La décision est d'importance pour l'industrie du paiement en Europe. La Commission européenne a officiellement accusé le géant américain Apple de pratiques anticoncurrentielles en imposant aux utilisateurs d'iPhone d'utiliser son wallet (portefeuille numérique) Apple Pay, à l'exclusion de tous les autres, pour effectuer un paiement mobile. Une situation que ne cessent de dénoncer les banques, notamment en France où le développement de la fonction de paiement du système interbancaire Paylib est bridée, faute de pouvoir l'utiliser sur un appareil mobile d'Apple.
Or, au-delà de la part de marché des iPhone, il est reconnu que les utilisateurs d'Apple sont non seulement sur-représentés dans le paiement mobile mais que leurs dépenses mobiles sont plus élevées que la moyenne.
Pour la Commission, gardienne de la concurrence au sein de l'Union européenne, la conclusion de l'enquête ouverte en juin 2020 est sans appel : Apple « abuse de sa position dominante sur le marché des portefeuilles numériques », selon un communiqué. Cette décision a été notifiée ce lundi 2 mai au groupe de Cupertino, qui a désormais accès au dossier pour répondre.
Rappelons que Bruxelles avait déjà accusé Apple, il y a un an, de fausser la concurrence sur le marché de la musique en ligne, toujours en « abusant de sa position dominante » pour évincer ses rivaux, comme Spotify, qui avait d'ailleurs déposé plainte.
Protection des clients ou d'Apple ?
« Nous disposons d'éléments nous indiquant qu'Apple a restreint l'accès de tiers à la technologie clé nécessaire pour développer des solutions de portefeuilles mobiles concurrentes sur les appareils d'Apple (...) au profit d'Apple Pay », a reconnu la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, lors d'une conférence de presse.
Apple Pay est en effet la seule solution de portefeuille mobile à avoir accès à la technologie NFC (Near Field Communication) équipant les iPhone ou iPad pour échanger les données nécessaires au paiement sans contact dans des magasins ou en ligne. Ce qui interdit de fait aux développeurs tiers d'accéder à son antenne NFC.
Une position assumée de longue date par Apple, soucieux de préserver son écosystème, au nom de la protection des données personnelles de ses clients. « Apple Pay n'est qu'une des nombreuses options offertes aux consommateurs européens pour effectuer des paiements », souligne le groupe américain. Certes, mais pas sur un iPhone...
Directive européenne en vue
Aucune date limite n'a été fixée pour la poursuite de l'enquête de l'Union européenne Si Apple est reconnu coupable, il devra renoncer à ses pratiques ou s'exposer à des amendes pouvant atteindre 10% de son chiffre d'affaires annuel. La procédure peut être longue mais elle vient en appui de la prochaine directive Digital Markets Act (DMA) qui vise à contrecarrer « l'hégémonie » des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) dans le paysage numérique, au nom de la souveraineté des pays européens. La présidence française du Conseil de l'Union européenne en a même fait une priorité.
Or, ce texte, un peu fourre-tout avec une liste d'interdictions et d'obligations pour les poids lourds du web, vient de recevoir un feu vert provisoire du Conseil européen et du Parlement européen. Il prévoit déjà de « forcer » Apple à ouvrir ses iPhone et autres iPad à n'importe quelle application. Un cauchemar pour Apple qui a fondé son succès (et sa richesse) sur le principe du club VIP réservé aux happy few.
Course contre la montre
La question de l'accès à l'antenne NFC des iPhone n'est pas explicitement abordée dans le texte mais il est indiqué que les géants du web ne pourront plus limiter certaines technologies à leurs seules applications. Ce qui pourrait s'appliquer à la puce NFC (une technologie européenne !) de l'iPhone.
Cette nouvelle directive devrait entrer en vigueur d'ici la fin de l'année, éventuellement dès octobre prochain. Apple ne pourra guère se battre sur deux fronts et le monopole d'Apple Pay sur les appareils mobiles Apple devrait logiquement tomber. Le temps presse, selon les professionnels du paiement. La firme à la pomme a largement profité de la crise sanitaire pour faire (enfin) décoller son service Apple Pay, qui commence à s'installer dans les usages. « Il est toujours difficile de riposter face à une application de paiement déjà ancrée dans le quotidien », note un expert de la monétique.
D'autant que la quasi-totalité des banques acceptent désormais Apple Pay comme service de paiement de mobile, même au détriment de leur propre application Paylib. Or, c'est bien aujourd'hui que les places sont à prendre : « Nous constatons un véritable tournant du paiement mobile en France et en Europe », nous confiait récemment un banquier.
Et sur ce segment porteur, les acteurs européens restent à la fois fragmentés et divergents sur les stratégies à suivre. Seule la Commission européenne est susceptible de donner un élan pour contrer les paiements. Mais elle doit, pour cela, un peu tordre le bras à ses principes de concurrence, ceux-là mêmes qui sont mis en avant pour attaquer Apple !
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