La tension était palpable au sein de l'écurie d'Alpine ce week-end, au Grand Prix de Formule 1 de Belgique. Les départs du team principal de l'écurie, Otmar Szafnauer, du directeur sportif, Alan Permane et du directeur technique, Pat Fry ont été annoncés simultanément. Trois départs de trois figures historiques. À ces changements, on peut ajouter celui du directeur général de la marque, Laurent Rossi, remplacé par Philippe Krief le 20 juillet dernier.
Difficile de ne pas se poser des questions sur la bonne santé d'Alpine, après tous ces mouvements. D'autant que le bijou premium du groupe Renault affiche de belles ambitions. En juin dernier, Alpine annonçait un objectif de chiffre d'affaires supérieur à 8 milliards d'euros pour 2030, ainsi qu'un équilibre financier en 2026. Presque disparue, la marque de sport créée par Jean Rédélé veut désormais s'aligner aux côtés des plus grands.
La F1, porte-drapeau d'Alpine
Pour cela, le premier objectif est avant tout d'accroître la notoriété d'Alpine. « La marque est très franco-française pour l'instant. Nous voulons qu'elle soit forte en Europe, mais aussi en Asie et en Amérique du Nord. Et pour y arriver, nous comptons sur la course comme ADN de la marque », avance une source interne.
La marque de Renault s'est ainsi engagée dans un nombre important de compétitions, de la Formule 1, en passant par le rallye et bientôt la discipline reine de l'Hypercar, la LMDH, en 2024. Des engagements qui font du groupe français le constructeur présent dans le plus de compétitions sportives au monde. Mais de toutes les disciplines sportives, c'est bel et bien la Formule 1 qui occupe la plus grande place, puisqu' « à elle seule, la discipline a plus d'impact et d'investissements que toutes les autres disciplines sportives réunies », confirme Bruno Famin, le nouveau directeur d'Alpine Motosports. Le groupe Renault a donc choisi de renommer son écurie en 2021 pour bénéficier pleinement des retombées de l'épreuve reine des courses automobile sur la marque.
« Nous sommes aux côtés de grandes marques automobiles, comme Ferrari, Aston Martin... Et les courses sont regardées par près d'un milliard et demi de téléspectateurs. Après chaque Grand Prix, le trafic sur notre site internet est multiplié par trois ou quatre. Près de 90% des clients qui achètent une Alpine regardent la Formule 1 », nous a-t-on confié chez Alpine, lors d'un entretien exclusif en marge du Grand Prix de Belgique.
Des retombées en termes d'image qui viennent quelque peu couvrir l'ardoise des dépenses dans cette discipline.
Des investissements massifs
S'il est difficile de connaître les montants rapportés par la Formule 1, les investissements pour le développement de la voiture sont, quant à eux, plafonnés à 140 millions d'euros par écurie par an, auxquels il faut ensuite rajouter le salaire des pilotes ainsi que les frais marketing, non plafonnés.
Or, plus une équipe de Formule 1 a de bons résultats dans le classement des constructeurs à la fin de l'année, plus les retombées financières sont importantes, en particuliers via les sponsors qui paient davantage pour les meilleures équipes. Alpine est arrivée quatrième l'année dernière et vise le top 3 des constructeurs pour 2026, date à laquelle de nombreux changements techniques vont voir le jour ainsi que de nouveaux constructeurs automobiles comme Audi.
Et s'il y a peu d'écart de retombées financières entre les trois premiers du classement, la différence se creuse avec les suivants. « Ce sont plusieurs millions d'euros à chaque fois », précise Alpine. Cela explique en partie les changements opérés par la marque dans sa direction, puisque l'équipe n'est pour l'heure que 6ème du championnat. En juin dernier, trois fonds d'investissements américains ont investi 200 millions d'euros, soit une participation de 24% du capital pour soutenir la stratégie de croissance d'Alpine en F1, en particulier aux Etats-Unis.
A la conquête de nouveaux marchés
L'Amérique s'est en effet pris de passion pour ce sport, poussé par Netflix et la série Drive to Survive. Et Alpine compte bien surfer sur ce nouvel attrait, dans un pays « où la moitié du marché mondial des voitures de sport est là-bas ». Sur les sept futurs modèles d'Alpine prévus pour 2030, deux seront destinés au marché américain exclusivement vers 2027 ou 2028. Une conquête de nouveaux marchés qui sera nécessaire pour atteindre cet objectif de 8 milliards d'euros. La marque vise également l'Asie et, dans une moindre mesure, la Chine, un marché sur lequel elle reste quelque peu frileuse. « Nous regardons, mais c'est compliqué pour le moment. »
Pour ce faire, Alpine mise sur de nouveaux modèles pour séduire un plus large portefeuille clients. Ainsi, dès l'année prochaine sortira la A290, une citadine électrique suivie de près par un SUV Crossover GT en 2025 destiné aux flottes professionnelles ainsi qu'à un public plus familial. Ces modèles sortiront des usines déjà présentes dans le groupe Renault, à Dieppe, sur le pôle Electricity à Douai ou encore celle de Busan en Corée du Sud pour les modèles à destination des Etats-Unis.
Problème : Alpine pourrait connaître un gros coup de frein en 2024 sur son iconique A110. Les règlementations européennes sur la sécurité exigeraient des investissements trop conséquents pour le constructeur, qui devrait limiter sa production à 1.500 exemplaires l'année prochaine pour être dans les clous. Une diminution de la cadence éphémère, puisqu'elle ne concerne que les modèles non-électriques. Or, Alpine deviendra 100% électrique en 2026 avec le lancement de la nouvelle version de l'A110.
Se distinguer de Porsche
En outre, plusieurs investisseurs doutent sur la capacité de la marque à atteindre des objectifs aussi ambitieux.
« Lorsque vous misez tout ou trop sur le marketing et sur l'image, cela peut être extrêmement dangereux, parce qu'il y a plein de choses que vous ne maîtrisez pas, à plus forte raison dans une époque où les bad buzz peuvent partir très vite. Donc il vaut mieux avoir des fondamentaux costauds, un bon positionnement tarifaire et une bonne compétitivité avec des éléments distinctifs. Le risque aujourd'hui est qu'Alpine se trouve dans une gamme de prix qui la met en concurrence directe avec les véhicules allemands notamment », explique Julien Pillot, économiste et enseignant-chercheur à l'INSEEC.
En particulier avec Porsche, la marque sportive de Volkswagen. Sur ce point, la marque française se défend de produire des voitures « plus légères, plus maniables et qui consomment moins » que leurs rivales allemandes. L'objectif est d'atteindre une cible amatrice de sport automobile et désireuse d'un produit en série limitée. « Nous ne voulons pas vendre 2 millions de voitures par an comme Audi », affirme-t-on chez Alpine. Le volume des ventes à atteindre n'a jamais été dévoilé.
Alpine souhaite cibler clientèle niche, mais ses volumes de production devront être suffisants pour atteindre une marge opérationnelle supérieure à 10% à horizon 2030, et ce, sans construire de nouvelles usines de production : voilà un projet ambitieux. Ce pari fou et risqué enthousiasme autant qu'il effraie. Pour Julien Pillot : « C'est très audacieux, et, en France, on manque souvent d'audace. Ce qu'ils ont mis en marche, si toutefois, ils persévèrent, est peut-être l'antichambre de futurs succès et, qui sait, peut-être l'antichambre d'une renaissance pour Renault ».
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