« Nous allons plus vite et plus fort ensemble avec Sopra Steria » (Eric Blanc-Garin, CS Group)

Après avoir longtemps préféré naviguer seul, CS Group s'est jeté cet été dans les bras de Sopra Steria. Le directeur général Eric Blanc-Garin explique dans une interview accordée à La Tribune les raisons de cette décision : à deux, CS Group et Sopra Steria seront plus forts dans la défense, le spatial, la cyber et le nucléaire.
Avec ce projet de rapprochement, nous pourrions accélérer la mise en œuvre de notre plan Vision 2024. Puis nous allons réfléchir à un plan, qui nous permettra de réaliser 1 milliard d'euros rapidement alors que seuls, nous aurions attendu 10 ou 15 ans (Eric Blanc-Garin, directeur de CS Group) .
"Avec ce projet de rapprochement, nous pourrions accélérer la mise en œuvre de notre plan Vision 2024. Puis nous allons réfléchir à un plan, qui nous permettra de réaliser 1 milliard d'euros rapidement alors que seuls, nous aurions attendu 10 ou 15 ans" (Eric Blanc-Garin, directeur de CS Group) . (Crédits : DR)

LA TRIBUNE- Quel est l'objectif du rapprochement entre CS Group et Sopra Steria ?
ERIC BLANC-GARIN- 
Ce projet de rapprochement est le résultat d'une stratégie industrielle convergente entre Sopra Steria et CS Group doublée d'une longue histoire de confiance entre les deux groupes. D'une part, nous sommes partenaires commerciaux dans le domaine aéronautique depuis plus de 20 ans, et nous l'avons ensuite élargi à la défense, et d'autre part, Sopra Steria était entré à notre demande au capital du groupe en 2014. Avec cette opération de rapprochement, notre volonté est de renforcer nos activités respectives d'autant que nous avons des stratégies très proches dans les deux groupes. Sopra Steria développe une stratégie de développement par métiers où ils sont très présents (banque, assurance, finance, distribution, secteur public, aéronautique, défense). Et nous, de la même manière, nous avons également cette stratégie dans les secteurs de la défense, de l'espace, du nucléaire et de l'aéronautique, mais aussi dans des activités horizontales, dont la data intelligence et la cyber.

Votre objectif est de créer un groupe qui a la taille critique dans les systèmes critiques, notamment dans le domaine de la défense et de l'espace...
Oui, ce rapprochement viserait principalement, compte tenu de nos poids respectifs, à renforcer notre présence sur le marché de la défense, de la sécurité intérieure et du spatial. Nous avons également de grandes ambitions conjointes dans le nucléaire, avec le renouveau de cette énergie en France. Enfin, nous voulons renforcer notre expertise dans le domaine de la cybersécurité. Par ailleurs, CS Group a un ADN très technologique. Nous investissons en R&D un peu plus de 15 % de notre chiffre d'affaires par an. Sopra Steria, qui s'est aussi créé comme un groupe de projets et de produits, peut donc nous aider à accélérer l'exécution de notre plan stratégique mais également à revoir nos ambitions à la hausse. Pour deux raisons : Sopra Steria a la capacité à nous faire gérer plus de programmes importants en même temps en raison de la profondeur de ses ressources humaines (ils sont 50.000 personnes, nous sommes 2.500 salariés) ; elle a également un muscle financier qui pourra accélérer nos opérations de croissance externe, qui est l'un des deux piliers de notre plan Vision 2024. Sopra Steria pourra nous aider à aller plus loin, plus fort sur nos métiers. Ce rapprochement est un projet de croissance. Nous avons l'ambition commune de devenir sur ces secteurs un acteur majeur, souverain et innovant dans un contexte d'enjeux sécuritaires et d'indépendance croissants.

Si je comprends bien, l'identité de CS Group va rester. CS Group va-t-il devenir une filiale de Sopra Steria ?
Compte tenu des délais légaux de demandes d'autorisations réglementaires et de consultations des Instances représentatives du Personnels, il est prématuré de de répondre à cette question sur les modalités de cette opération. Une fois l'acquisition réalisée, les équipes pourront échanger notamment sur les éventuels projets d'organisation. Mais vous l'avez compris, nous nous reconnaissons un ADN propre. Et l'un comme l'autre, nous avons envie de faire en sorte que ce rapprochement soit créateur de valeurs c'est-à-dire pour parler d'une manière un peu triviale : un plus un égale trois. Les modalités opérationnelles feront l'objet d'échanges nourris avec les équipes respectives et les instances du personnel des deux entreprises, de telle manière à ce qu'on atteigne notre objectif de nous rapprocher, et non pas de prendre des décisions allant à l'encontre de l'objectif poursuivi. Nous sommes deux sociétés d'entrepreneurs. C'est ce qui est important.

