Comment trois satellites d'Eutelsat ont été espionnés par le satellite russe Luch Olymp 2

La startup Look Up Space a traqué les pérégrinations du nouveau satellite espion russe Luch Olymp 2. Depuis son lancement en mars dernier, il est allé « butiner » trois satellites d'Eutelsat.
Michel Cabirol
Pour l'un des deux fondateurs de Look Up Space Michel Friedling, « l'apparition de plus en plus fréquente en orbite d'objets manoeuvrants constitue la rupture technologique la plus décisive » dans le domaine spatial.
Pour l'un des deux fondateurs de Look Up Space Michel Friedling, « l'apparition de plus en plus fréquente en orbite d'objets manoeuvrants constitue la rupture technologique la plus décisive » dans le domaine spatial. (Crédits : Reuters)

Et revoilà les fameux satellites butineurs russes, la famille Luch Olymp. Vous avez aimé Luch Olymp 1, qui avait notamment espionné en 2017 le satellite franco-italien de communications militaires sécurisées Athena-Fidus, voici son « petit frère » Luch Olymp 2, lancé en mars dernier par la Russie. Aussitôt en orbite, aussitôt en action. Il s'est déjà montré très actif. Mais ces missions d'espionnage ne sont pas passées inaperçues. Elles ont été démasquées et traquées entre autres par la nouvelle pépite de la surveillance de l'espace française Look Up Space, qui n'est pas le seul acteur à surveiller ces satellites espions. Grâce à Synapse - sa plateforme de traitement de données que la startup a développée -, elle peut traquer tous les satellites, y compris les satellites butineurs.

Selon Look Up Space, Luch Olymp 2 a passé un peu moins d'un mois dans sa longitude d'injection (58° E), puis a commencé à dériver vers l'ouest. Puis, le satellite espion s'est arrêté vers le 22 mai vers la longitude 9°E où se trouvent les satellites Eutelsat KA SAT 9A et Eutelsat 9B. Il est resté sur cette position plus de 120 jours. Luch Olymp 2 a quitté la longitude 9° E vers le 25 septembre et s'est déplacé vers la longitude 3°E où se trouve Eutelsat 3B, position à laquelle il est arrivé vers le 8 octobre. Il y est depuis, à proximité d'Eutelsat 3B, soit à quelques dizaines de kilomètres d'Eutelsat 3B. « Ces manœuvres ne sont pas fortuites », affirme le fondateur et directeur général de Look Up Space, le général Michel Friedling (2S), qui a été le premier commandant de l'espace (CDE) de septembre 2019 à juillet 2022.

« L'espace est un domaine de très grande activité même si elle est peu visible. Cette activité se caractérise notamment par de très nombreux rapprochements d'objets, sur tous types d'orbites, en géostationnaire, mais aussi à toutes les altitudes », a rappelé début octobre à l'Assemblée nationale le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace, le général Stéphane Mille.

Localisation des utilisateurs du satellite espionné

Ces manœuvres ne sont pas du tout fortuites. Vraiment pas. En 2018, Florence Parly avait martelé que le rapprochement de Luch Olymp du satellite franco-italien Athena-Fidus était « un acte d'espionnage ». Dans l'année qui a suivi les déclarations de la ministre, Luch Olymp n'a pas cessé... de butiner. Il avait laissé sa carte de visite à huit nouveaux satellites appartenant à différents pays, dont la France (un des satellites Syracuse). « Capable d'écouter le spectre électromagnétique dans les bandes de fréquence utilisées par les satellites de télécommunication et d'analyser les signaux perçus, Luch Olymp contribuerait à l'élaboration de la base de données du système russe de brouillage Tobol, qui cible les satellites de télécommunication en orbite GEO », écrit le général Michel Friedling dans son livre « Commandant de l'espace » à partir des analyses de la Direction du renseignement militaire (DRM) et du CDE.

« Le Luch Olymp serait également en mesure, en se plaçant à quelques dizaines de kilomètres du satellite espionné, de localiser avec précision un utilisateur terrestre du satellite, donc par exemple de déterminer les positions des troupes françaises déployées en opérations extérieures », explique dans son livre le fondateur de Look Up Space.

Plus récemment, le 1er août 2022, quelques mois après l'invasion de l'Ukraine, Moscou a placé à 450 km d'altitude un nouveau satellite espion, Kosmos-2558, sur la même orbite qu'un satellite de renseignement de dernière génération de l'armée américaine USA 326. Les deux satellites étaient distants de quelques dizaines de kilomètres début août 2022. Selon le député Sacha Houlié, auteur du rapport sur l'activité de la délégation parlementaire pour l'année 2022-2023, « ce satellite peut gêner sa cible, perturber sa mission ou encore l'espionner. Les conséquences de ces ingérences modernes peuvent se révéler très impactantes : captation de données, déni de service, satellites rendus aveugles, désorbités voire détruits ».

