Finance durable : l’AMF veut faire la chasse au greenwashing

L'Autorité des marchés financiers souhaite améliorer l'information donnée aux épargnants en matière de finance durable. Le gendarme veut s'assurer de l'équilibre entre le discours commercial et l'importance de la dimension extra-financière dans la gestion du produit.
Juliette Raynal
(Crédits : Benoit Tessier)

Un fonds présenté comme durable est-il vraiment durable ? Difficile pour un investisseur particulier d'avoir cette appréciation critique, alors même que le vocabulaire en la matière est loin d'être normé, les sociétés de gestion ayant recours à des mots clés variés comme éthique, responsable, impact ou encore ESG, sigle désignant les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.

Face à ce manque de lisibilité, l'Autorité des marchés financiers (AMF) souhaite améliorer l'information donnée aux épargnants en matière de finance durable pour qu'ils puissent être en mesure de distinguer le niveau d'intensité de la dimension extra-financière d'un produit. Elle publie, ce mercredi 11 mars, une première doctrine en ce sens. Celle-ci s'inscrit dans une mission plus large qui consiste à veiller au caractère clair, exact et non trompeur de l'information communiquée aux investisseurs.

Cette publication intervient alors que l'intérêt des épargnants pour la finance durable est grandissant. Selon une enquête Ifop, publiée en septembre dernier, 60% des Français sondés accordent une place importante aux impacts environnementaux et sociaux dans leurs décisions de placements, contre 50% en 2013. L'encours des fonds durables ouverts aux épargnants français a, quant à lui, presque doublé en un an, à 278 milliards d'euros à la fin 2019, selon Novethic.

Des discours commerciaux de plus en plus ambitieux

"Le développement de ce marché n'est pas nouveau, mais il s'est beaucoup fait sur la base d'investisseurs institutionnels. Un changement de tendance s'est opéré fin 2018, début 2019 avec un caractère plus grand public", a souligné Benoît de Juvigny, le secrétaire général de l'AMF, lors d'une conférence de presse.

"Plusieurs sociétés de gestion de taille importante ont annoncé vouloir intégrer l'approche ESG à une large part de leur gamme et les discours commerciaux sont de plus en plus ambitieux", pointe le secrétaire général.

Preuve de ce mouvement de fond, 21% des publicités sur les produits financiers en 2019 mettaient en avant la thématique finance durable, selon le décompte de l'AMF.

L'autorité explique vouloir "encourager et accompagner la dynamique en faveur d'une finance durable, tout en veillant à assurer les conditions de la confiance et l'émergence de bonnes pratiques", dans un contexte où les particuliers éprouvent un certain scepticisme à l'égard des institutions financières.

Logique de proportionnalité

Concrètement, l'institution souhaite s'assurer de l'équilibre entre l'importance de la dimension extra-financière dans la gestion du produit et la place accordée à la finance durable dans la communication.

"Ce qui pose problème, c'est une prise en compte de la dimension extra-financière limitée dans la gestion avec une forte communication", résume Philippe Sourlas, secrétaire général adjoint, en charge de la gestion d'actifs.

Dans sa doctrine, l'AMF considère ainsi qu'un acteur fait de la finance durable un élément principal de son discours commercial s'il reprend des termes extra-financiers (éthique, responsable, ESG, durable, impact, ISR) dans le nom du fonds, dans le document de synthèse ou dans la documentation commerciale, au-delà d'une évocation très brève et proportionnée.

Par ailleurs, les fonds qui souhaiteraient faire de la finance durable un élément central de leur communication devront justifier d'un engagement significatif. Des objectifs mesurables de prise en compte des critères extra-financiers devront figurer dans les documents réglementaires et ces objectifs devront atteindre un certain seuil pour assurer une réelle distinction entre les approches.

Entrée en vigueur immédiate

A titre d'exemple, un fonds pourra communiquer de façon centrale sur le financement de la transition écologique s'il a investi à hauteur de 75% dans des obligations vertes (ou green bonds en anglais). De même, un fonds ayant reçu le label Investissement socialement responsable (ISR) - soutenu par le ministère des Finances et délivré après un audit poussé mené par des organismes externes - pourra largement communiquer sur la dimension finance durable.

En revanche, un fonds avec une note extra-financière moyenne du portefeuille non significativement supérieure à l'indice de référence (62/100 contre 60/100 par exemple) ne pourra pas communiquer de manière forte sur des notions de finance durable.

Côté calendrier, cette nouvelle doctrine entre en vigueur dès aujourd'hui pour la création ou la modification d'un fonds. Une période de transition, courant jusqu'à la fin du mois de novembre 2020, est prévue pour les fonds déjà existants.

Pas de sanction dans un premier temps

Dans la pratique, l'AMF ne prévoit pas dans l'immédiat de sanctionner les acteurs ne respectant pas cette notion de proportionnalité. "Dans la plupart des cas, nous sommes dans une situation d'agrément. La décision de délivrer un visa nous appartient. Cela nous donne la possibilité de mettre en oeuvre cette doctrine en exerçant notre pouvoir en amont", explique Benoît de Juvigny. L'autorité mise également sur le risque de réputation qu'encourraient les gestionnaires récalcitrants pour enclencher une dynamique positive sur l'ensemble du marché.

A plus long terme, le secrétaire général n'exclut toutefois pas la possibilité d'appliquer des sanctions. Il s'agira alors d'une amende décidée dans le cadre de la commission des sanctions et prise sur la base du non respect du caractère clair, exact et non trompeur de l'information communiquée aux investisseurs.

Actuellement, la doctrine se limite au degré de la prise en compte des caractères extra-financiers, mais ne se penche pas, en revanche, sur la qualité de l'information extra-financière.

Juliette Raynal

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Commentaire 1
à écrit le 11/03/2020 à 19:13
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