Vega-C : le col de tuyère fabriqué en Ukraine est à l'origine du crash du lanceur italien

Le col de tuyère fabriqué par la société ukrainienne Youjnoye est à l'origine de l'échec de Vega-C, selon nos informations. Le groupe italien Avio a préféré un fournisseur ukrainien à ArianeGroup, qui jusqu'ici livrait cette pièce considérée comme critique pour le lanceur Vega.
Michel Cabirol
L'échec du vol VV22 a entraîné la suspension des lancements du lanceur italien Vega-C
L'échec du vol VV22 a entraîné la suspension des lancements du lanceur italien Vega-C (Crédits : Avio)

Article mis à jour le 3 mars à 9h02 avec la publication du communiqué d'Arianespace qui confirme les informations exclusives de La Tribune publiées le 2 mars à 8h36

Selon des sources concordantes, le col de tuyère fabriqué par la société ukrainienne Youjnoye est à l'origine de l'échec de Vega-C le 20 décembre 2022. Considérée comme  critique, cette pièce équipe le moteur du deuxième étage (Zefiro 40) du nouveau lanceur italien, qui effectuait son premier lancement commercial. Cette pièce en composite carbone/carbone n'a supporté ni la pression ni la température du vol et a finalement lâché. Ce qui a mis fin au bout de 2 minutes et 27 secondes à la mission Vega-C (VV22), qui ne pouvait plus respecter sa trajectoire de vol. Soit le troisième échec d'un lanceur Vega en seulement quatre ans (VV15 en juillet 2019, VV17 en novembre 2020 et VV22). Contacté par La Tribune, le groupe Avio, maître d'œuvre de Vega-C, n'a pas souhaité faire de commentaire.

Voici les conclusions de la Commission d'enquête indépendante sur la perte de la mission VV22 : « Les premières investigations, menées juste après le lancement avec les données de vol disponibles, ont confirmé que les sous-systèmes du lanceur avaient réagi aux événements conformément à leur conception, et que la cause de l'échec était une détérioration graduelle de la tuyère du Zefiro 40. Plus précisément, la Commission a confirmé que la cause était une sur-érosion thermo-mécanique inattendue du composite carbone/carbone (C/C) constituant l'insert du col de tuyère, acheté par Avio en Ukraine. Des investigations complémentaires ont conduit à la conclusion que ce phénomène était probablement dû à un défaut d'homogénéité du matériau utilisé pour cette pièce ».

La commission d'enquête indépendante chargée d'analyser la perte du vol Vega-C dévoilera ses conclusions vendredi au siège de l'ESA à Paris. Le directeur général de l'ESA Josef Aschbacher et le PDG d'Arianespace Stéphane Israël présenteront conjointement les résultats de l'enquête. Arianespace et l'ESA ont immédiatement mis en place une commission d'enquête indépendante afin d'analyser les raisons de la perte de la mission.

Un échec qui pose problème

Cet échec pose plusieurs questions cruciales sur son origine. Pourquoi une pièce aussi critique a été fabriquée par l'entreprise Youjnoye pour Vega-C alors qu'ArianeGroup livrait jusqu'ici ce type de pièce au groupe italien Avio pour le Zefiro 23 de Vega ? Les pièces fournies par ArianeGroup, qui livre également des cols de tuyère au ministère des armées pour les missiles de la force de dissuasion, avait jusqu'ici donné satisfaction sur l'ensemble des vols Vega, selon une source proche du dossier. En outre, pourquoi l'ESA (Agence spatiale européenne) a-t-elle autorisé ce fournisseur extra-européen du groupe italien en dehors de la règle du retour géographique ?

Arianespace précise dans son communiqué que « l'anomalie a également révélé que les critères d'acceptabilité utilisés pour le col de tuyère en C/C n'étaient pas suffisants pour en garantir l'aptitude au vol. La Commission a donc conclu que ce matériau composite spécifique était désormais interdit de vol. Aucune faiblesse dans le design du Zefiro 40 n'a été révélée. Avio a d'ores et déjà mis en œuvre une solution alternative pour les prochains cols de tuyères du Zefiro 40 avec un autre matériau C/C, fabriqué par ArianeGroup, qui est déjà utilisé pour les tuyères des Zefiro 23 et Zefiro 9 du lanceur Vega ».

