Safran, ce nouveau « serial buyer » en quête de plus d'autonomie stratégique

Le directeur général de Safran Olivier Andriès est à la manoeuvre pour renforcer l'autonomie stratégique de Safran en multipliant depuis plus de deux ans les acquisitions. C'est le cas avec le projet d'achat de l'activité d'actionnement et de commandes de vol de Collins Aerospace annoncé vendredi.
Michel Cabirol
La résilience est un enjeu clé pour Olivier Andriès, qui compte, via de nombreuses opérations de croissance externe, réduire les dépendances et in fine renforcer l'autonomie stratégique de Safran.
La résilience est un enjeu clé pour Olivier Andriès, qui compte, via de nombreuses opérations de croissance externe, réduire les dépendances et in fine renforcer l'autonomie stratégique de Safran. (Crédits : Safran)

Depuis son arrivée à la tête de Safran en janvier 2021, Olivier Andriès, tel un général en campagne, fait feu de tout bois pour remodeler et fortifier l'équipementier aéronautique et de défense pour lui permettre d'affronter les enjeux d'un monde nouveau encore balbutiant. Celui de l'après Covid, de la guerre en Ukraine mais aussi des futures crises internationales, et, enfin, de la décarbonation à marche forcée de l'aviation. Un monde où la résilience est un enjeu clé pour Olivier Andriès, qui compte, via de nombreuses opérations de croissance externe, réduire les dépendances et in fine renforcer l'autonomie stratégique de Safran. Ce qui lui permettra de mieux affronter toutes les crises à venir. Cette prise de conscience brutale a été provoquée par la guerre en Ukraine, qui a vraiment changé les logiciels des États et des industriels en général et de Safran, en particulier.

« Nous avons développé une stratégie de résilience de notre chaine de fournisseurs, en prenant en compte la montée des tensions géopolitiques dans le monde. Nous ne voulons pas nous retrouver dans une situation difficile parce que, tout d'un coup, il y a une crise qui s'ouvre comme celle qui a pu arrivé le 24 février 2022. Nous avons décidé de mettre en place un programme de résilience de notre chaine d'approvisionnement, notamment de limiter notre dépendance à certains pays de manière à être résilient et résistant à ces crises », avait expliqué le directeur général de Safran en juin au Paris Air Forum organisé par La Tribune.

Si Safran avait déjà entamé sa mue avant l'invasion de la Russie en Ukraine en ayant une gestion de son portefeuille d'activités « active » comme l'a souligné vendredi Olivier Andriès lors de l'annonce officielle du projet d'acquisition de l'activité d'actionnement et de commandes de vol de Collins Aerospace, ce conflit en Europe l'a conforté dans son choix de réduire les dépendances de Safran. Et d'ailleurs, il a décidé depuis la guerre en Ukraine d'accélérer la transformation de son groupe. Clairement, Safran s'est mué ces deux dernières années en « serial buyer » en saisissant beaucoup plus les opportunités d'acquisitions qui s'offraient à lui. Par ailleurs, la réinternalisation de certaines activités, l'accès mieux garanti aux matières premières et la robustesse de sa « supply chain », font également partie des leviers cruciaux pour Safran pour atteindre un certain niveau d'autonomie stratégique.

Safran, ce nouveau « serial buyer »

Safran, qui est déjà un contributeur important à la souveraineté française (dissuasion, via notamment la navigation inertielle, la motorisation des Rafale et propulsion du M51, lanceurs civils...), a donc multiplié ces deux dernières années les acquisitions pour un total de 2,5 milliards d'euros environ (contre 400 millions de cessions) afin de renforcer son autonomie comme Orolia (environ 100 millions d'euros de chiffre d'affaires), Syrlinks (24 millions d'euros) et Aubert & Duval (environ 550 millions d'euros) notamment. Il s'est offert la très belle et très discrète ETI tricolore Orolia, qui est l'un des fournisseurs mondiaux de solutions de positionnement, de navigation, de temps (PNT), et qui fabrique les horloges atomiques de la constellation Galileo.

