Aéronautique : les fournisseurs pourront-ils supporter les hausses de production d'Airbus et Boeing  ?

Symbole de l'ambition retrouvée d'Airbus, l'objectif de produire 75 appareils de la famille A320 par mois à l'horizon 2025 fait débat. Si l'importance du carnet de commandes et les perspectives de marché semblent justifier cette accélération sans précédent, des doutes se font entendre sur la capacité des sous-traitants à absorber un tel effort en sus du redémarrage du 737 MAX de Boeing.
Léo Barnier
Airbus vise 75 avions produits par mois en 2025.
Airbus vise 75 avions produits par mois en 2025. (Crédits : Fabian Bimmer)

La volonté d'Airbus de retrouver rapidement les niveaux de production d'avant-crise pour la famille A320 est à coup sûr une bonne nouvelle pour l'industrie aéronautique. L'ambition du constructeur européen de poursuivre une montée en cadence très soutenue sur le moyen terme suscite en revanche des inquiétudes sur la capacité de la chaîne de fournisseurs à suivre le rythme. Mise à mal par les deux ans de crise, elle doit également supporter le redémarrage du 737 MAX chez Boeing. Ce risque industriel est pointé par le cabinet AlixPartners au travers de sa dernière étude sectorielle.

Après avoir brutalement réduit ses cadences d'un tiers en 2020 pour faire face à la crise sans précédent du trafic aérien, passant de 60 à 40 appareils de la famille A320 produits par mois, Airbus a rapidement annoncé des perspectives de reprise. En mai 2021, le constructeur confirmait son intention de remonter à une cadence de 45 avions par mois au quatrième trimestre 2021, avant de retrouver le niveau de 2019 puis de le dépasser pour atteindre 64 appareils par mois d'ici mi-2023.

Airbus dépasserait ainsi les prévisions de croissance à court terme qu'il avait établies avant la pandémie, soit 63 appareils par mois, pour atteindre un niveau inédit dans l'histoire de l'aéronautique civile. Et l'avionneur veut aller plus loin : en dépit d'une crise encore prégnante, il s'attèle désormais à son projet de monter à la cadence 70 d'ici à 2024, puis à la cadence 75 d'ici à 2025. Les ambitions sont impressionnantes. Un tel rythme équivaut en effet à 900 avions par an.

Les ambitions de Boeing s'avèrent beaucoup plus modestes pour le 737 MAX, dont les livraisons n'ont repris que fin 2020. Le constructeur américain remonte progressivement vers un rythme d'une trentaine d'appareils par mois d'ici début 2022, puis envisagerait de passer à 42 en cours d'année. Un objectif raisonnable, sachant qu'il doit d'abord composer avec le stock de  370 exemplaires de 737 MAX encore en attente de livraison, suite à la longue interdiction de vol de l'appareil.

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Des perspectives dynamiques

Pour Alain Guillot, directeur associé chez AlixPartners, plusieurs facteurs semblent justifier cette volonté des avionneurs d'accélérer rapidement la cadence. Malgré des annulations, le consultant estime que les carnets de commandes ne se sont pas écroulées, les compagnies aériennes préférant décaler les livraisons que d'y renoncer.

Airbus dispose ainsi d'un carnet de commandes de 5.600 appareils de la famille A320 à livrer, ce qui représente plus six ans de production à une cadence de 75 avions par mois. En juillet dernier, Guillaume Faury, président exécutif d'Airbus, déclarait d'ailleurs aux analystes : « À une cadence de 40 appareils par mois, il faudra 15 ans pour les livrer (les appareils de la famille A320 actuellement en commande, NDLR). Si nous passons à une cadence 60, il faudra 10 ans ou plus. Vous pouvez imaginer que les clients qui ont un A320 ou un A321 dans leur carnet de commandes aujourd'hui ne veulent pas attendre 12 ou 15 ans ».

De son côté, Boeing dispose de plus de 4.000 exemplaires du 737 MAX encore à livrer en dépit de la crise traversée par l'avion en plus de la situation sectorielle.

