Economie de guerre : Sébastien Lecornu enfile sa tenue de combat

Dans le cadre de l'économie de guerre, Sébastien Lecornu se dit prêt à recourir à « des réquisitions, le cas échéant, ou de faire jouer le droit de priorisation » si les « cadences et les délais de production » n'étaient pas tenus par les industriels.
Michel Cabirol
Sur la priorisation, le ministre ou le Délégué général pour l'armement Emmanuel Chiva pourront par « injonction donner l'instruction à l'entreprise de faire passer la commande militaire avant la commande civile et d'imposer également des stocks minimaux ».
Sur la priorisation, le ministre ou le Délégué général pour l'armement Emmanuel Chiva pourront par « injonction donner l'instruction à l'entreprise de faire passer la commande militaire avant la commande civile et d'imposer également des stocks minimaux ». (Crédits : Gonzalo Fuentes)

« Ce n'est certainement pas une menace », mais cela y ressemble pour les industriels de l'armement français. Le ministre des Armées a été clair mardi lors de sa conférence de presse consacrée à l'économie de guerre et inédite en présence de tous les chefs d'état-major. Très clair même. Dans le cadre de l'économie de guerre, Sébastien Lecornu se dit prêt à recourir à « des réquisitions, le cas échéant, ou de faire jouer le droit de priorisation », si les « cadences et les délais de production » n'étaient pas tenus par les industriels.

Lire aussiUnion européenne : les trois pistes pour financer l'effort de guerre ukrainien

Des réquisitions, qui ont été permises par la Loi de programmation militaire (LPM) adoptée à l'automne, seraient opérées par le ministère pour les besoins des armées françaises ou d'un pays allié en guerre - « nous y sommes », a-t-il fait valoir. Ces réquisitions pourraient concerner des personnels, des stocks ou encore des outils de production.

La réquisition est « l'outil le plus dur de l'arsenal juridique dont nous disposons. Pour l'instant, il n'est pas sur la table. Je l'ai cité parce qu'il existe », a souligné le ministre.

« Personne ne comprendrait que le ministre des Armées ne fasse pas jouer ses pouvoirs de police pour augmenter le cas échéant les productions de missiles Aster ou d'obus de 155 mm. Ces questions de réquisition et de pouvoir de police sont clairement sur la table au moment où je vous parle », a expliqué le ministre.

Pour autant, Sébastien Lecornu a constaté que depuis deux ans des efforts avaient été réalisés par les industriels de la défense. La réquisition « n'est pas l'outil prioritaire au moment où je vous parle, mais je vous dis que ça existe parce que ça crée de la lisibilité aussi pour tout le monde, il n'y aura pas de surprise », a-t-il précisé.

Lecornu prêt à utiliser le droit de priorisation

Sur la priorisation, le ministre ou le Délégué général pour l'armement, Emmanuel Chiva, pourront par « injonction donner l'instruction à l'entreprise de faire passer la commande militaire avant la commande civile et d'imposer également des stocks minimaux ». D'une manière générale, le ministre a estimé qu'après plus de deux ans de guerre en Ukraine et avec une LPM de 413 milliards d'euros sur les sept ans qui viennent, qu'il était « impensable que l'industrie de défense ne poursuit pas sa transformation ». Sébastien Lecornu affirme que les industriels ont une visibilité forte pour prendre plus de risques afin de gagner plus de contrats à l'exportation dans un marché de l'armement en forte croissance.

Le ministre se veut donc plus insistant sur le droit de priorisation concernant les stocks minimaux de matières premières à constituer pour un industriel de la défense. Sébastien Lecornu compte utiliser ce droit de police pour la livraison d'une « commande qui compte pour l'intérêt général par rapport à une commande qui compte moins, voire pas du tout ». Les commandes militaires seront alors prioritaires. « C'est quelque chose que je ne m'interdis pas de faire dans les toutes prochaines semaines si les choses ne vont pas plus vite », a expliqué le ministre. Ces injonctions éventuelles pourront concerner aussi bien le maître d'oeuvre que ses sous-traitants.

