![Au début de l'année, à plusieurs reprises, les tracteurs ont convergé jusqu'à Bruxelles, pour signifier le mécontentement des agriculteurs.](https://static.latribune.fr/full_width/2384628/election-ue-2024-pac.jpg)
De la Pologne à l'Italie, de l'Espagne à la Roumanie, en janvier et février, la colère agricole a déferlé dans quasiment toute l'Europe. À plusieurs reprises, les tracteurs ont convergé jusqu'à Bruxelles pour signifier que le mécontentement des agriculteurs portait non seulement sur les politiques des Etats membres, mais aussi sur celles de l'Union européenne. Accusée de noyer l'esprit d'initiative des agriculteurs dans une mer de contraintes environnementales et de paperasse administrative, l'UE était même pointée du doigt comme la principale source de leur détresse.
Preuve du pouvoir de frappe des 9,4 millions d'agriculteurs du Vieux Continent (4,5% de la population), à deux semaines des élections européennes, ces revendications ont déjà été suivies d'effets. En moins de quelques mois, la Commission européenne, le Parlement européen et les Etats membres se sont accordés autour d'un allègement des critères environnementaux pour obtenir les aides de la Politique agricole commune (PAC) 2023-2027, dont l'élaboration avait pourtant pris des années.
Dans le même laps de temps, les principaux textes concernant l'agriculture issus du Pacte vert européen (le « Green Deal », présenté par l'exécutif européen en décembre 2019 pour réduire les émissions de gaz à effet de serre), en cours de discussion, ont été retoqués, mis en suspens, voire clairement abandonnés. Un changement de cap qui produira vraisemblablement ses effets au moins jusqu'à la fin de 2027.
Revenus et souveraineté au-devant de la scène
En parallèle, des enjeux jusqu'à présent négligés par la politique agricole commune européenne ont été propulsés sur le devant de la scène. C'est notamment le cas des revenus des agriculteurs et de la juste répartition de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne alimentaire. Abordée en France depuis 2018 dans le cadre des diverses lois dites « Egalim », la protection de ces revenus, face notamment à l'érosion du pouvoir d'achat des consommateurs, n'avait pas encore été véritablement prise en main par Bruxelles. La Commission européenne s'est désormais empressée de dévoiler une « feuille de route » proposant un « observatoire » sur les prix de production et une évaluation des règles sur les pratiques commerciales déloyales, bien que sans encore de proposition législative.
Parmi ces préoccupations devenues désormais d'actualité brûlante figurent aussi la souveraineté alimentaire, la simplification administrative, la compétitivité et les distorsions de concurrence vis-à-vis des pays tiers comme à l'intérieur de l'UE, l'adaptation de l'agriculture face au changement climatique... Déjà au centre des promesses électorales des divers partis, nul doute qu'elles occuperont une place fondamentale dans les débats de la prochaine mandature.
La composition de la future Commission encore incertaine
Toutefois, malgré toutes ces tendances, il est aujourd'hui impossible de prévoir les effets concrets du scrutin sur l'avenir de la PAC et du Green Deal dans les années à venir. Ceux-ci dépendront en effet non seulement de la composition du Parlement européen, où l'on sait déjà que la droite et surtout l'extrême-droite devrait se retrouver renforcée, mais aussi d'autres évolutions encore incertaines telles que la présidence et la composition de la nouvelle Commission.
La volonté et la capacité de négociation des pays qui se succéderont tous les six mois à la présidence de l'UE joueront aussi un rôle important, rappelle Sophie Thoyer, économiste à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Des ralentissements semblent notamment à prévoir au deuxième semestre 2024 et au premier semestre 2025, lorsque la Hongrie et la Pologne, dont les gouvernements actuels sont plutôt hostiles à l'intégration européenne, se succéderont à la présidence de l'UE.
Sans compter que, fin janvier, la Commission a lancé un « dialogue stratégique sur le futur de l'agriculture de l'UE », réunissant l'ensemble des parties prenantes (organisations agricoles, représentants de l'agro-alimentaire, experts et ONG). Les propositions sur les contours de la PAC 2028-2034 qu'il est censé formuler ne seront dévoilées qu'à la fin de l'été.
Plus ou moins de PAC ?
De l'ensemble de ces nouveaux facteurs dépendront donc divers arbitrages cruciaux autour de la prochaine politique agricole commune, analyse Sophie Thoyer, tout en rappelant que, « dotée de 50 milliards par an, la PAC est un gros paquebot ne pouvant changer de cap que très lentement ». En fonction de la sensibilité écologique des nouvelles institutions, la place réservée à l'environnement - accrue lors de la dernière PAC mais déjà en recul - pourra notamment encore évoluer. De cette sensibilité dépendra d'ailleurs aussi «la volonté politique des futures institutions européennes de reprendre, renforcer ou affaiblir les textes législatifs censés mettre en œuvre le Green Deal », souligne la directrice de recherches. Aujourd'hui, en matière agricole, le Pacte vert n'est en effet qu'une simple feuille de route.
Mais l'avenir de la politique agricole commune dépendra aussi largement du penchant plus ou moins pro-européen des nouveaux décideurs. Ce dernier sera, en effet, déterminant lors des discussions sur la marge de manœuvre à laisser aux Etats dans la politique agricole commune, renforcée dans la dernière PAC, mais critiquée à gauche en tant que facteur de distorsion de la concurrence. L'attitude plus ou moins pro-européenne des députés et des Etats membres sera encore plus décisive lorsqu'il s'agira de fixer le futur budget européen 2028-2034, et, dans ce cadre, celui de la PAC.
Actuellement, ce dernier représente environ un tiers de celui de l'Union européenne. À titre d'exemple, la France, première puissance agricole de la zone, en est le premier bénéficiaire, avec plus de 9 milliards d'euros par an. Le nouveau budget devra être arrêté avant la fin de 2027.
« L'architecture globale de la politique agricole commune en dépend », souligne Sophie Thoyer. Et de conclure : « Dans un contexte de dépenses supplémentaires liées aux guerres en cours, on peut au mieux espérer qu'il ne baisse pas ».
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