Les deux avionneurs devraient désormais bénéficier de la reprise du trafic moyen-courrier, avec la nécessité grandissante pour les compagnies de renouveler rapidement leur flotte afin de réduire leurs coûts d'exploitation et répondre à la montée des exigences environnementales. Alain Guillot note d'ailleurs qu'il y a beaucoup de cash disponible sur le marché pour soutenir ce type d'investissement, en particulier chez les compagnies performantes avant crise. Les transporteurs disposant d'un soutien étatique sans faille, comme Air France, ne rencontrent pas non plus de problème de financement.

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Un risque sur les capacités de production

Si les perspectives sont là, c'est plutôt du côté de la chaîne de production que le bât blesse. Alain Guillot explique que « les fournisseurs ont une vraie inquiétude sur leur capacité à suivre les cadences les plus élevées envisagées par les avionneurs. » L'accélération sans précédent voulue par Airbus ne fait d'ailleurs pas que des émules avec des doutes émis au sein de la chaîne de sous-traitance.

Pour Pascal Fabre, également directeur associé au sein du cabinet de consultants, le retour à des cadences pré-crise par les avionneurs ne pose pas de problème majeur pour les équipementiers et les motoristes. C'est donc le fait d'aller nettement au-delà qui pourrait s'avérer compliqué.

Alain Guillot illustre cette réflexion avec la question de l'outil de production qu'il estime adapté à court terme. Celui-ci disposait déjà avant la crise d'une capacité installée pour répondre à une cadence de 57 A320 et 52 Boeing 737 livrés par mois. Le passage à des cadences supérieures nécessiterait en revanche des investissements lourds pour redimensionner l'outil de production en conséquence.

« La question pour un industriel est de savoir pendant combien de temps la demande peut soutenir un niveau de cadences donné, car derrière il y a des investissements industriels tangibles qu'il faut pouvoir amortir », détaille Pascal Fabre. A ce sujet, Olivier Andriès, directeur général de Safran, exprimait des doutes en juillet dernier sur le fait « que le marché ait l'appétit pour de telles cadences » et « que des cadences bien supérieures à 60 appareils par mois puissent être durables ».

Cette problématique arrive également à un moment où la plupart des acteurs ont vu leur trésorerie s'évaporer avec la crise. Déjà sensible chez les équipementiers de rang 1, cette question du financement s'avère encore plus cruciale pour les petits fournisseurs en amont de la chaîne. Certains d'entre eux demanderaient ainsi aux grands groupes industriels de les aider à financer cette croissance.

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Manque de main d'œuvre à venir

Alain Guillot note d'autres freins à la remontée en cadence qui pourraient toucher les avionneurs. En dehors de l'Europe, où les fournisseurs ont bénéficié des mesures de chômage partiel pour préserver leur main d'œuvre, l'industrie a perdu beaucoup de monde pendant la crise. Environ un tiers des effectifs ont été supprimés à travers le monde, voire plus aux Etats-Unis.

D'où une perte de capacité importante, mais aussi de compétences sur certains domaines. « Ces compétences seront longues à reconstituer avec des temps de formation et de qualification significatifs », prévient le consultant. La tendance sera dure à inverser, alors que toute une génération qui a accompagné la montée en puissance industrielle d'Airbus dans les années 1980-1990 s'apprête à partir à la retraite.

Du fait de leurs doutes sur la persistence de la demande, les industriels rechigneraient à anticiper cette montée en cadence alors qu'ils devraient déjà lancer des embauches et de la formation, en particulier sur certains profils qui vont s'avérer durs à remplacer. La capacité humaine de production pourrait donc faire défaut au moment où il faudra accélérer.

La question se pose aussi pour les stocks, que les fournisseurs ont largement écoulés afin de réduire leurs coûts. La chaîne de valeur ne dispose plus de tampon pour absorber une montée en cadence aussi rapide. Là aussi, les prévisions de montée en cadence nécessiteraient une anticipation pour les éléments à long cycle de production. Selon Alain Guillot, ce n'est pas le cas pour le moment.

Léo Barnier

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Commentaire 1
à écrit le 12/11/2021 à 18:49
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Bonjour, On a un sous-traitant airbus dans le coin, comme tout patron qui se respecte il a viré ses intérimaires, expérimentés ils se sont tirés ailleurs et ont gagné plus, et l'entreprise de chercher du monde qui n'éxiste plus.

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