Ce fut le mois le plus chaud jamais enregistré en métropole, constatait Météo France en septembre dernier. Avec des pics dépassant les 30 degrés, la température moyenne sur le mois s'est établie à 21,5°C, soit au moins 3,5 °C de plus que les normales des trois précédentes décennies. De quoi faire durer les tenues estivales quand les vestes, manteaux et autres doudounes patientaient au placard. D'autres attendaient également : les magasins, en quête de clients prêts à se laisser séduire par les collections automne-hiver.
Or, ces derniers se sont faits rares, observe Pierre Talamon, président de la Fédération nationale de l'habillement (FNH) qui représente environ 35.000 boutiques de prêt-à-porter indépendantes.
« Nous avons enregistré une baisse de 20% du chiffre d'affaires en septembre et de 12% en octobre », déplore-t-il auprès de La Tribune, établissant un lien direct entre cette baisse des ventes et les températures particulièrement élevées de cet automne.
Au total, sur les onze premiers mois de l'année, la baisse est de 4%, précise-t-il, citant les chiffres de l'Institut français de la mode (IFM).
Et si l'inflation, qui grève le pouvoir d'achat des Français, constitue sans surprise une des explications à cette baisse, le président de la FNH pointe aussi du doigt le calendrier des promotions qui rythment l'année. Il déplore, en effet, qu'à peine les températures hivernales installées cette semaine, il lui faut déjà vendre sa collection à prix démarqués pendant les soldes qui débutent ce mercredi.
« La saison d'hiver démarrait en temps normal à la rentrée. Quand vous aviez un mois de septembre et d'octobre un peu plus frais, les gens achetaient alors leurs vêtements d'hiver. Or, cette année, les températures estivales de l'automne ont repoussé l'acte d'achat », décrypte-t-il.
« Il y a eu le Black Friday qui s'étale sur le mois de décembre, puis on a les promotions qui précèdent les soldes... Et ensuite, on a les soldes, complète-t-il. Quand est-ce que vous vendez votre marchandise à un prix décent ? »
Décaler les soldes d'un mois
Pour la fédération, il faut donc décaler le calendrier des soldes. « On observe un glissement des saisons, qui fait que le calendrier de la mode, d'un point de vue industriel, mais aussi commercial, est devenu obsolète, explique son président. Il y a un changement de notre environnement, je ne vois pas pourquoi l'écosystème de la mode n'évoluerait pas lui aussi. »
La FNH se « positionne [ainsi] pour un décalage drastique d'un mois, afin que les soldes correspondent réellement à un déstockage de fin de saison. Sinon, on aura des tongs et des bermudas en février », conclut-il amer.
Et pour cause, les soldes ont initialement été pensés pour permettre aux commerçants d'écouler leur stock de marchandises, avant d'installer leur nouvelle collection. Les commerçants du prêt-à-porter vont donc installer celle du printemps-été, dès la fin des promotions hivernales mi-février.
Un approvisionnement de proximité
Si le conflit autour de la date des soldes ne date pas d'hier et atteste de la difficile, quasi impossible, entente entre tous les acteurs du prêt-à-porter, il illustre également l'impact du changement climatique sur l'industrie, sommée de se repenser.
« Il y avait traditionnellement deux collections par an. Désormais, elles se multiplient pour coller à l'envie du consommateur, et la météo vient renforcer cette nécessité pour les distributeurs, marques et enseignes de se montrer très souples afin d'être à même de suivre les tendances du marché », analyse Gildas Minvielle, directeur de l'Observatoire économique à l'Institut français de la Mode (IFM), qui constate l'importance croissante accordée à un approvisionnement de proximité.
En effet, si les distributeurs et marques se tournent majoritairement vers l'Asie - elle représentait 72,1% des importations d'habillement dans l'UE sur les 9 premiers mois de 2023 - pour faire fabriquer leurs vêtements ou acheter directement un produit fini, d'autres zones, plus proches, gagnent du terrain. C'est notamment le cas des pays du Maghreb comme le Maroc et la Tunisie, ainsi que la Turquie, « dont le secteur du textile s'est largement développé lui permettant de proposer une offre très diversifiée », souligne Gildas Minvielle. Elle représentait d'ailleurs 11,9% des approvisionnements en Europe 2023, un chiffre en légère progression depuis 2019. On retrouve également l'Europe de l'Est et le Portugal.
Plus de réactivité face à l'évolution des tendances... et de la météo
Des sources d'approvisionnement qui ne représentent qu'environ 20% du total, notamment en raison d'un coût plus élevé qu'en l'Asie. En revanche, elles permettent aux marques et aux distributeurs de bénéficier d'une plus grande réactivité face à l'évolution des tendances de la mode... et des températures. Car, « si l'hiver se fait attendre et que l'on s'est engagé sur un approvisionnement six mois à l'avance, on se retrouve avec des vêtements en magasin qui ne sont pas adaptés aux températures », explique le directeur à l'IFM, évitant ainsi « de se retrouver avec du stock et donc des invendus, ce qui a un coût ».
Cette pratique tend à intéresser de nombreux acteurs du textile, de l'entrée de gamme au haut de gamme en passant par la moyenne gamme. Elle leur permet, en outre, de renouveler davantage les modèles proposés dans leurs points de vente pour répondre à la demande. Cette stratégie est, d'ailleurs, directement inspirée des pratiques de son féroce concurrent : la fast-fashion.
« Zara notamment a été précurseur, puis est venu Shein qui repose sur une démultiplication des références, ce qui fonctionne », constate Gildas Minvielle.
Et si cela s'inscrit en contradiction avec les habitudes de certains consommateurs qui « privilégient le moins, mais mieux et n'adhèrent pas à cette dynamique de surconsommation », rappelle le directeur à l'IFM, l'approvisionnement de proximité répond néanmoins d'une certaine façon aux attentes en matière de responsabilité écologique. « On achète moins loin des produits pour lesquels on est sûr qu'il existe une demande. On ne prend donc pas le risque de s'approvisionner de façon boulimique ce qui, au-delà de créer des invendus, est très mauvais pour la planète » explique-t-il. Une preuve que le secteur de la mode et du prêt-à-porter, souvent pointé du doigt pour son empreinte écologique, participe à la lutte contre le changement climatique ?
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