Leader mondial, la cosmétique made in France s'exporte à l'international mais peine encore à recruter

Ingrédients, usages, packaging... L'industrie cosmétique hexagonale innove dans tous les domaines pour conserver son rang de leader mondial. Alors que son cluster, Cosmetic Valley, vient de fêter son 30è anniversaire, la filière entend bien conforter son identité responsable en valorisant ses produits « made in France ». Enquête.
L’absence de déchet et de transport d'eau est l’une des clés du succès des produits d’hygiène en poudre ou solides.
L’absence de déchet et de transport d'eau est l’une des clés du succès des produits d’hygiène en poudre ou solides. (Crédits : ( © 900.care))

Les administrateurs et invités de Cosmetic Valley, qui ont soufflé le 8 février dernier les trente bougies du cluster de la parfumerie française dans les salons du Jardin d'acclimatation à Paris, n'ont pas boudé leur plaisir. Ils ont pu mesurer le chemin parcouru par la filière cosmétique depuis 1993. Et pour cause: à date, elle recense 6.300 établissements, dont 80% de PME, employant au total 226 000 salariés. Avec un chiffre d'affaires de 71 milliards d'euros réalisé en 2023, dont plus de 21 milliards d'euros à l'export, les marques françaises de cosmétiques figurent comme le second contributeur de la balance commerciale du pays, derrière l'aéronautique.

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« Ce leadership doit être conforté en permanence, tant la bataille à l'international est disputée, assure Christophe Masson, directeur général de Cosmetic Valley. A côté de nos deux challengers historiques, les Etats unis et l'Allemagne, la Corée est ainsi devenue en dix ans une concurrente redoutable. Elle exporte désormais sa K-Beauty qui a pesé pour 8 milliards d'euros en 2023 ». Les progrès de l'industrie cosmétique chinoise, avec une montée en compétence et en qualité illustrée par les produits du groupe Proya, sont également surveillés comme le lait sur le feu par les Français. Cosmetic Valley a même ouvert en janvier dernier une « ambassade » à Shanghai pour maintenir ses positions sur le gigantesque marché chinois,.

« Une effervescence hexagonale »

Si la notoriété des marques françaises constitue un accélérateur essentiel à l'international, le dynamisme du secteur est aussi dû à la forte capacité d'innovation de ses acteurs en France. « Cette effervescence hexagonale est notable surtout depuis 2015, explique Christophe Masson. Une startup est créée en France en moyenne tous les deux jours, soit 150 par an, autour de la consommation des produits cosmétiques ».

Sur le plan des affaires, souvent dans la recherche et le science en direction des marques de cosmétiques elles-mêmes, Comestic Valley accompagne par ailleurs 50 autres jeunes pousses au sein de son Beauty Hub. Ont ainsi émergé plusieurs startups travaillant sur l'impact des cosmétiques sur la longévité et le vieillissement de la peau, comme Oxyproteomics issu de Sorbonne Université, ainsi qu'Odea. Ce tissu de près d'un millier de jeunes pousses joue un rôle d'aiguillon moteur au sein de la cosmétique. Grâce à leur capacité d'innovation, de nouvelles tendances sont régulièrement lancées auprès des consommateurs, souvent reprises ensuite par les grands marques elles-mêmes. C'est notamment le cas pour les écorecharges, désormais adoptées notamment par le groupe breton Yves Rocher.

Ingrédients et emballages durables

Le secteur est en effet l'un des plus attendus sur son impact environnemental. La bonne santé économique de la filière française est donc due en premier lieu à sa capacité d'intégrer, des ingrédients durables et responsables dans les produits des marques. Ainsi, concernant les parfums, le producteur de protéines végétales Intact Régénérative, basé à Olivet dans le Loiret, fournit aux fabricants de l'alcool neutre issu de légumineuses. Ces plantes, qui régénèrent les sols, ne nécessitent de surcroît aucun ajout d'azote. A la clé, une empreinte carbone réduite de 80 % par rapport aux alcools classiques.