Selon nos informations, le groupe spatial italien a choisi de se passer des services d'ArianeGroup et de se tourner vers Youjnoye pour des raisons de réduction de coûts avant le début de l'invasion russe en Ukraine. La société ukrainienne a d'ailleurs pu livrer avant le déclenchement des hostilités à Avio trois exemplaires de cette pièce, dont un a fonctionné sur le vol de qualification. Pour autant, le processus de fabrication très complexe d'un col de tuyère (carbone injecté sous forme gazeuse sur une pièce métallique dans un four) n'a semble-t-il pas été totalement maîtrisé. Avec la guerre en Ukraine, l'usine a semble-t-il dû cesser sa production. Et Avio est finalement revenu vers ArianeGroup pour se fournir à nouveau en col de tuyère.

Retour en vol ?

La commission d'enquête indépendante doit également définir les mesures à prendre pour que toutes les conditions de sécurité et de fiabilité requises soient réunies pour la reprise des vols de Vega-C. Le lanceur italien revolera-t-il d'ici à la fin de l'année ? Si c'est le cas, le calendrier risque d'être extrêmement tendu. Les recommandations de la commission vont être scrutées à la loupe par l'ensemble de la communauté spatiale pour évaluer si ces mesures sont vraiment à la mesure des enjeux pour résoudre définitivement les problèmes de qualité récurrents d'Avio dénoncés par de nombreux acteurs de la filière. Il en va de la crédibilité du groupe italien et de la fiabilité de son lanceur crucial pour la souveraineté de l'Europe et de son accès à l'espace en attendant l'arrivée d'Ariane 6.

Sur la remise en vol, le communiqué souligne qu'un « groupe de travail, dirigé par l'ESA et Arianespace, a commencé à mettre en œuvre la feuille de route proposée par la Commission. Ce groupe suivra attentivement la mise en œuvre des actions par le maître d'œuvre des lanceurs Vega, Avio, afin de garantir la fiabilité du retour en vol de Vega-C. La date de lancement visée est fin 2023 ».

L'ESA, en tant qu'autorité de qualification, devrait soumettre Vega-C à une revue générale détaillée pour identifier d'éventuelles autres défaillances. C'est ce qui avait été fait pour Ariane 5 après le vol inaugural (vol 501) en juin 1996. Pourquoi pas pour Vega-C. Pour autant, explique-t-on à La Tribune, les Italiens ne semblaient pas prêts jusqu'ici à autoriser une telle opération, selon des sources concordantes. Ce qui pourrait entraîner un bras de fer au centre spatial guyanais (CSG) où le directeur du CSG (CNES) est autorité de lancement pour toutes les questions de sécurité et de sûreté...

Par ailleurs, considérant la nature de l'anomalie de VV22, la Commission souligne que « ses conclusions sur le Zefiro 40 ne remettent pas en question la qualification des moteurs Zefiro 23 et Zefiro 9 ». Dans ce contexte, Arianespace a décidé d'adapter son calendrier de lancement pour réaffecter une mission sur l'un de ses deux lanceurs Vega restants, avec une date de lancement prévue avant la fin de l'été 2023. La seconde et dernière Vega, avec à son bord le satellite Biomass de l'ESA (étude des forêts), sera lancée en 2024.

Michel Cabirol

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Commentaires 25
à écrit le 04/03/2023 à 15:52
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En devoir de vigilance, redevabilité et transparence permettront de comparer les deux offres dont celle, ukrainienne, qui a été retenue... La Tribune a-t-elle déjà la réponse ?

à écrit le 03/03/2023 à 14:31
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Si la production 'originale' est soumise à des contrôles (divers, ultrasons, radiographie) et que tout ne les passe pas tellement c'est pointu comme technologie, ça peut expliquer le prix plus élevé, à cause des rebuts. Fabriquer ne suffit pas, si un...

à écrit le 03/03/2023 à 10:22
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Défaut de fabrication ou de conception? Le fabricant est ukrainien, mais qui a fait l'engineering de cette pièce ou partie de pièce?

à écrit le 02/03/2023 à 21:03
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Petites économies qui coûtent un max.

à écrit le 02/03/2023 à 20:58
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Petites économies qui coûtent un max.

à écrit le 02/03/2023 à 18:05
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Ça c'est l'Europe... Euhh... Palace ! Brève de comptoir.

