L'Allemagne est-elle vraiment un partenaire fiable vis-à-vis de la France dans le domaine de l'armement ? Berlin va-t-il lâcher une nouvelle fois Paris dans deux programmes que les deux pays devaient pourtant lancer en coopération ? C'est fort possible. L'Allemagne est en train de détricoter l'ensemble des coopérations avec la France et joue un jeu très inquiétant sur le projet de modernisation de l'hélicoptère de combat Tigre, le Tigre Mk3, qui reste un équipement critique pour l'armée française, et sur le projet du futur avion de patrouille maritime (programme MAWS). Sur ces deux programmes, l'armée allemande lorgne sans état d'âme du côté des Etats-Unis, plus particulièrement du côté de Boeing : des Apache AH-64E à la place des Tigre et des P-8A Poseidon à la place du programme MAWS. Si elle confirmait ses choix américains, l'Allemagne n'en sera pas à sa première déloyauté vis-à-vis de la France (missile MAST-F, observation spatiale...)
Dans le même temps, les industriels français jouent le jeu des équipiers modèles dans les programmes Eurodrone (drone MALE) et MGCS, sous leadership allemand. Ce qui n'est pas vraiment le cas des Allemands dans les négociations dans le cadre du SCAF (Système de combat aérien du futur). Qu'attend l'État français pour taper du poing sur la table pour se faire respecter par un partenaire de moins en moins fiable ? Car on peut se demander si l'Allemagne veut vraiment coopérer avec la France ? Emmanuel Macron, qui aura eu le mérite de vouloir lancer des coopérations tous azimuts dans le domaine de l'armement avec l'Allemagne, doit désormais prendre l'initiative avant de subir de plein fouet les décisions allemandes, ce qui serait pour lui catastrophique. Il ne peut pas être tenu responsable de cet échec, car à l'impossible, nul n'est tenu... Et céder aux exigences allemandes serait au regard de l'histoire une faute, surtout à quelques mois de l'élection présidentielle.
MAWS, l'Allemagne penche vers les Etats-Unis
En juin 2019, le Délégué général pour l'armement Joël Barre expliquait dans une interview accordée à La Tribune que la France était "d'accord avec les Allemands pour engager la préparation en commun" sur le programme MAWS. Et de poursuivre : "nous avons déjà signé une lettre d'intention (LoI) et un besoin commun en 2018. Nous voulons mettre au point d'ici à l'été une demande de proposition de première étude à l'industrie pour lancer les premiers travaux fin 2019 qui devraient durer un peu plus d'un an". Quelques jours plus tard, la ministre des Armées Florence Parly confirmait les avancées sur le projet de futur avion de patrouille maritime MAWS (Maritime Airbone Warfare System) qui doit renouveler les capacités de patrouille maritime armée des marines allemande et française à l'horizon post 2030.
Mais l'Allemagne est en train de dynamiter la coopération sur ce programme. Premier coup de semonce de Berlin : les Allemands ont choisi de ne pas moderniser leurs P-3C Orion de Lockheed Martin, qui vont donc être retirés du service à partir de 2025, avant que MAWS puisse voir le jour. Et pour ceux qui n'avaient pas encore compris : Berlin a officiellement demandé à Washington - sans en avertir la France, selon nos informations - d'acheter cinq P-8A Poseidon à Boeing pour remplacer ses vieux P-3C Orion. Les Etats-Unis ont bien sûr répondu favorablement à cette possible vente évaluée à 1,77 milliard de dollars. Le département d'État a officiellement annoncé son accord vendredi. "La vente proposée permettra à l'Allemagne de moderniser et de maintenir sa capacité d'aéronefs de surveillance maritime (MSA) au cours des 30 prochaines années", a-t-il expliqué. Ce qui va ravir à n'en pas douter le ministère des Armées, mis devant le fait accompli...
Modernisation du Tigre : flottements allemands
Les hésitations de l'Allemagne sur la modernisation du Tigre inquiètent et agacent au plus haut niveau en France. Pour autant, la France tente de garder les Allemands dans ce programme. Un programme qui était pourtant sur le point d'être lancé quand Berlin a mis sur la table au moment des négociations finales à partir d'octobre-novembre 2020 le dossier de la faible disponibilité des Tigre de l'armée allemande, selon une source proche du dossier. Pour sauver ce programme, Paris a proposé son aide à Berlin pour améliorer le maintien en condition opérationnelle (MCO) du Tigre. Clairement, Paris fait "partager son expérience MCO sur le Tigre" aux Allemands en leur "montrant comment améliorer la disponibilité des Tigre grâce à des contrats verticalisés", explique-t-on à La Tribune. Des contrats qui ont permis à l'armée de Terre française d'améliorer quelque peu la disponibilité des Tigre.
