Le projet de loi visant à avancer la clôture des prochaines négociations commerciales entre les distributeurs et leurs fournisseurs de marques nationales vient d'entrer dans sa phase finale. Adopté par l'Assemblée nationale le 10 octobre puis, avec modifications, par le Sénat le 26 octobre, il doit désormais être examiné par la Commission mixte paritaire le 6 novembre. Pour qu'il puisse être appliqué à temps, il devrait ensuite être promulgué dans les jours suivants.
Selon sa dernière mouture, il permettrait de terminer ces tractations annuelles, dont dépendent les conditions d'approvisionnement des grands distributeurs (prix d'achat, place en rayon, calendrier promotionnel, etc), quelques semaines avant la date normalement fixée par la loi au 1er mars: le 15 ou le 31 janvier, selon la taille des entreprises agroalimentaires concernées. Le gouvernement mise sur une telle anticipation pour répercuter plus vite les baisses de certains coûts de production des fournisseurs sur les prix en rayons, et donc pour enrayer une inflation alimentaire qui en septembre atteignait encore -malgré une décélération- presque 10% sur un an.
Les sénateurs sceptiques sur les effets d'une anticipation
Mais, malgré l'avancée parlementaire du texte, les doutes sur son efficacité par rapport à l'objectif poursuivi croissent. Les industriels signalent qu'ils demanderont des tarifs plutôt en hausse, et les distributeurs ont peur de ne pas réussir à imposer les baisses qu'ils souhaiteraient. Jeudi, au Sénat, plusieurs groupes politiques, ainsi que la rapporteure du projet de loi, Anne-Catherine Loisier, ont exprimé leur scepticisme, voire leur crainte d'un effet pervers d'augmentation plus rapide de certains prix. La Fnsea (Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles) et la Coopération agricole alertent sur le risque de nouvelles pressions sur les rémunérations des producteurs, pourtant protégées entre 2018 et 2022 par trois lois: « Egalim 1 et 2 » et la loi « Descrozailles ».
Bercy continue toutefois de croire dans sa stratégie.
« Le plus tôt sera le mieux », a plaidé la ministre des PME Olivia Grégoire devant le Sénat, rappelant son objectif: « Que le maximum d'entreprises aient conclu leurs négociations au 15 janvier et qu'ainsi les baisses de prix entrent en vigueur en rayon six semaines plus tôt que prévu ».
Les marques des distributeurs, un levier de pression
L'espoir du gouvernement repose, selon nos informations, sur trois éléments. Tout d'abord, certaines clauses d'indexation, imposées dans les contrats par la loi Egalim 2, ont déjà été enclenchées par la baisse des cours de certaines matières premières agricoles. C'est le cas notamment des céréales, de la volaille et du colza: des matières premières agricoles pour lesquelles il existe des indicateurs validés par des interprofessions respectées. Ces clauses imposent de renégocier les tarifs, à la hausse ou à la baisse, en cas de dépassement des seuils convenus. Grâce à ce système, certains des tarifs en vigueur aujourd'hui sont ainsi déjà inférieurs à ceux négociés en mars 2023.
L'envolée de l'inflation a en outre fait grimper les ventes de marques des distributeurs (MDD), en moyenne 35% moins chères que les marques nationales. Ainsi, dans les supermarchés et hypermarchés de Système U, les ventes des MDD ont crû de 2% en un an, en atteignant 32% du total, constatait fin septembre son directeur général Dominique Schelcher, cité par l'AFP. Dans ses derniers résultats trimestriels, publiés le 25 octobre, Carrefour faisait pour sa part état d'une « forte progression des ventes de produits à marque propre, qui dépassent 35% des ventes alimentaires » (3 points de plus qu'il y a un an). Or, ce développement des MDD donne un levier de négociation supplémentaire à la grande distribution, les marques nationales ayant besoin de préserver leur place et leur compétitivité dans les rayons.
Les baisses répercutées avant les hausses
Enfin, les distributeurs, qui se livrent une concurrence féroce sur les prix, ont tendance à répercuter le plus vite possible les baisses des tarifs de leurs fournisseurs, et à retarder au maximum les hausses. Le 1er octobre, Michel-Edouard Leclerc l'expliquait clairement sur LCI.
Pour « toute augmentation de tarif d'un fournisseur, on attend trois mois avant de l'appliquer », déclarait-il: « Donc on a trois mois de meilleurs prix par rapport aux concurrents qui l'appliquent » dans des délais plus courts.
« Le consommateur, quand il va voir la publicité comparative, il va tout de suite voir la différence », soulignait le président du comité stratégique du groupe de distribution Leclerc.
Michel-Edouard Leclerc estimait qu'une telle stratégie avait permis aux centres Leclerc de gagner 800.000 clients supplémentaires depuis janvier.
La crainte d'une perte des volumes
Certes, la loi Descrozailles attribue dès les prochaines négociations aux fournisseurs un pouvoir contractuel supplémentaire de taille: celui de mettre fin à la relation commerciale avec les distributeurs en cas d'impossibilité de trouver un accord sur les tarifs, sans préavis et sans que ces derniers puissent invoquer une rupture brutale. Un changement important puisque, auparavant, les fournisseurs dont les hausses de tarifs n'étaient pas acceptées étaient contraints de poursuivre les livraisons aux distributeurs aux prix préalablement convenus, pendant un délai de préavis tenant compte de l'ancienneté de la relation commerciale.
Mais une telle rupture provoquerait une perte de volumes temporaire difficile à absorber, voire même un déréférencement parfois irréversible. De quoi décourager les fournisseurs dans un contexte où ils perdent déjà des parts de marché face aux MDD.
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