à écrit le 02/03/2023 à 15:14
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Mdr ça me rappelle les 1er tests de fuséologie par le père baré, qui une fois avait fermé le carburateur avec une patate, car la trappe s'était cassée et qu'il y'avait rien d'autre pour réparer... ^^

à écrit le 02/03/2023 à 14:59
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Salaire moyen ukraine...362 euros/mois...ben c’est ce qui attend les français avec la règle du nivellement par le bas avec l’entrée de l’Ukraine dans l’U.E., comme ça s’est fait avec les espagnols, puis les grecs et les polonais : principe des vases ...

à écrit le 02/03/2023 à 14:51
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Pour avoir travaille dans le milieu spatial pendant 25 ans (moteurs Ariane) je crois rever..... Comment peut-on confier une piece de tuyere en composite ,vitale, sans requalification fonctionnelle et qui plus est a ce genre de fournisseur,c'est invr...

le 02/03/2023 à 20:39
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Chut, l' UE devait faire votre bonheur et accessoirement le mien. Mais elle est tombée en de mauvaises mains depuis qqes temps, celles des néos conservateurs européens strictement, très strictement alignés sur les belliciste...

à écrit le 02/03/2023 à 14:18
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Bonjour, Facile de tomber à bras raccourcis. Sur les Ukrainiens, mais cette pièce a été dessinée et commandée par les italiens avec des normes sévères, les Ukrainiens ont construit sans chercher à comprendre, il n'y a que nous français qui cherchon...

le 02/03/2023 à 21:07
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Oui bien sur ce sont les italiens qui ont passé la commande Mais c'est l ESA qui va payer la casse et requalifier le lanceur après ce manque de professionnalisme On ne plaisante pas avec les procédures dans le spatial ,les enjeux financiers son...

à écrit le 02/03/2023 à 14:10
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Le problème est la décision : jusqu’où est-on prêt à aller pour faire des économies, quand bien même c'est critique, et pour quelle prise de risque. Clairement l'image d'Avio va en prendre un coup (catégorie lanceur spatial peu fiable) et celle de Yo...

à écrit le 02/03/2023 à 13:08
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Bonjour, La question n'est pas une histoire de salaire moyen , mais de choix industriel... Souveraineté, , qualité du travail, , ect... Maintenant, la facture de la perte d'un lanceur, et deux satellites devras être déduite au perte et profite... ...

à écrit le 02/03/2023 à 12:53
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"Le groupe italien Avio a préféré un fournisseur ukrainien à ArianeGroup" C'est pas fini : Pourquoi Airbus a préféré l’italien Avio, filiale de General Electric (GE) , à Safran pour motoriser le futur drone militaire européen.Plus performant,...

à écrit le 02/03/2023 à 12:23
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Bon ben ceux qui ont proposé ce fournisseur ukrainien et ceux qui ont validé cette décision, peuvent commencer à mettre à jour leur profil LinkedIn et aller chercher du travail.

à écrit le 02/03/2023 à 12:06
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AVIO est complètement italien et pour économiser des bouts de ficelle et pour faire dire qu’on est meilleur qu’Ariane Group on a misé sur un fournisseur mieux disant. En matière de lanceurs ça ne pardonne pas.

à écrit le 02/03/2023 à 12:01
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Des économies de bout de chandelle qui coûtent très très cher.

à écrit le 02/03/2023 à 11:02
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AVIO est complètement italien et pour des raisons de coûts et peut être un peu d'arrogance a cru pouvoir se passer des services d'Ariane Groupe mal lui en a pris.

à écrit le 02/03/2023 à 10:32
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Quand on cherche le low cost, il faut savoir redoubler d'attention sur la qualité. Tout ceux qui bossent dans l'industrie connaissent trés bien la question: l'économie à l'achat nécessite souvent des couts supplémentaires en qualités, largement sou...

à écrit le 02/03/2023 à 10:12
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Toujours des économies de bout de chandelle, avec des conséquences financières énormes et de crédibilité

à écrit le 02/03/2023 à 9:57
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Pour gagner 200€ sur la pièce, on perd 50 M€ minimum. Pour connaitre le milieu, pourquoi l'acheteur n'est pas viré avec publicité pour tous les autres acheteurs de Airbus Lanceur? Le chef de projet aussi. Analyse de risque??? Signature des jalons pou...

le 02/03/2023 à 14:15
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Airbus lanceurs? C'est nouveau? Connais pas...

le 02/03/2023 à 19:00
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"Pour connaitre le milieu", un expert une pointure, une épée.....au fait Vega c'est Avio, Airbus n'a rien à y voir.....

à écrit le 02/03/2023 à 9:46
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Lol

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