sujet, sans réel bénéfice pour le consommateur. Il est temps d'harmoniser les pratiques au niveau européen. Mais le paiement fractionné ne doit pas être encadré de la même manière car cela rendrait presque impossible de proposer un parcours client suffisamment fluide pour assurer au marchand un taux d'acceptation élevé des dossiers », souligne Louis Chatriot, patron de la fintech Alma.

D'autres acteurs sont davantage enclins à un alignement de la réglementation sur celle du crédit à la consommation. C'est le cas des banques en général, plus équipées dans le domaine de la conformité, mais moins aguerries dans l'expérience client. Mais d'autres fintechs sont prêtes à jouer le jeu. C'est le cas de Younited Credit, qui en fait même son axe de communication.

« Nous avons fait le choix, même pour les petits montants et les durées courtes d'utiliser le support juridique du crédit à la consommation. Concrètement, dans le parcours utilisateur, le client signe un contrat de crédit. C'est d'ailleurs la voie que semble prendre la directive européenne. Nous anticipons de trois ou quatre ans la régulation européenne », avance Geoffroy Guigou.

Vers un crédit responsable

La question est sensible car pour les commerçants, bien étrillés par la crise sanitaire, le paiement fractionné est une manne : il dope à la fois le panier moyen et le taux d'acceptation. « Il faut certes éviter les dérapages et les pratiques douteuses, mais il ne faut pas non plus oublier l'utilité sociétale et économique de ce produit », prévient un acteur du marché. En clair, les commerçants redoutent une chute du chiffre d'affaires en cas de règles trop contraignantes sur le paiement fractionné.

Ce qui renvoie au scoring des clients, un sujet sensible car il pose le débat sur l'accès aux données bancaires à des tiers (open banking permis par la directive européenne DSP2). Pour nombre d'acteurs du crédit ou du paiement fractionné, l'absence en France de tous fichiers positifs (registre des crédits), une idée écartée par le Conseil constitutionnel en 2014, peut être comblée par l'open banking pour éviter les situations de surendettement, notamment auprès des clientèles les plus fragiles.

Certes, le rapport Chassaing suggère un recours plus systématique au FICP (fichier des incidents de paiement), géré par la Banque de France. Mais ce fichier, dont l'accès est payant sur la base d'une commission fixe, semble peu adapté aux crédits de petits montants.

« La seule vraie question qui se pose à un prêteur responsable est celle de l'accès aux données bancaires. C'est pourquoi nous poussons à un open banking sans frictions, qui permettrait aux consommateurs de partager facilement et en toute sécurité leurs données bancaires avec les acteurs régulés afin que ceux-ci puissent scorer tous les clients et non plus seulement les profils à risque, parfois sur des critères non financiers potentiellement imprécis. La mise en place d'un tel open banking sans frictions permettrait d'accroître l'accessibilité au crédit », estime Louis Chatriot.

Certes, la DSP2 existe. Mais beaucoup de fintechs se plaignent toujours de la difficulté de la mise en œuvre. « C'est toujours la croix et la bannière pour accéder aux données bancaires. Il faut un parcours plus fluide. Peut-être que c'est possible avec la DSP2 ou peut-être faut-il aller vers une DSP3 et remettre le métier sur l'ouvrage pour de nouveaux règlements d'exécution », nous confie une fintech.

Une responsabilité partagée

Les grandes banques se montrent encore rétives à jouer les règles de la DSP2, comme l'a récemment souligné Nicolas Théry, président de la Fédération bancaire française. Ce dernier a en effet, dans entretien accordé aux Echos, qualifié « d'absurde » la réglementation européenne DSP2.

Si tous les acteurs du paiement fractionné se félicitent de la volonté européenne d'harmonisation des pratiques, chacun se demande jusqu'au ira cette volonté d'encadrement, sans risquer de tuer dans l'œuf des nouveaux modes de consommation.

« A un moment donné, il faudra aussi s'interroger sur le modèle de société que l'on souhaite. Est-il normal de payer une paire de baskets en trois fois ? C'est la responsabilité des politiques ou des prêteurs de se poser cette question. Mais c'est également de la responsabilité des commerçants qui ont décidé d'afficher le paiement fractionné comme moyen de paiement. Les enseignes ne peuvent plus se désolidariser de ses sujets de protection du consommateur », souligne Geoffroy Guigou. L'objectif est bien d'éviter de faire du paiement fractionné le nouveau subprime de la consommation.

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