Cette acquisition est « une très belle opération dans le domaine de la défense, a rappelé vendredi Olivier Andriès. Cette entreprise est un très bon complément de nos activités de navigation inertielle. Cela nous positionne comme l'un des grands acteurs mondiaux du PNT résilient sur tout ce qui est positionnement et navigation, qui permet à des systèmes critiques, notamment militaires de continuer à fonctionner dans des environnements GPS qui sont brouillés ou leurrés ».

La récente reprise en partenariat avec Airbus et Tikehau Capital d'Aubert & Duval , qui traversait une grave crise économique, est aussi l'exemple de la nouvelle stratégie de Safran conduite par Olivier Andriès. Pour l'équipementier aéronautique et de défense, il était vital de bâtir des alternatives à l'approvisionnement du titane par la Russie, qui fournissait à l'aéronautique européenne environ 50% de ses besoins au début de l'année 2022. En outre, Aubert & Duval étant le seul élaborateur de matériaux en dehors des Etats-Unis, cet achat permet à Airbus et Safran de sécuriser leur approvisionnement stratégique et le développement de nouveaux matériaux destinés aux programmes d'avions et de moteurs civils et militaires, actuels et futurs. En revanche, l'achat de la PME CILAS, elle aussi en grande difficulté financière, interroge, y compris désormais en interne.

Outre ses emplettes stratégiques, Safran a souhaité compléter certains de ses actifs. C'est le cas avec l'acquisition de l'activité systèmes électriques aéronautiques de Thales (124 millions d'euros de chiffres d'affaires), dont le closing est attendu au deuxième semestre de cette année. Avec ce projet d'acquisition, Safran Electrical & Power a pour objectif de poursuivre sa stratégie d'équipementier positionné sur toute la chaîne électrique. Les activités de conversion électrique vont être un apport significatif au portefeuille d'activités de Safran qui pourra ainsi continuer à se développer en matière de génération électrique, notamment dans le domaine de la défense et des hélicoptères.

Enfin, Safran a annoncé être entré en négociation exclusive avec Air Liquide en vue d'acquérir les activités technologiques aéronautiques oxygène et azote d'Air Liquide advanced Technologies, hors activités cryogéniques liées à la marine (plus de 40 millions d'euros de chiffre d'affaires). Cette opération représente « un très beau complément à nos activités d'oxygène, a souligné Olivier Andriès. Elle nous permet de renforcer notre position de leader mondial de fournisseur de systèmes d'oxygène complets, à la fois pour le militaire et pour le civil ». En outre, elle permet à Safran de se  positionner comme systémier.

Pourquoi l'opération avec Collins

Le projet d'acquisition par Safran des activités de Collins Aerospace (environ 1,5 milliard de dollars de chiffre d'affaires) coche certaines de ces cases, notamment celle de la décarbonation, axe stratégique de l'équipementier aéronautique avec celui de la souveraineté. Il permet également au groupe de compléter ses activités dans un secteur clé de l'aéronautique d'aujourd'hui et surtout de celle de demain. Car les nouvelles générations d'avions qui arriveront au milieu de la prochaine décennie, vont évoluer de plus en plus vers ce qu'on appelle l'actionnement électrique. « L'électrification de l'avion sera un élément clé de la décarbonation et de l'optimisation des émissions de gaz carbonique par les avions de nouvelle génération », rappelle Olivier Andriès.

Ainsi, les commandes de vol sont jusqu'à la conclusion de ce projet « un domaine dans lequel nous n'étions présents que marginalement. C'est un domaine d'équipement aéronautique critique », note Olivier Andriès, justifiant ainsi ce projet ambitieux le plus important depuis Zodiac. Safran va mettre sur la table 1,8 milliard de dollars en cash disponible. En outre, les activités en voie d'être cédées par Collins Aerospace cochent toutes les cases de l'ADN de Safran : « ce sont des activités pour lesquelles les barrières technologiques sont importantes et des activités qui nous assurent également un bon flux d'après-vente », décrypte Olivier Andriès.

Michel Cabirol

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 24/07/2023 à 14:28
Signaler
En France on a pas de pétrole mais on achète les idées... des anglosaxons !

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.