
Article mis à jour le 3 mars à 9h02 avec la publication du communiqué d'Arianespace qui confirme les informations exclusives de La Tribune publiées le 2 mars à 8h36
Selon des sources concordantes, le col de tuyère fabriqué par la société ukrainienne Youjnoye est à l'origine de l'échec de Vega-C le 20 décembre 2022. Considérée comme critique, cette pièce équipe le moteur du deuxième étage (Zefiro 40) du nouveau lanceur italien, qui effectuait son premier lancement commercial. Cette pièce en composite carbone/carbone n'a supporté ni la pression ni la température du vol et a finalement lâché. Ce qui a mis fin au bout de 2 minutes et 27 secondes à la mission Vega-C (VV22), qui ne pouvait plus respecter sa trajectoire de vol. Soit le troisième échec d'un lanceur Vega en seulement quatre ans (VV15 en juillet 2019, VV17 en novembre 2020 et VV22). Contacté par La Tribune, le groupe Avio, maître d'œuvre de Vega-C, n'a pas souhaité faire de commentaire.
Voici les conclusions de la Commission d'enquête indépendante sur la perte de la mission VV22 : « Les premières investigations, menées juste après le lancement avec les données de vol disponibles, ont confirmé que les sous-systèmes du lanceur avaient réagi aux événements conformément à leur conception, et que la cause de l'échec était une détérioration graduelle de la tuyère du Zefiro 40. Plus précisément, la Commission a confirmé que la cause était une sur-érosion thermo-mécanique inattendue du composite carbone/carbone (C/C) constituant l'insert du col de tuyère, acheté par Avio en Ukraine. Des investigations complémentaires ont conduit à la conclusion que ce phénomène était probablement dû à un défaut d'homogénéité du matériau utilisé pour cette pièce ».
La commission d'enquête indépendante chargée d'analyser la perte du vol Vega-C dévoilera ses conclusions vendredi au siège de l'ESA à Paris. Le directeur général de l'ESA Josef Aschbacher et le PDG d'Arianespace Stéphane Israël présenteront conjointement les résultats de l'enquête. Arianespace et l'ESA ont immédiatement mis en place une commission d'enquête indépendante afin d'analyser les raisons de la perte de la mission.
Un échec qui pose problème
Cet échec pose plusieurs questions cruciales sur son origine. Pourquoi une pièce aussi critique a été fabriquée par l'entreprise Youjnoye pour Vega-C alors qu'ArianeGroup livrait jusqu'ici ce type de pièce au groupe italien Avio pour le Zefiro 23 de Vega ? Les pièces fournies par ArianeGroup, qui livre également des cols de tuyère au ministère des armées pour les missiles de la force de dissuasion, avait jusqu'ici donné satisfaction sur l'ensemble des vols Vega, selon une source proche du dossier. En outre, pourquoi l'ESA (Agence spatiale européenne) a-t-elle autorisé ce fournisseur extra-européen du groupe italien en dehors de la règle du retour géographique ?
Arianespace précise dans son communiqué que « l'anomalie a également révélé que les critères d'acceptabilité utilisés pour le col de tuyère en C/C n'étaient pas suffisants pour en garantir l'aptitude au vol. La Commission a donc conclu que ce matériau composite spécifique était désormais interdit de vol. Aucune faiblesse dans le design du Zefiro 40 n'a été révélée. Avio a d'ores et déjà mis en œuvre une solution alternative pour les prochains cols de tuyères du Zefiro 40 avec un autre matériau C/C, fabriqué par ArianeGroup, qui est déjà utilisé pour les tuyères des Zefiro 23 et Zefiro 9 du lanceur Vega ».
Selon nos informations, le groupe spatial italien a choisi de se passer des services d'ArianeGroup et de se tourner vers Youjnoye pour des raisons de réduction de coûts avant le début de l'invasion russe en Ukraine. La société ukrainienne a d'ailleurs pu livrer avant le déclenchement des hostilités à Avio trois exemplaires de cette pièce, dont un a fonctionné sur le vol de qualification. Pour autant, le processus de fabrication très complexe d'un col de tuyère (carbone injecté sous forme gazeuse sur une pièce métallique dans un four) n'a semble-t-il pas été totalement maîtrisé. Avec la guerre en Ukraine, l'usine a semble-t-il dû cesser sa production. Et Avio est finalement revenu vers ArianeGroup pour se fournir à nouveau en col de tuyère.
Retour en vol ?
La commission d'enquête indépendante doit également définir les mesures à prendre pour que toutes les conditions de sécurité et de fiabilité requises soient réunies pour la reprise des vols de Vega-C. Le lanceur italien revolera-t-il d'ici à la fin de l'année ? Si c'est le cas, le calendrier risque d'être extrêmement tendu. Les recommandations de la commission vont être scrutées à la loupe par l'ensemble de la communauté spatiale pour évaluer si ces mesures sont vraiment à la mesure des enjeux pour résoudre définitivement les problèmes de qualité récurrents d'Avio dénoncés par de nombreux acteurs de la filière. Il en va de la crédibilité du groupe italien et de la fiabilité de son lanceur crucial pour la souveraineté de l'Europe et de son accès à l'espace en attendant l'arrivée d'Ariane 6.
Sur la remise en vol, le communiqué souligne qu'un « groupe de travail, dirigé par l'ESA et Arianespace, a commencé à mettre en œuvre la feuille de route proposée par la Commission. Ce groupe suivra attentivement la mise en œuvre des actions par le maître d'œuvre des lanceurs Vega, Avio, afin de garantir la fiabilité du retour en vol de Vega-C. La date de lancement visée est fin 2023 ».
L'ESA, en tant qu'autorité de qualification, devrait soumettre Vega-C à une revue générale détaillée pour identifier d'éventuelles autres défaillances. C'est ce qui avait été fait pour Ariane 5 après le vol inaugural (vol 501) en juin 1996. Pourquoi pas pour Vega-C. Pour autant, explique-t-on à La Tribune, les Italiens ne semblaient pas prêts jusqu'ici à autoriser une telle opération, selon des sources concordantes. Ce qui pourrait entraîner un bras de fer au centre spatial guyanais (CSG) où le directeur du CSG (CNES) est autorité de lancement pour toutes les questions de sécurité et de sûreté...
Par ailleurs, considérant la nature de l'anomalie de VV22, la Commission souligne que « ses conclusions sur le Zefiro 40 ne remettent pas en question la qualification des moteurs Zefiro 23 et Zefiro 9 ». Dans ce contexte, Arianespace a décidé d'adapter son calendrier de lancement pour réaffecter une mission sur l'un de ses deux lanceurs Vega restants, avec une date de lancement prévue avant la fin de l'été 2023. La seconde et dernière Vega, avec à son bord le satellite Biomass de l'ESA (étude des forêts), sera lancée en 2024.
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