Céréales : pourquoi les prix flambent de nouveau

Les incertitudes qui pèsent sur l'avenir de l'accord céréalier conclu en juillet dernier entre l'Ukraine et la Russie et Moscou, sous l'égide de l'Onu et de la Turquie, ont provoqué lundi un rebond des prix sur les marchés internationaux. La situation risque-t-elle durer ? La Tribune fait le point.
Les exportations de céréales ukrainiennes ont repris lundi en mer Noire avec l'appui de l'ONU et de la Turquie. Mais pour combien de temps ?
Les exportations de céréales ukrainiennes ont repris lundi en mer Noire avec l'appui de l'ONU et de la Turquie. Mais pour combien de temps ? (Crédits : Reuters)

Depuis le début de la guerre, les marchés des céréales sont très sensibles aux nouvelles venant d'Ukraine et de Russie, principaux pays exportateurs de blé et de maïs. Lundi, après l'annonce par la Russie de se retirer de l'accord permettant l'acheminement des céréales ukrainiennes via les ports ukrainiens de la mer Noire, les prix sont repartis à la hausse sur les marchés internationaux. Une tendance à laquelle les analystes s'attendaient compte tenu de la situation très incertaine qui pesait depuis plusieurs jours sur le corridor en mer Noire.

Que s'est-il passé ? La Russie a décidé samedi de suspendre sa participation à l'accord céréalier conclu en juillet dernier à Istanbul entre Kiev et Moscou, sous l'égide de l'Onu et de la Turquie, et considéré comme essentiel pour l'approvisionnement alimentaire mondial. Cela signifie qu'elle a réinstauré son blocus sur les exportations à partir des ports ukrainiens de la mer Noire. Ces dernières semaines, Moscou avait multiplié les critiques du texte, soulignant que ses propres exportations souffraient du fait des sanctions internationales décidées après le déclenchement de la guerre en Ukraine. De quoi renforcer l'argument des Occidentaux qui accusent le Kremlin de faire des denrées alimentaires une arme de guerre.

Tendance inflationniste

Les incertitudes qui pèsent sur l'avenir de cet engagement ont aussitôt provoqué un rebond des prix sur les marchés internationaux, la tonne de blé dépassant les 354 euros sur Euronext en séance.

Cet été pourtant, la mise en place du corridor de la mer Noire, lié notamment au compromis signé début août entre la Russie et l'Ukraine, sous la houlette de l'Onu et de la Turquie, a permis l'expédition depuis les ports ukrainiens de plus de neuf millions de tonnes de céréales et d'oléagineux, dont 40% vers les pays en voie de développement. Ce compromis avait permis de stabiliser les marchés et de faire baisser les prix, qui avaient auparavant atteint des niveaux records. De quoi aussi éloigner le spectre d'une crise alimentaire mondiale, notamment dans les pays pauvres, très dépendants des exportations de céréales ukrainiennes et russes.

Mais le nouveau blocus russe en mer Noire ne risque-t-il pas de changer de nouveau la donne ? Moscou a assuré être prêt à remplacer les exportations ukrainiennes avec les siennes pour les pays pauvres et a offert de leur donner gratuitement 500.000 tonnes de céréales dans les prochains mois. Mais trop d'incertitudes demeurent pour l'instant. « Cette tendance haussière des prix des céréales peut aussi très vite s'inverser en fonction des tractations politiques et de la reprise ou non des exportations de céréales », explique Arthur Portier, consultant chez Agritel, cabinet d'analyse et de conseil, spécialisé dans les marchés agricoles et agro-industriels.

Reprise des exportations

D'ailleurs, les exportations de céréales ukrainiennes ont repris lundi en mer Noire avec l'appui de l'Onu et de la Turquie. Au moins dix cargos étaient engagés les cales pleines dans le couloir maritime, dont le Ikaria Angel, affrété par le Programme alimentaire mondial avec 30.000 tonnes de blé destinées à Djibouti, selon le site Marine Traffic. Le Centre de coordination conjointe (JCC), chargé de superviser l'accord international sur les exportations de céréales ukrainiennes via la mer Noire, a prévu une douzaine de cargos au départ des ports d'Ukraine sur la journée. Quatre autres bateaux devaient se diriger d'Istanbul vers l'Ukraine après inspection de leurs cales. Mais pour combien de temps ? Moscou a d'ailleurs mis en garde contre la poursuite « risquée » et même « dangereuse » de la navigation en mer Noire sans son accord.

Pas de quoi pour autant faire redescendre les prix dans l'immédiat. « Dès que la Russie a annoncé la suspension de ce corridor ces derniers jours, automatiquement ça a créé quelques turbulences sur les marchés car les flux qui ne pourront plus sortir via la mer noire vont devoir sortir d'ailleurs », souligne l'expert des marchés agricoles et agro-industriels. Or les autres pays exportateurs, notamment de maïs, qui pourraient éventuellement se substituer aux exportations de maïs ukrainien, sont en proie à des récoltes qui s'annoncent relativement dégradées. Ces difficultés sont d'ordre climatiques pour l'Argentine (sécheresse) et l'Australie (pluies). Ou logistiques, pour la Russie. « Quant à l'Europe et principalement la France, elle a déjà beaucoup exporté sur le début de cette campagne », précise Arthur Portier. Autant de paramètres qui contribuent à faire grimper les prix dans la mesure où la demande devient supérieure à l'offre.

Incertitude et urgence

La situation va-t-elle durer ? « Les cours sont très haussiers à court terme et affichent une certaine fermeté », selon l'expert d'Agritel. « Après ça peut vite aller dans l'autre sens ». Mais pour l'heure, l'incertitude et le manque de visibilité dominent.

Et si la situation d'incertitude perdure, c'est toute la chaîne céréalière, de la production à l'exportation, qui risque d'être impactée. En bout de chaîne, on retrouve notamment les éleveurs. « Le risque c'est que si demain on ralentit l'importation de maïs ukrainien, les aliments pour le bétail seront remplacés par du blé ou de l'orge. Et, du coup, ça va faire grimper le prix du blé ou de l'orge », alerte Arthur Portier.

Au niveau mondial, l'inflation sur les céréales peut de nouveau devenir dramatique pour bon nombre de pays, notamment les pays en voie de développement. Dans ce contexte, l'Onu et la Turquie sont donc engagées dans une diplomatie tous azimuts pour maintenir les exportations à flot. « Nous sommes résolus à poursuivre nos efforts au service de l'humanité », a déclaré lundi le président turc Recep Tayyip Erdogan. L'accord sur les exportations de céréales ukrainiennes, suspendu par la Russie, arrive à échéance le 19 novembre. L'Onu a déjà appelé à son prolongement pour un an.

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Commentaire 1
à écrit le 31/10/2022 à 23:43
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Au nom de quoi Poutine fait la pluie et le beau temps sur les exportations de céréales ukrainiennes en prenant en otage des millions de gens ? Ah oui il a envahi le pays ..

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