Les recettes de Picard face à la flambée des coûts et la baisse du pouvoir d'achat

ENTRETIEN. À la tête des 1.073 magasins Picard depuis juin 2020, Cathy Collart-Geiger, la présidente directrice générale du groupe, dévoile à La Tribune la stratégie de l'enseigne de surgelés face à la flambée des coûts de l'électricité et, plus largement, de tous ses coûts de production. La dirigeante s'attend à voir sa facture d'énergie au moins tripler début 2023 dans un environnement de plus en plus contraint. Pour l'heure, aucun changement dans les comportements d'achat a été observé.
Arrivée aux manettes de Picard en juin 2020, la PDG Cathy Collart-Geiger jongle entre stratégie de croissance et gestion des urgences énergétiques.
Arrivée aux manettes de Picard en juin 2020, la PDG Cathy Collart-Geiger jongle entre stratégie de croissance et gestion des urgences énergétiques. (Crédits : Picard)

LA TRIBUNE - Comment se porte le marché français des surgelés ?

Cathy COLLART-GEIGER - Le confinement a créé un fort engouement pour les surgelés si bien que le marché français a progressé d'un milliard d'euros pendant cette période. En 2022, le marché est revenu à ce qu'il était en 2019, il n'a pas conservé la hausse liée au Covid. Mais Picard a réussi à conserver une partie de ce gain puisque notre chiffre d'affaires 2022 est en repli de 5 % sur un an mais en hausse de 20 % par rapport à 2019 ! Concrètement, cela signifie qu'après une stagnation de notre activité depuis le milieu des années 2010 (+0,6 % en huit ans), on gagne des parts de marché et on va continuer à le faire avec notre plan stratégique Proxima (lire encadré, NDLR). Donc Picard se porte bien et est devenue l'enseigne préférée des Français fin 2021 !

La grande distribution s'est engagée à réaliser des économies d'énergie face à la flambée des prix de l'électricité. A quel point Picard est-elle concernée par ce sujet ?

Pour l'instant, nous sommes couverts jusqu'à la fin de l'année 2022 mais il faudra bien renégocier nos abonnements avec notre fournisseur. C'est là que ça va devenir difficile et l'estimation que j'ai actuellement c'est que le poste de dépense lié à l'électricité va être multiplié par trois à quatre en 2023 par rapport à 2022 alors qu'il figure déjà parmi nos cinq plus grosses dépenses. Picard est un cas particulier puisqu'on est très tributaire de l'énergie mais ce n'est pas pour du confort : 85 % de l'énergie que nous consommons contribue au maintien du grand froid puisque nos produits doivent être, à cœur, à - 18°C ce qui nous oblige à avoir des congélateurs en journée entre -23 et -26 °C.

Quatre axes de croissance


  • Cathy Collart-Geiger a engagé un plan de croissance baptisé Proxima autour de quatre piliers. Le premier se concentre sur l'expérience client avec un nouveau CRM, des comptoirs dégustations et un nouveau programme de fidélité plus attractif qui a permis d'encarter deux millions de nouveaux clients. Le deuxième c'est le déploiement de la livraison à domicile et du click'n'collect qui permet au e-commerce de peser près de 5 % du chiffre d'affaires, contre moins de 2 % en 2020. Le troisième se matérialise par l'ouverture de 250 nouveaux magasins en cinq ans, dont 90 sont déjà ouverts, notamment dans les villes petites et moyennes, et un essor à l'international avec une présence dans 15 pays pour 2 % du chiffre d'affaires. Enfin, le dernier axe est le travail autour de la raison d'être « Nourrir sans cesse l'amour du bon », de la marque employeur et de la RSE.

Comment faire face à une telle hausse ?