Signe du rôle grandissant que pourrait jouer à l'avenir l'agriculture régénérative en tant qu'ingrédients de la cosmétique, mais aussi vis-à-vis des filières de l'agro-alimentaire et de la pharmacie, Intact Régénérative annonce un investissement de 65 millions d'euros pour construire au premier trimestre 2025 sa propre usine de production à Baule , également dans le Loiret.

Le gaspillage d'emballages en plastique figure parmi les premiers griefs faits à l'industrie cosmétique. Afin de diminuer l'impact environnemental du packaging, la société Sealester propose depuis 2020 des recharges en papier recyclable aussi bien pour les produits solides que visqueux (shampoing, crèmes, huiles, etc). « Même si les consommateurs sont très demandeurs, on assiste à une montée des volumes relativement lente pour deux raisons majeures, reconnaît Clément Fourmaux, président de la société située à La Ferté Bernard dans la Sarthe. Il s'agit d'une part de la difficulté de greffer une recharge sur un produit non conçu au départ pour permettre cette option. Le second frein est d'autre part le prix, tant le coût de fabrication des recharges reste plus élevé que celui des enveloppes en plastique ».

Tant est si bien que seuls les fabricants de shampoing Cut by Fred, de crèmes Malou et Marius, ainsi que la marque La Vie Claire, proposent une offre (limitée) de versions rechargeables dans leurs gammes. En pharmacie, Bioderma depuis 2020 et La Rosée depuis l'année dernière ont en revanche largement investi ce créneau. La donne pourrait toutefois changer rapidement avec la loi anti-gaspillage AGEC qui proscrit les emballages à usage unique à partir de 2030.

Nouveaux usages

Pour continuer à faire la course en tête, la cosmétique française doit également être capable d'innover au plan des usages. Cela concerne aussi bien les produits de beauté, que le conseil ou encore l'expérience en magasins. Parmi plusieurs dizaines d'acteurs, les fabricants de cosmétique en poudre 900.care et solide Umaï ont le vent en poupe. Située à Paris, la société 900.care commercialise via un abonnement sur son site Internet une gamme de produits d'hygiène, shampoing, mousses lavantes et gels douche, sous forme de poudre.

« Le fait de ne générer ni déchets ni transport d'eau est très apprécié par le consommateur, se félicite Aymeric Grange, Pdg de l'entreprise qu'il a créée en 2019. Nous avons désormais 80 000 abonnés et notre croissance est de 100% par an ». Sur ce marché en plein boom de la cosmétique en poudre, où évoluent également les sociétés Pimpant et Neo buy nature, 900.care compte faire progresser ses recettes de 10 millions d'euros en 2023 à 80 millions d'euros d'ici quatre ans. Un pari très ambitieux.

À Montargis dans le Loiret depuis 2018, Umaï s'est quant à elle spécialisée dans les produits solides pour le capillaire et les soins de peau. Avec d'un côté des shampoings et des masques, et de l'autre des crèmes ainsi que des démaquillants, sa gamme s'enrichit régulièrement grâce à un laboratoire de recherche interne. « Nous sourcons en permanence de nouveaux ingrédients, assure le dirigeant de cette PME de 25 salariés. Conjuguée au côté éco-responsable, l'innovation nous permet de réaliser une croissance de 20% par an ».

Tendance encore marginale pour l'instant, avec 8% du marché, pour la moitié issu du savon, la cosmétique solide reste une niche qui ne compte pas uniquement des réussites. Ainsi, le pionnier du genre, Lamazuna à Valence dans la Drôme, a été placé en redressement judiciaire en mars 2023.

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Expériences renouvelées dans les points de ventes

Les mutations en cours sont aussi notables concernant l'aval de la chaîne de valeur. La personnalisation des produits suscite ainsi une appétence croissante chez les consommateurs dans laquelle s'est engouffrée la startup Cosmecode. Grâce à une caméra embarquée, l'outil digital qu'elle a développé permet de déterminer la couleur de fond de teint la plus adaptée à la peau, y compris en tenant compte de l'éclairage. « Faire ce choix relève souvent du parcours du combattant pour les consommatrices, explique Sarah Mellouki, fondatrice de Cosmecode. Grâce à notre Shade finder (*) installé dans les magasins, elles obtiennent un résultat précis et rigoureux ».