Aujourd'hui à Paris, plus personne ne semble exclure un nouveau lâchage de l'Allemagne. Si Berlin lâche la France sur la modernisation du Tigre, l'armée de Terre ne pourrait que lancer une modernisation a minima de ses Tigre. Mais le renoncement de l'Allemagne à lancer en coopération le missile MAST-F, qui doit armer le Tigre, était peut-être un premier signal. Qu'il est loin le temps où l'Élysée publiait un tel communiqué : "La France et l'Allemagne conviennent de mettre en place un cadre de coopération pour le prochain standard de l'hélicoptère Tigre, ainsi que pour un programme commun de missiles tactiques air-sol". C'était le 13 juillet 2017 lors du sommet franco-allemand.
Missile MAST-F : l'Allemagne a claqué la porte
En dépit des assurances données, l'Allemagne a finalement claqué en 2018 la porte à la France sur la coopération portant sur le missile air-sol terrestre futur (MAST-F) destiné à armer l'hélicoptère de combat Tigre (Standard 3). Depuis le renoncement de Berlin, le missile MHT (missile haute trame) est actuellement développé par le missilier européen MBDA pour le compte de la seule armée de Terre. Les Allemands ont préféré s'orienter vers le missile israélien Spike. Le choix des Allemands pour une société commune entre l'industriel israélien Rafael, fabricant du Spike, et Rheinmetall, "dont le rôle dans ce programme ne paraît d'ailleurs pas être dominant ‒ ne s'explique pas principalement par des considérations techniques", avait expliqué l'ancien PDG de MBDA Antoine Bouvier, cité dans le rapport du député LREM Jean-Charles Larsonneur, sur l'Équipement des forces et de la dissuasion. Alors même que le MAST-F était le seul développement possible en 2019 dans la coopération franco-allemande, les Allemands ont préféré écarter l'option d'une telle coopération.
Berlin a déchiré le "Yalta" de l'observation spatiale
Novembre 2017, l'Allemagne déchire symboliquement les accords de Schwerin signés avec la France en 2002. Pourquoi ? Berlin a passé une commande de 400 millions d'euros au constructeur de satellites allemand OHB System pour la réalisation de deux satellites d'observation optique. "Pour l'administration française, c'est un coup de canif aux accords de Schwerin dans la défense", explique-t-on à l'époque à La Tribune. Ces accords avaient instauré entre Paris et Berlin un échange d'images optiques Helios et radars SAR-Lupe. Un "Yalta de l'observation spatiale" en quelque sorte, l'optique pour la France et le radar pour l'Allemagne. Même s'il s'en est toujours défendu, Berlin a bel et bien rompu ces accords. L'Allemagne justifie cette décision en expliquant que ces deux satellites seront utilisés par les services secrets allemands (BND) placés sous l'autorité de la chancellerie et non du ministère de la Défense allemand lié par les accords de Schwerin. Mais que la ficelle est grosse...
Le "trucage" des commandes de l'A400M
Certains en France appellent cela un "trucage". De quoi parle-t-on exactement ? Des commandes lors de la signature d'un contrat en coopération. Sur l'A400M, par exemple, l'Allemagne a commandé 73 appareils lors de la signature du contrat en 2001, sachant que la répartition de la charge de travail entre les nations devait se faire en tenant compte du nombre de commandes effectuées. Dans ce cadre, elle a obtenu le fuselage principal (Brême) et les équipements militaires (Ulm). Fidèle à son habitude, Berlin a surestimé son besoin capacitaire comme elle l'avait déjà fait pour le Transall (de 110 à 60). En 2003, elle réduit sa commande à 60 A400M, puis à 53 en 2011. Le parlement allemand a toutefois décidé de ne conserver que 40 appareils, treize exemplaires devant être revendus à l'exportation. C'est la double peine pour les autres pays membres. Non seulement ils ont perdu de la charge de travail, mais en plus ils vont perdre les redevances liées à l'exportation des A400M vendus par Berlin...
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