Les Russes ne sont pas les seuls à envoyer dans l'espace des satellites butineurs, dotés d'équipements permettant l'écoute, la prise de vue ou le brouillage. La Chine et les Etats-Unis utilisent également ces nouvelles armes. Les GSSAP américains, qui sont déployés près de l'orbite géosynchrone, sont conçus pour être manœuvrables et effectuer des opérations de rendez-vous ou de proximité pour examiner de près d'autres satellites ou objets d'intérêt. La Chine a également mis en orbite à partir de 2010 des satellites espions, comme le SJ-12... Pour Michel Friedling, « l'apparition de plus en plus fréquente en orbite d'objets manoeuvrants constitue la rupture technologique la plus décisive » dans le domaine spatial. Ces satellites permettent de recueillir du renseignement, voire d'adresser un avertissement à un pays, ou enfin d'opérer des interférences dans les transmissions du satellite.

Aujourd'hui, tout l'enjeu consiste à détecter la présence de satellites espions, puis à protéger les satellites concernés. « La capacité de défense active consiste notamment à pouvoir répliquer aux actions des uns et des autres : si nous ne sommes pas acteurs, nos mesures passives seront insuffisantes, dans la durée », a expliqué le général Stéphane Mille. Clairement la France est en retard en matière d'actions co-orbitales comme le constatait en décembre dernier à l'Assemblée nationale le commandant de l'espace, le général Philippe Adam : « Leur fameux Luch Olymp vole depuis 2014 alors que nous disposerons d'un premier démonstrateur fin 2024. Nous devons rattraper notre retard et prendre de l'expérience dans ce domaine ».

Une surveillance de l'espace souveraine

Look Up Space, qui a développé sa plateforme sécurisée Synapse, financée en partie par France 2030 et hébergée par le cloud souverain d'OVH, propose un service opérationnel inédit à ce jour. « Elle est prête à être déployée chez les clients », indique Michel Friedling. Avec ces deux fondateurs Michel Friedling et Juan Carlos Dolado, ancien chef du service surveillance de l'espace du CNES, la startup basée dans la région toulousaine pourrait entrer dans le cercle des opérateurs de confiance recherchés par l'armée de l'air et de l'espace. « Il doit être possible d'interagir avec des opérateurs de confiance, bien sélectionnés, pour pouvoir travailler ensemble », a ainsi estimé début octobre le général Stéphane Mille, dont l'objectif reste de privilégier l'achat patrimonial d'infrastructures orbitales.

Look Up Space, qui s'appuie actuellement en grande partie sur des données publiques, souhaite développer une capacité souveraine européenne duale répondant aux enjeux politiques et stratégiques de sécurité dans l'espace (Space Traffic Management) et aux enjeux de défense. En consortium avec Cisteme et Selha Group ainsi que neuf autres PME et ETI, la startup développe un radar de surveillance de l'espace (SSA) baptisé Sorasys, financé également en partie par France 2030. Ce radar permettra de réduire de 90% le risque de perte des infrastructures spatiales européennes, grâce à la détection et au catalogage des objets de taille supérieure à 3 cm en orbite basse.

Look Up Space compte valider cette technologie fin décembre en laboratoire et mettre au point dès la fin 2024 un premier démonstrateur, sur lequel travaille actuellement plus de 50 personnes. Il sera installé à deux heures de Toulouse, soit dans la Lozère ou l'Aveyron. A terme, Look Up Space prévoit le déploiement de sept radars, tous installés dans les territoires et départements ultramarins pour surveiller les orbites terrestres basses.

Michel Cabirol

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Commentaires 7
à écrit le 26/11/2023 à 21:54
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Heureusement il y a Fidus ! Fidus !

à écrit le 26/11/2023 à 21:12
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Les plus grands espions sont les Américains mais on n'en fera jamais un article.

le 27/11/2023 à 10:15
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Vous avez raison. On s'invente des menaces qui n'existent pas. Et pourtant, l'Ecole de guerre économique ne cesse de souligner, étude après étude, que nos trois plus grands ennemis ou plus grandes menaces pour notre économie sont les Etats-Unis (not...

le 27/11/2023 à 10:59
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Et c'est logique, vu l'état désastreux de notre oligarchie européenne campée sur le dumping fiscal et social qui anéantissent les citoyens européens, je préfère que les américains gardent un oeil sur nous et surtout sur l'Allemagne qui nous déteste t...

à écrit le 26/11/2023 à 19:25
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Ca n'existe pas, le petit coup de laser... par erreur?

à écrit le 26/11/2023 à 18:26
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La France a envoyé 5 satellites espions depuis 2021.

à écrit le 26/11/2023 à 8:18
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Merci c'est toujours intéressant de voir la face visible de l'iceberg permettant d'imaginer l'ampleur de la face immergée. Et donc notre batterie d'anti-missiles vous nous en parlez quand ? Maintenant que tout le monde sait... ^^

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