Afin de diminuer le gaspillage et les vols de flacons de démonstration dans les parfumeries, GK Concept a imaginé en 2018 un mobilier qui distribue une carte à parfum fraîchement vaporisée. Basée à Chartres, au cœur de la Cosmetic Valley, la société a installé jusqu'à présent 700 de ses machines, y compris dans les « corners » des marques au sein des aéroports et des grands magasins. « Nos bars olfactifs, qui peuvent proposer jusqu'à 12 tests différents, participent clairement à l'animation des points de ventes, se félicite Arthur Hagiage, pdg de l'entreprise familiale fondée en 1916. Elles ont généré en moyenne en 2023 une augmentation des ventes de 28% ». GK Concept, qui dispose de sa propre usine en Eure-et-Loir, s'attèle depuis début février à produire en série un autre mobilier distribuant les échantillons cosmétiques.

L'emploi, enjeu de taille

Pour maintenir un taux de croissance annuel de l'ordre de 10%, la cosmétique française doit enfin répondre à un enjeu de taille : l'emploi. Comme d'autres industries, elle peine de plus en plus à recruter depuis 2022 où le taux de chômage est descendu sous la barre des 7%. « Si la filière jouit d'une image favorable auprès des jeunes générations, les offres d'emplois dans certains métiers comme les techniciens de maintenance et les opérateurs de production sont largement supérieures à la demande, constate Christophe Masson. Une campagne de communication sera lancée avant l'été pour susciter de nouvelles vocations » annonce le président du cluster Cosmetic Valley. Outre son côté glamour, la cosmétique française y mettra en avant son ancrage territorial, une autre clé majeure de sa success story.

(*) : Détecteur de teinte

Le dissolvant solide, produit phare de la marque éco-responsable Delienn

Depuis 2022, Delienn trace sa route dans le monde de la cosmétique éco-responsable. La jeune marque fondée à Trégueux (Côtes d'Armor) par Gaëlle Marrot et Marine Bizouarn, deux jeunes chimistes de 23 et 24 ans, s'est faite connaître en élaborant le premier dissolvant contenant des ingrédients 100 % naturels et biologiques, disponible sous forme solide.

Adieu l'odeur agressive des produits liquides, ce dissolvant doux, onctueux et sans acétone repose sur une promesse simple: prendre soin des ongles. Prototypée en 2021 par Marine Bizouarn, cette innovation a remporté deux prix au concours U'Cosmétics. Avec son parfum fruité, le « dissolid », rencontre aussi un succès public. Depuis septembre 2022, Delienn a écoulé plus de 6.000 dissolvants.

« Gaëlle et moi nous retrouvons sur l'envie de commercialiser des produits cosmétiques sans huile de palme, défendant des valeurs écologiques et locales, et mis en valeur dans des packagings atypiques » déclare Marine Bizouarn.

Dans son laboratoire situé sur le pôle Biotech Innôzh à Ploufragan, la jeune pousse a mis au point trois autres produits pour les mains au nectar de bruyère et à la prune : une crème au collagène végétal issu de la gomme d'acacia, un savon saponifié à froid et mêlant tournesol, coco, karité et olive, enfin un gommage à base de cellulose végétale. Ces produits sont distribués dans plus de 200 points de vente en France, en Belgique, au Luxembourg et en Suisse, y compris dans le réseau Nature & Découvertes. En 2024, les deux entrepreneuses veulent doubler le nombre de magasins et élaborer d'autres gammes de soin. P.P-L.

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Commentaires 2
à écrit le 26/02/2024 à 10:42
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Ben oui faut augmenter les salaires et améliorer les conditions de travail mais les négriers ne veulent pas écouter nous privant ainsi ide croissance économique pérenne comme le veut le great reset de davos. Mais qu'on s'ennuie au sein de leur bidule...

à écrit le 26/02/2024 à 8:37
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Augmentez les salaires ! C'est marrant comme cette solution ultra simple et efficace n'est jamais entendue... Ben non ils préfèrent chouiner afin d'obtenir la permission de louer des esclaves à 150 balles par mois. Nos dirigeants sont nuls.

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