D'abord, tous nos congélateurs sont bien évidemment fermés et nous sommes depuis 2015 conformes à la norme ISO 50.001 pour notre système de gestion de l'énergie. Entre 2012 et 2020, nous avons déjà diminué de 10 % notre consommation d'électricité et nous nous sommes engagés à la réduire à nouveau de 10 % d'ici à 2026. Mais j'espère qu'on atteindra cet objectif en trois ou quatre ans plutôt qu'en six ! Pour cela, Picard a triplé ses investissements sur le renouvellement des bacs surgelés auto-dégivrants, qui permettent de diminuer la consommation de 20 %. Nous allons multiplier les réducteurs de tension, qui permettent un gain de 5 %, et augmenter légèrement la température des congélateurs la nuit en passant de -23 °c à -21°C, ce qui, là encore, permet 5 % d'économie. À l'extérieur, on teste beaucoup de choses comme le un toit photovoltaïque à Toulouse qui permet 30 % d'autoconsommation pour le magasin.

Craignez-vous de devoir fermer des magasins ?

Non, aucune de nos hypothèses ne prévoit de fermer des magasins ou de réduire les horaires, notamment parce que nous avons déjà des horaires plus réduits que la grande distribution et nous éteignons déjà nos enseignes lumineuses 30 minutes après la fermeture de nos magasins. Je ne rejoins pas non plus la grande distribution sur la question de baisser le chauffage à 17 °C l'hiver puisque, de fait, dans les magasins Picard il n'y a pas de chauffage ! Il y a donc une latitude d'action un peu différente pour nous et nous continuons à travailler sur toutes les pistes d'économies.

En chiffres


  • Picard en chiffres 1,69 milliard d'euros de chiffres d'affaires en 2022 (-5 % Vs 2021) et 138 millions d'euros de résultat net (-9 % Vs 2021)

  • 1.073 magasins et plus de 5.000 salariés.

  • 80 recrutements en cours Une présence dans 15 pays

Face à la hausse de vos coûts de production, quelle est votre stratégie ? Jouer sur les prix, la marge ou réduire les quantités ?

L'inflation est une réalité chez nous parce qu'elle touche simultanément tous les postes de la chaîne de valeur : matières premières, emballages, transport, coût de production, salaires, etc. C'est la première fois qu'on vit ça : tous les coûts de la chaîne de valeur ont augmenté ! Donc, oui, on a décidé de répercuter une partie de cette réalité dans nos prix tout en gelant les prix de 300 produits à moins de trois euros en prenant sur notre marge. Vous pouvez toujours manger chez Picard un plat cuisiné à 2,20 € !

En revanche, sur certains créneaux, pour pouvoir conserver des prix abordables pour nos clients, nous avons joué sur la recette en changeant quelques ingrédients. Par exemple, la volaille farcie au foie gras pour la fin d'année serait hors de portée de nos clients, on a donc opté pour une farce aux champignons et aux fruits. Même chose pour le saumon fumé que nous avons délaissé au profit de la truite.

Picard

L'inflation qui tourne autour de 6 % sur un an a-t-elle déjà modifié le comportement de vos clients ?

Pour l'instant, nous n'observons pas d'évolution de leur consommation. Ils n'ont pas arbitré et semblent plutôt accepter les hausses de prix qui restent mesurées. C'est aussi que notre clientèle est plutôt composée de CSP+ qui sont probablement moins sensible à cette inflation. Mais on a aussi des budgets contraints et on répète à nos clients que le surgelé est un produit anti-crise parce que les clients en gaspillent moins de 1 % contre autour de 20 % en moyenne pour les produits frais ! Le surgelé se conserve longtemps et on le consomme quand on veut. On a aussi musclé notre programme de fidélité pour qu'il soit plus généreux, avec par exemple la livraison à domicile gratuite au mois de septembre.

L'inflation pèse aussi sur le pouvoir d'achat de vos salariés alors que les organisations syndicales dénoncent une politique salariale trop contrainte chez Picard. Que leur répondez-vous ?