La marque CS Group va-t-elle perdurer au-delà du rapprochement avec Sopra Steria ?
C'est une bonne question mais nous avons eu beaucoup de dossiers à traiter et ce sujet n'a pas encore été abordé. Je ne dis pas que c'est un sujet subalterne. Surtout pas pour nous. C'est une partie de notre ADN. On dit d'une nation : un peuple, un drapeau, un territoire. Notre marque, c'est un peu notre drapeau. C'est important. Je ne peux répondre que d'une manière empirique et sans préempter les décisions. Mais j'ai constaté qu'au sein de Sopra Steria plein de modèles d'intégration pouvaient cohabiter : certaines marques disparaissent, d'autres ont été maintenues. La stratégie de Sopra Steria est faite de pragmatisme.

Les modalités ont-elles été décidées ?
Non, je vous rappelle que la finalisation de l'opération est prévue sur le premier trimestre 2023..

Sont-elles toujours en discussion ?
Exactement.

La fin de la marque CS Group peut-elle être un point d'achoppement dans cette opération ?
Non, pas du tout. Si les grands principes ont été discutés, ce point fera partie des nombreux sujets d'échanges pour savoir comment nous nous organisons sur un plan opérationnel.

CS Group a longtemps défendu le concept « Small is beautiful ». Pourquoi lui tournez-vous le dos aujourd'hui ?
Sopra Steria est un groupe, qui a été créé par son dirigeant il y a 50 ans. Ce groupe continue à porter aujourd'hui une âme d'entrepreneuriat et d'innovations et donc d'agilité pour s'imposer dans un secteur où il y a des Capgemini, CGI, Accenture..., qui sont des monstres à côté de Sopra Steria. Ils ont ça en eux, nous aussi. Par conséquent, nous allons rester un acteur agile par rapport aux grands. Sopra Steria et CS Group, nous sommes forcés d'innover pour nous imposer. Nous nous sommes dit que nous avions un tel potentiel de croissance dans nos métiers que pour pouvoir en prendre la quintessence, il fallait se rapprocher. Résultat, nous pourrions accélérer la mise en œuvre de notre plan Vision 2024. Puis nous allons réfléchir à un plan qui nous permettra de réaliser 1 milliard d'euros rapidement alors que seuls, nous aurions attendu 10 ou 15 ans. Encore une fois, nous allons plus vite et plus fort ensemble avec Sopra Steria. Pour les perspectives de nos équipes, ce rapprochement ouvrirait de belles opportunités.

Sur la valorisation de CS Group, on est loin des multiples de sociétés rachetées comme par exemple iXblue. Pourquoi ?
iXblue a été payé 14 fois l'EBITDA car sa rentabilité est très forte. C'est un pur équipementier, ce qui n'est pas notre cas. Nous, nous sommes plus un systémier, un intégrateur de systèmes, également un peu éditeur avec quelques activités d'équipementier. En termes de multiple de valorisation, nous sommes plus proches d'un Thales que d'un iXblue. La transaction correspond à 1,2 fois notre chiffre d'affaires. Pour les actionnaires, c'est une opération convenable.

Avez-vous été approché par des groupes, comme Thales ?
En 30 ans, nous avons été approchés très régulièrement par de nombreux acteurs.

Concrètement, que va vous apporter Sopra Steria dans vos principaux métiers ?
Nous avons beaucoup de choses à faire ensemble. Dans la défense, CS Group et Sopra Steria ont à peu près des tailles équivalentes en France dans des domaines un peu différents. Ils ont investi sur des systèmes d'info-logistique et des systèmes de gestion. Nous sommes plus sur des systèmes opérationnels de commandement, y compris les communications et dans le MCO (Maintien en condition opérationnel). CS Group met les « mains dans le cambouis », notamment pour la gestion d'obsolescence des systèmes de communication, là où Sopra Steria fait des systèmes d'informations pour gérer ces MCO. Nous avons donc des complémentarités fortes. Par ailleurs, Sopra Steria réalise 400 millions d'euros de chiffre d'affaires à l'international dans la défense, particulièrement en Grande-Bretagne dans le domaine de l'outsourcing auprès du ministère de la Défense britannique. Ils sont également présents en Norvège et ont 3.000 personnes en Allemagne où nous voulons nous développer en raison des gros enjeux depuis la guerre en Ukraine, avec la remilitarisation de l'Allemagne. Nos métiers requièrent donc naturellement une ambition de croissance européenne.

