Renault : pourquoi la faiblesse de la capitalisation boursière met Luca de Meo sous pression

Comme lors de la crise des subprimes, la valorisation boursière de Renault représente moins que la valeur de sa participation dans Nissan. La guerre en Ukraine a accentué ce plongeon (-27% depuis le début du conflit)... La direction de Renault ne parvient pas à inverser la tendance. Cette situation inquiète car elle peut être lourde de conséquences pour l'avenir du groupe. Analyse.
Nabil Bourassi
(Crédits : STEPHANE MAHE)

Le capital de Renault à découvert ? C'est une inquiétude grandissante chez les cadres du groupe automobile français. La valorisation de l'entreprise est au plus bas et dépasse à peine 6,5 milliards d'euros... Le titre a dégringolé de 27% depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine fin février. Très présent en Russie, à travers notamment sa filiale Avtovaz (Lada), le groupe était le plus exposé au marché russe soumis à une série de sanctions occidentales. Renault a fini par annoncer son départ de ce qui constituait son deuxième marché mondial derrière la France, faisant une croix sur près de 15% de ses volumes, et alors même qu'il s'apprêtait à recueillir les fruits de ses lourds investissements avec l'arrivée d'une nouvelle gamme.

Moins cher que sa participation dans Nissan

Ainsi, l'action Renault tutoie les niveaux historiquement bas atteints au plus fort de la crise du Covid, au printemps 2020 (le titre s'échangeait alors autour de 19 euros) lorsque toute l'Europe était confinée, les usines fermées, et le marché réduit à néant. A 22 euros vendredi en fermeture, l'action est loin... très loin des 100 euros atteints en avril 2018. Encore une fois, la valorisation de l'Ex-Régie est inférieure à sa participation dans Nissan (autour de 7 milliards, pour une capitalisation de 16 milliards et une participation de 44%), comme lors de la crise des subprimes entre 2008 et 2011. Cela revient à dire que le marché ne valorise pas les actifs de Renault en-dehors de cette participation: ni ses 120.000 salariés, ses usines, ses brevets, ses 3 millions de voitures vendues, son chiffre d'affaires de 46 milliards d'euros et son résultat net d'un milliard. Il défie également les perspectives de croissance promises par le plan Renaulution mis en place par Luca de Meo, arrivé en juillet 2020 à la tête du groupe, et qui ont déjà produit leurs effets avec le programme de réduction des coûts qui a un an d'avance.

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Certes, le retrait en Russie a contraint le groupe a repoussé ses objectifs de rentabilité pour l'année en cours, notamment la génération de trésorerie et la marge opérationnelle, mais le groupe maintient la trajectoire de moyen terme grâce à une nouvelle stratégie produit défendant un cahier des charges focalisé sur la montée en gamme... Mais les marchés n'attendent que des actes.

Une proie parfaite ?

Car le contexte sectoriel est compliqué... Entre les resserrements réglementaires liés à la transition énergétique, les investissements dans la connectivité, les plateformes logicielles, la hausse des matières premières... Les investisseurs s'interrogent sur la capacité de Renault à affronter seul ces vents contraires. Au contraire même, puisqu'avec une telle valorisation, Renault est probablement l'un des groupes automobiles moyens, les moins chers du marché. Les marchés parient sur la consolidation et dans ces conditions, Renault passe même pour une proie parfaite: maîtrise de la chaîne de traction électrique, accès au marché européen et diverses positions dans les pays émergents (Amérique Latine, Maghreb, Inde...). Et l'Alliance avec Nissan n'est plus satisfaisante pour répondre à cette nécessaire consolidation. Si les synergies sont estimées autour de 5 milliards d'euros, les investisseurs doutent de la pérennité de ce partenariat atypique qui a subi d'importantes turbulences ces dernières années. En off, les cadres de Renault craignent un regain de tension qui n'a été mis en sommeil que par la crise.