Comme dans tout le secteur du retail, lorsque les frais de personnel dépassent un ratio de 10 à 15 % du chiffre d'affaires il faut être vigilant. C'est notre premier poste de dépense et nous le réévaluons en fonction de la croissance de notre activité. Les négociations annuelles obligatoires chez Picard se font entre janvier et mars pour une annonce au mois d'avril. En complément, nous avons revalorisé nos plus bas salaires au mois d'août, qui sont au-delà du Smic, et je souhaite prendre une mesure complémentaire compte-tenu de l'inflation. Il y aura donc une mesure salariale fin septembre. Nous en discutons actuellement avec les organisations syndicales. Plus largement, sur le marché du retail nous sommes très bien placés en termes de salaires donc, pour recruter, je ne crains pas la concurrence du retail même si, comme tout le monde, nous avons un turn-over en hausse.

Quelle est la part de l'alimentation bio et des ingrédients locaux dans votre offre ?

Aujourd'hui, le bio pèse 10 % de notre chiffre d'affaires et environ 120 références sur un total de 1.300 avec la volonté de proposer une référence bio au sein de chaque famille de produits pour permettre aux clients de choisir. On a commencé tôt le bio mais on a une accélération très nette du bio ces dernières années avant la baisse à deux chiffres que le marché connaît actuellement. On a signé en 2020 un partenariat avec la FNAB (Fédération nationale d'agriculture biologique) pour approvisionner nos magasins avec des producteurs bio locaux. C'est le cas de notre entrepôt de Villeneuve-sur-Lot en Lot-et-Garonne qui alimente une centaine de magasins en Aquitaine et en Occitanie.

Et la question stratégique des emballages plastiques ?

L'objectif n'est pas d'être zéro plastique mais nous cherchons à le réduire et à n'utiliser que du plastique recyclable. C'est déjà le cas à 75 % et nous visions 100 % en 2023 ou 2024. C'est déjà 1.000 tonnes de plastiques économisées en deux ans au profit d'emballages en carton ou en pulpe de canne. On a en parallèle une équipé dédiée à la réduction des emballages et au sourcing de matières innovantes. On va aussi expérimenter des solutions proches du vrac même si formellement le vrac surgelé est interdit en France, contrairement à d'autres pays.

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Commentaires 7
à écrit le 14/09/2022 à 17:34
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Cathy Collart-Geiger jongle avec la santé de ses employés en imposant ses recettes de gestion dans lesquelles l'humain salarié a moins de valeur qu'un sachet de frites surgelés. En plus de toutes les charges qui leur incombe, tenue du magasin, réass...

à écrit le 14/09/2022 à 15:54
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L'entreprise appartient à 51 % au fonds britannique Lion Capital et la famille Zouari, arrivée fin 2019.En 2015, Picard Surgelés s'endette à hauteur de 790 millions d'euros, augmentant son endettement de 88 %, et affecte 602 millions au paiement d'un...

à écrit le 14/09/2022 à 13:04
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Z'ont pas fini de rajouter de l'eau dans les produits! Leurs glaces sont déjà saturées...autant ducer des glaçons 😝

à écrit le 14/09/2022 à 12:29
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"on teste beaucoup de choses comme un toit photovoltaïque à Toulouse qui permet 30 % d'autoconsommation pour le magasin." Là il y a un vrai point faible. Ce n'est plus le moment de tester. La technologie est très mature et il s'agit juste de la depl...

à écrit le 14/09/2022 à 12:13
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On en reparle dans 6 mois...

à écrit le 14/09/2022 à 11:14
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Le surgelé ça consomme de l'énergie mais à l'avantage de pouvoir être fractionné, donc ne pas gâcher. Ça fige les produits frais (mieux qu'on ne peut faire avec nos appareils pas assez froids (mon congél à -20°C au lieu de -18 consomme presque 10% de...

à écrit le 14/09/2022 à 10:22
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En lisant l'article, on a une impression de bonne gestion. Les divers aspects de réduction des coûts sont abordés. Je pense juste que que la hausse des prix est durable, et qu'il va falloir encore des ajustements dans les années à venir : moins d'ing...

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