« Pour la première fois, je n'exclus pas d'utiliser ce que la loi permet au ministre et au Délégué général pour l'armement de faire si le compte n'y était pas en matière de cadence et de délai de production », a-t-il expliqué.

Les délais de production du missile Aster, produit entre la France et l'Italie par MBDA, sont dans le viseur du ministre. Trop lents pour Sébastien Lecornu, qui a commandé 220 missiles Aster en janvier 2023 pour moins de 900 millions d'euros. Leur livraison est prévue en 2026.

« La question de prioriser chez les sous-traitants de MBDA pour le missile Aster la commande militaire, en priorité sur une commande civile, est quelque chose qui est évidemment complètement regardable », a-t-il averti.

Lors de la présentation des résultats de son groupe, le PDG de MBDA, Eric Béranger, a expliqué mi-mars que son entreprise avait « réduit le temps de production des missiles Aster de 26% ». Il fallait compter 42 mois entre la commande et la livraison en 2022, un délai qui devrait tomber à « moins de 18 mois » en 2026, selon le PDG de MBDA. Les cadences de production doivent augmenter de 50% par rapport à 2022. In fine, le cycle de production en 2026 sera réduit de plus de deux fois par rapport à 2022.

Les délais de production passés à la loupe

Le juge de paix sera donc les temps de production de chaque industriel, qui peuvent être réduits grâce à la constitution de stocks de matières premières. Les approvisionnements représentent environ 50% du cycle de production. « Si parfois les temps de production sont trop lents, c'est en raison d'une tentation (des industriels, ndlr) de faire du flux tendu et de ne pas avoir suffisamment de stocks de matières premières ou de composants », a expliqué Sébastien Lecornu. La constitution de stocks reste encore l'ennemi juré des directions financières dans l'industrie française, y compris dans celle de l'armement, pour d'éviter d'immobiliser de la trésorerie.

Pour autant, le ministre demande aux industriels de la défense d'accélérer les cadences de production notamment pour les livraisons à l'Ukraine, mais aussi pour les commandes à l'exportation, volet clé de la pérennité de l'industrie de la défense française. Le ministre s'est d'ailleurs agacé que des entreprises françaises aient échoué dans des prospects à l'export, notamment dans les pays de l'est, en raison de délais de livraison beaucoup trop lent. Et ce n'est pas la première fois que Sébastien Lecornu en fait état. Qui va se faire taper sur les doigts ?

Michel Cabirol

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 20
à écrit le 06/04/2024 à 19:46
Signaler
Bonjour, bon meme si personne ne souhaite la guerre , nous devons nous tenir pret a l'impensable... Mr le ministre doit contrôler les plan et les capacité de monter en puissance de nos armées... Plan de mobilisation, plan d'équipement ( matériel ...

à écrit le 30/03/2024 à 20:25
Signaler
La réquision peut se comprendre si nous sommes attaqués sur notre sol, mais dans le cas ou on attaque un pays qui n'est ni notre sol ni même l'UE, comment le justifier ? Ces politiciens devraient redescendre sur terre.

à écrit le 27/03/2024 à 20:19
Signaler
N importe quoi la guerre n'as jamais était une solution l'Ukraine serais mieux en paix sens tous ses morts qui ne serve qu'à enrichir tous ces vampires du pognon qu'elle soit avec Moscou ou pas mais pas de guerre.se commentaire n' est que pour les p...

le 27/03/2024 à 21:22
Signaler
Pour la castagne, un seul acteur suffit. Si on répond, c’est la guerre, si on ne répond pas, c’est l’occupation. Vous pouvez jouer le rôle de 5ième colonne si ça vous chante. Les traîtres, les lâches, les gens qui se dérobent, il y en a toujours eu e...

à écrit le 27/03/2024 à 16:45
Signaler
Le coût unitaire d'un obus de 155mm tourne autour de 4 000 €. Sinon, Le dirigeant allemand Olaf Scholz a donné en février le premier coup de pioche d’une nouvelle usine du fabricant d’armes Rheinmetall sur le plus important complexe industriel de dé...

le 27/03/2024 à 21:25
Signaler
Bonne chose. Tant mieux que Rheinmetal face cela pour l’Allemagne. Ce n’est pas le seul besoin européen… Nous avons besoin de plus de drones, de générateurs, de missiles et de bombes, d’uniformes et de casques. Ceux ne sont pas les besoins qui manque...

