« Ce n'est certainement pas une menace », mais cela y ressemble pour les industriels de l'armement français. Le ministre des Armées a été clair mardi lors de sa conférence de presse consacrée à l'économie de guerre et inédite en présence de tous les chefs d'état-major. Très clair même. Dans le cadre de l'économie de guerre, Sébastien Lecornu se dit prêt à recourir à « des réquisitions, le cas échéant, ou de faire jouer le droit de priorisation », si les « cadences et les délais de production » n'étaient pas tenus par les industriels.
Des réquisitions, qui ont été permises par la Loi de programmation militaire (LPM) adoptée à l'automne, seraient opérées par le ministère pour les besoins des armées françaises ou d'un pays allié en guerre - « nous y sommes », a-t-il fait valoir. Ces réquisitions pourraient concerner des personnels, des stocks ou encore des outils de production.
La réquisition est « l'outil le plus dur de l'arsenal juridique dont nous disposons. Pour l'instant, il n'est pas sur la table. Je l'ai cité parce qu'il existe », a souligné le ministre.
« Personne ne comprendrait que le ministre des Armées ne fasse pas jouer ses pouvoirs de police pour augmenter le cas échéant les productions de missiles Aster ou d'obus de 155 mm. Ces questions de réquisition et de pouvoir de police sont clairement sur la table au moment où je vous parle », a expliqué le ministre.
Pour autant, Sébastien Lecornu a constaté que depuis deux ans des efforts avaient été réalisés par les industriels de la défense. La réquisition « n'est pas l'outil prioritaire au moment où je vous parle, mais je vous dis que ça existe parce que ça crée de la lisibilité aussi pour tout le monde, il n'y aura pas de surprise », a-t-il précisé.
Lecornu prêt à utiliser le droit de priorisation
Sur la priorisation, le ministre ou le Délégué général pour l'armement, Emmanuel Chiva, pourront par « injonction donner l'instruction à l'entreprise de faire passer la commande militaire avant la commande civile et d'imposer également des stocks minimaux ». D'une manière générale, le ministre a estimé qu'après plus de deux ans de guerre en Ukraine et avec une LPM de 413 milliards d'euros sur les sept ans qui viennent, qu'il était « impensable que l'industrie de défense ne poursuit pas sa transformation ». Sébastien Lecornu affirme que les industriels ont une visibilité forte pour prendre plus de risques afin de gagner plus de contrats à l'exportation dans un marché de l'armement en forte croissance.
Le ministre se veut donc plus insistant sur le droit de priorisation concernant les stocks minimaux de matières premières à constituer pour un industriel de la défense. Sébastien Lecornu compte utiliser ce droit de police pour la livraison d'une « commande qui compte pour l'intérêt général par rapport à une commande qui compte moins, voire pas du tout ». Les commandes militaires seront alors prioritaires. « C'est quelque chose que je ne m'interdis pas de faire dans les toutes prochaines semaines si les choses ne vont pas plus vite », a expliqué le ministre. Ces injonctions éventuelles pourront concerner aussi bien le maître d'oeuvre que ses sous-traitants.
« Pour la première fois, je n'exclus pas d'utiliser ce que la loi permet au ministre et au Délégué général pour l'armement de faire si le compte n'y était pas en matière de cadence et de délai de production », a-t-il expliqué.
Les délais de production du missile Aster, produit entre la France et l'Italie par MBDA, sont dans le viseur du ministre. Trop lents pour Sébastien Lecornu, qui a commandé 220 missiles Aster en janvier 2023 pour moins de 900 millions d'euros. Leur livraison est prévue en 2026.
« La question de prioriser chez les sous-traitants de MBDA pour le missile Aster la commande militaire, en priorité sur une commande civile, est quelque chose qui est évidemment complètement regardable », a-t-il averti.
Lors de la présentation des résultats de son groupe, le PDG de MBDA, Eric Béranger, a expliqué mi-mars que son entreprise avait « réduit le temps de production des missiles Aster de 26% ». Il fallait compter 42 mois entre la commande et la livraison en 2022, un délai qui devrait tomber à « moins de 18 mois » en 2026, selon le PDG de MBDA. Les cadences de production doivent augmenter de 50% par rapport à 2022. In fine, le cycle de production en 2026 sera réduit de plus de deux fois par rapport à 2022.
Les délais de production passés à la loupe
Le juge de paix sera donc les temps de production de chaque industriel, qui peuvent être réduits grâce à la constitution de stocks de matières premières. Les approvisionnements représentent environ 50% du cycle de production. « Si parfois les temps de production sont trop lents, c'est en raison d'une tentation (des industriels, ndlr) de faire du flux tendu et de ne pas avoir suffisamment de stocks de matières premières ou de composants », a expliqué Sébastien Lecornu. La constitution de stocks reste encore l'ennemi juré des directions financières dans l'industrie française, y compris dans celle de l'armement, pour d'éviter d'immobiliser de la trésorerie.
Pour autant, le ministre demande aux industriels de la défense d'accélérer les cadences de production notamment pour les livraisons à l'Ukraine, mais aussi pour les commandes à l'exportation, volet clé de la pérennité de l'industrie de la défense française. Le ministre s'est d'ailleurs agacé que des entreprises françaises aient échoué dans des prospects à l'export, notamment dans les pays de l'est, en raison de délais de livraison beaucoup trop lent. Et ce n'est pas la première fois que Sébastien Lecornu en fait état. Qui va se faire taper sur les doigts ?
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