L'Allemagne et la France vont-elles réussir à surmonter leurs différences, voire leurs incompréhensions actuelles dans le domaine de la défense ? Car les désaccords entre Paris et Berlin sont nombreux dans un domaine qui touche le cœur de la souveraineté des deux pays (programmes en coopération, bouclier antimissile, exportations de systèmes d'armes...). En Allemagne, on minimise toutes ces difficultés en rappelant que « les cultures politiques sont très différentes » entre Paris et Berlin et que « l'histoire et la géographie » des deux pays les éloignent a priori l'un de l'autre. Mais le couple franco-allemand reste clé pour l'Allemagne et le chancelier allemand Olaf Scholz, souligne-t-on avec force en Allemagne. Pour la France aussi. Paris « doit approfondir sa relation » avec l'Allemagne « afin de continuer à construire l'Europe de la défense au regard des ambitions allemandes récemment exprimées », a affirmé la Revue nationale stratégique (RNS), qui sera présentée le 9 novembre à Toulon par Emmanuel Macron.
« Ce qui est unique dans ce couple franco-allemand, c'est que nous avons, la France et l'Allemagne, la détermination absolue de trouver un accord, de parvenir à des positions communes ou au moins d'avoir des approches très bien coordonnées », affirme-t-on à Berlin. Un couple renforcé par la bonne entente entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz, qui a cherché très rapidement à prendre contact une fois nommé chancelier avec le président français. « Il y a non seulement une coopération très professionnelle (entre les deux hommes, ndlr), mais il y a aussi une entente personnelle qui est très positive et forte », assure-t-on en Allemagne.
Bouclier antimissile : un « non-conflit » avec la France
Le bouclier antimissile allemand (European Skyshield Initiative), dont l'idée a été lancée fin août par le chancelier Scholz à Prague, a crispé ces dernières semaines les relations entre la France et l'Allemagne. C'est un « non-conflit », estime-t-on par ailleurs en Allemagne. Pourquoi ? Parce que les deux pays ont une géographie différente. En outre, Berlin a longtemps négligé les nouvelles armes de Moscou, y compris dans des versions nucléaires, que les militaires russes ont stocké dans l'enclave militarisée de Kaliningrad située dans le Nord-est de l'Europe. Et n'a donc actuellement aucune défense sol-air crédible pour contrer ces nouvelles armes redoutables.
« Nous devons très rapidement combler cette lacune spécifique » pour faire face à cette menace à partir de cette enclave « spécifique », fait-on observer en Allemagne. Ce retour brutal à la réalité a été provoqué par l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Berlin a réussi à entraîner la Belgique, la Bulgarie, la République tchèque, l'Estonie, la Finlande, la Norvège, la Lituanie, la Lettonie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et les Pays-Bas pour lancer un projet d'achat commun d'un système existant. Résultat, ils veulent s'offrir le système israélien Arrow 3, conçu avec l'aide des Etats-Unis et de l'Inde et fabriqué par IAI. « Une fois cela expliqué, il n'y a pas sur ce dossier de volonté de snober la France, qui a une autre stratégie face à ce genre de menaces », souligne-t-on en Allemagne. Toutefois, Washington bloquerait pour le moment cette vente et pousserait le système THAAD (Terminal High Altitude Area Defense), 100% « Made in USA ».
Ventes d'armes : un alignement de Berlin sur Paris
L'Allemagne souhaite « imposer » au sein de l'Union européenne une politique commune sur les exportations d'armements, qui serait restrictive avec les pays qui sont hors UE et hors OTAN. Mais Berlin ne fait pas d'illusion sur les chances à court terme d'imposer à la France une politique d'harmonisation des exportations d'armes, qui rognerait un grand pan de sa souveraineté et de sa politique étrangère. Dans la RNS, la France assure qu'elle « doit continuer à soutenir les projets d'acquisition d'équipements de défense et de sécurité » dans le Golfe arabo-persique. On en revient à nouveau à la différence de culture politique entre Paris et Berlin, où les exportations d'armes sont un sujet extrêmement sensible en Allemagne en général, et plus particulièrement au sein de la coalition au pouvoir (SPD, Verts et FDP).
A quelques exceptions près, les Verts allemands exigent l'arrêt des ventes d'armes vers le grand export. En septembre, la ministre de la Défense allemande Christine Lambrecht (SPD) avait pourtant été claire dans son discours sur la stratégie de sécurité nationale de l'Allemagne : « Avec nos réserves morales, nous nous plaçons au-dessus de nos partenaires européens. Mais que signifient même les valeurs européennes si nous disons à nos partenaires que leur moralité n'est pas assez bonne ? ». Résultat, Berlin va se montrer plus flexible sur des projets en coopération avec la France mais aussi avec d'autres partenaires. Mais à plus long terme, il est probable que l'Allemagne ne lâchera pas. Car avoir un règlement européen sur ses principes « serait idéal », estime-t-on en Allemagne.
Optimisme pour le SCAF mais...
En dépit d'un processus douloureux et compliqué, Berlin reste optimiste sur la poursuite du plus emblématique programme de coopération entre la France et l'Allemagne (rejoints par l'Espagne), le Système de combat aérien du futur (SCAF). Il existerait une « détermination absolue » de Paris et de Berlin de réussir ce programme, assure-t-on en Allemagne. Pour réussir, deux cultures industrielles éloignées l'une de l'autre doivent se rapprocher. « Faire fusionner des cultures d'entreprise entre Airbus, une entreprise qui est déjà habituée à faire des coopérations internationales d'un côté, et Dassault qui est un champion national, d'un autre côté, il est évident que ça ne va pas sans difficulté », explique-t-on en Allemagne. Pour autant, le Bundestag, très à l'écoute de ses industriels, aura le dernier mot. Lui et lui seul en Allemagne envers et contre tous.
Sujets les + commentés