Et dans le spatial ?
Dans le domaine spatial, Sopra Steria est peu présent. Notre ambition était initialement de passer du cinquième au troisième rang des opérateurs d'ingénierie spatiale en Europe. Avec Sopra Steria, nous souhaiterions devenir leader en Europe. Nous voulons vraiment pousser les gaz dans ce très beau secteur avec des applications aval extrêmement importantes liées à l'utilisation des données spatiales. Comme Sopra Steria est un groupe numérique présent dans beaucoup de secteurs, je pense que nous avons un très beau potentiel de croissance.

En revanche, Sopra Steria est mieux armé que vous dans les activités cyber et aéronautique. Qu'allez-vous leur apporter ?
Dans le domaine de la cyber, ils ont à peu près 1.000 personnes alors que nous avons près de 300 salariés, qui travaillent notamment dans des activités cyber-souveraines. Sopra Steria a développé  une expertise de cyber IT. La nouvelle entité vise à entrer dans le Top 5 français dans le domaine de la cyber. Et la cyber irrigue tous nos métiers. Il n'y a plus un projet dans la défense, dans le spatial, dans le nucléaire, dans l'aéronautique, qui n'ait une contrainte cyber forte et native. Dans la cyber, notre rapprochement va vraiment avoir de l'impact. Notamment tout ce que CS Group fait dans le cyber souverain va pouvoir avoir un relais de croissance très fort en rapprochant les deux maisons. C'est très excitant. Enfin, dans l'aéronautique, les activités de Sopra Steria sont beaucoup plus importantes que les nôtres, et nous sommes déjà partenaires. Il y a une furieuse envie d'être pragmatique et de valoriser l'expertise complémentaire de nos deux groupes.

Le nucléaire va-t-il rester dans le groupe ?
Avec le renouveau du nucléaire (modernisation des centrales existantes,  construction neuves et développement du petit réacteur SMR), il y a des enjeux d'ingénierie, de conception et de simulation énormes, sans parler des enjeux de contrôle commande et de cyber protection. C'est probablement le plus gros programme d'investissements que la France va faire dans les quinze ans à venir. On parle de 100 à 150 milliards d'euros. Ce qui représente 40.000 emplois pour EDF et de 120 à 150.000 pour la France  CS Group connaît parfaitement le cœur de fonctionnement d'une centrale nucléaire grâce au rachat de Cisi, qui appartenait au CEA, en 1997. Quant à Sopra Steria, elle possède des capacités de maîtrise d'œuvre pour des projets de taille importante. Ensemble, nous allons construire un plan pour saisir ce potentiel de croissance dans le nucléaire.

En 2021, CS Group a vu son chiffre d'affaires progresser de 14% et son carnet de commandes exploser, mais la marge opérationnelle n'a pas été à la hauteur de vos attentes et des objectifs du plan Ambition 2021. Pourquoi ? A cause du Covid ?
Il nous aura manqué 18 mois pour parvenir aux objectifs de notre plan Ambition 2021. Le Covid porte une part de responsabilité dans ce bilan mais nous avons dû nettoyer un certain nombre de programmes difficiles dans nos activités de défense. Des programmes de petite taille mais qui ont coûté très cher. Et puis nous avons dû gérer le sujet ITAR...

... c'est-à-dire ?
Le champ de la réglementation ITAR ne cesse de s'accroître et s'étend désormais au soft. CS Group fait beaucoup de soft dans le domaine militaire. ITAR a progressivement encapsulé le software à partir de 2019-2020.

Comment avez-vous réglé le problème ?
Nous avons eu un doute sur le fait que nous pouvions être concernés par ITAR et avons décidé de traiter ce sujet en amont pour éviter les complications à venir. Nous avons pris la décision assez brutale de suspendre nos livraisons de produits sur les contrats signés à l'export mais aussi pour la France. Nous avons soumis tous nos contrats à des demandes expresses d'autorisation à Washington. Au bout de 24 mois, nous avons fini par obtenir leur autorisation. Nous avons donc repris nos livraisons mais nous n'avons pas livré les produits concernés en 2020 et au premier semestre 2021. Nos marges ont énormément souffert d'autant plus que cela concernait des produits software, dans le domaine des liaisons de données tactiques. ITAR est en train de gagner le civil. Les Américains pratiquent vraiment la « War law ».

Rencontrez-vous des difficultés pour atteindre les objectifs du plan Vision 2024 ?
Nous avons tenu en 2021 les objectifs de la première année du plan Vision 2024. Nous sommes déterminés à les tenir en 2022 et au-delà. Notre plan se fonde sur une augmentation de nos parts de marché par une croissance organique à deux chiffres doublée par de la croissance externe sur nos métiers (cyber, défense, espace).

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Commentaire 1
à écrit le 08/09/2022 à 0:33
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Un sinistre coup de pub pour un viandard de l'informatique...

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