à écrit le 27/03/2024 à 15:08
Signaler
C'est pas le bon moment il faut d'abord combler les déficits.

le 27/03/2024 à 16:28
Signaler
Justement, c'est le bon moment. Le coefficient multiplicateur économique de la BITD est le plus élevé de toute l'économie industrielle. Pour 1 million investi dans la BITD, on sécurise 22 emplois contre seulement 8 dans les mesures de soutien au pouv...

à écrit le 27/03/2024 à 12:14
Signaler
Réquisitionner l'industrie qui , en 30 ans grâce à lui et ses copains qui l'ont précédé, est tombée de 20% à 10% du PIB, donc qui est complètement exsangue pour produire massivement. Il fallait y penser. Chapeau bas ! Et quel sera le résultat prévis...

le 27/03/2024 à 21:27
Signaler
Pour les produits chimiques, je ne sais pas. Il semble qu’Eurenco monte une usine à Bergerac. Pour les puces, ça avance de plus en plus vite à Grenoble et ailleurs.

le 28/03/2024 à 13:53
Signaler
Pour Bergerac, dommage que l'usine ait été fermée en 2007, sous un certain ministre de la défense Hervé Morin lequel a le culot de donner la leçon à McKron dans un hebdomadaire français cette semaine. Pour ce qui est des puces à Grenoble, ôtez-moi d'...

à écrit le 27/03/2024 à 12:05
Signaler
Un détail important, très important même en cette dictature nihiliste néolibérale, s'ils arrivent un jour à corréler livret A et finacement militaire, c'est de vous pencher déjà sur les dégâts forcément importants que ces nouvelles distributions de g...

à écrit le 27/03/2024 à 11:06
Signaler
Avant de parler d'économie de guerre, commençons par rétablir nos comptes publics. On se ruine sur ordre de l'Oncle Sam en se privant d'acheter directement du pétrole russe que l'on achète en finale aux indiens et aux pays du Golfe qui prennent au p...

à écrit le 27/03/2024 à 11:03
Signaler
Economie de guerre sans finances ...

à écrit le 27/03/2024 à 10:39
Signaler
Ils font assumer par d'autres leurs propres incompétences ! trop fort ! les mêmes dans les cabinets ministériels de hollande qui depuis 2014 ont eu comme objectif de sabotez la paix, sont ceux qui aujourd'hui se défausse sur leurs propres décisions d...

à écrit le 27/03/2024 à 10:19
Signaler
L'"avantage" d'une guerre pour le politique, aussi horrible soit-il de le dire ainsi - est que les engagements (dettes) peuvent se retrouver répudiés, les déficits ne sont plus soumis à des restrictions technocratiques, comme la répression financièr...

le 27/03/2024 à 10:42
Signaler
merci pour vos explications, elles sont miennes aussi et ne font doute sur l'objectif ! et n'ayant plus d'étique, ayant deshumanisé la population, l'idée est la depuis le covid pour moi qui était une préparation ! hollande s'est fait grillé en ex...

le 27/03/2024 à 11:10
Signaler
@ Raymond- Tout est possible. Que l'idée de fond reste la tentative de démantèlement de la Russie soit l'origine de la guerre en Ukraine est plausible. Il reste que dans l'immédiat c'est bien la Russie qui a attaqué l'Ukraine. Il est même possible ...

le 28/03/2024 à 10:27
Signaler
@Valbel89 [Il reste que dans l'immédiat c'est bien la Russie qui a attaqué l'Ukraine] Il reste dans l'immédiat que le premier coup de feu est la destitution de l'ancien président ukrainien élu (pro russe) - lors de la révolution de Maïdan - par les f...

à écrit le 27/03/2024 à 9:56
Signaler
Quand on n'est pas capable de passer des commandes autres qu'échantillonnesques, dans tous les domaines, ni de continuer à fabriquer des bombes pour les avions et de la poudre pour les munitions, on ne parle pas de "réquisitions", sauf à jouer aux ma...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.