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La faiblesse boursière de Renault pourrait ainsi de nouveau nourrir les velléités d'émancipation de Nissan dont le Français possède 44% des parts. Le groupe automobile japonais n'a jamais cessé de réclamer un rééquilibrage de l'Alliance compte tenu de sa position de force. Avec 6 millions de voitures vendues, Nissan vaut presque deux fois plus que Renault. Cet écart risque même de se creuser à l'avenir puisqu'il est assis sur les marchés les plus dynamiques du monde post-covid, à savoir la Chine, le Japon et les Etats-Unis qui sont quasiment revenus à leur niveau d'avant-crise.

Vers un montage boursier bancal ?

C'est dans ce contexte que le groupe réfléchit à séparer ses activités thermiques de ses activités électriques. Il s'agirait de valoriser la branche électrique de Renault. Pour Luca de Meo, la marque au losange a acquis une compétence particulière en matière d'électrification grâce à la Zoé, longtemps voiture électrique la plus vendue en Europe, (plusieurs centaines de milliers vendues). Cette opération permettrait alors de casser le plafond de verre qui pèse sur le titre Renault.

"L'électrique est une autre technologie, un autre modèle de business, donc cela mérite un périmètre d'organisation complètement dédié, et cela va permettre de montrer au monde que quand on parle de voitures électriques, on est très bons", a-t-il déclaré à des journalistes lors de la cérémonie de remise du prix d'Homme de l'année organisée par le Journal de l'Automobile.

Oui mais Renault a tardé à renouveler sa gamme électrique. La Zoé avait 12 ans d'âge lorsqu'elle s'est vu succéder la Mégane E-Tech en 2021 pour prendre le relais, tandis que Volkswagen avait pris le temps de rattraper son retard en commercialisant l'ID.3 puis l'ID.4, et s'apprêtant désormais à lancer l'ID.5, en attendant une ID.2. En outre, l'interminable crise des semi-conducteurs vient d'avoir raison de la toute fraîche Mégane E-Tech puisque Renault vient d'annoncer la suspension de sa production pour au moins deux semaines (une éternité). Enfin, les équipes de développement travaillent d'arrache-pied pour tenir l'agenda d'une R5 électrique en 2023 et éviter un nouveau trou dans la gamme.

Pas d'urgence...

Enfin, que deviendrait l'activité thermique ? Renault reste fort dans les pays émergents qui sont loin d'avoir programmé la fin du moteur à combustion. Luca de Meo a promis que l'un ne perdra pas le contrôle capitalistique de l'autre dans le cas d'une telle opération. Il s'agirait seulement de donner plus de visibilité à la stratégie de Renault avec des comptes séparés. De plus, le plan d'électrification de Renault présenté l'été dernier n'avait pas convaincu des marchés totalement acquis au modèle d'intégration verticale incarné par Tesla et adopté quelques mois plus tôt par Volkswagen. L'action du losange avec perdu du terrain suite à ce plan.

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En réalité, il n'y a aucune urgence... Le premier actionnaire du groupe, l'Etat français avec 15% du capital, n'a aucunement l'intention de perdre le contrôle. Un haut fonctionnaire proche du dossier indique à La Tribune que l'Etat considère toujours l'entreprise comme un actif industriel souverain. "Sans l'Etat français, Renault serait aujourd'hui une filiale de Volkswagen ou de Nissan", rappelle notre interlocuteur. Selon lui, l'Etat français a ainsi la ferme intention de rester l'actionnaire de référence de Renault.

Nabil Bourassi

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Commentaires 7
à écrit le 19/04/2022 à 22:17
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L'alliance est en feu depuis la déclaration de guerre à Nissan par Macron et ses lubies de votes double en 2015, alors qu'il était ministre de l'Économie. Et ça continu avec ce silence assourdissant du même Macron à l'appel mondial au Boycott des Ukr...

à écrit le 19/04/2022 à 16:42
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Le seul moyen de remettre l'action Renault au niveau de valorisation de ses concurrents est que l'état lâche sa participation de 15%. Les investisseurs n'ont pas confiance, entre autre dans d'une entreprise dont la fusion avec FCA a été bloquée par L...

le 19/04/2022 à 22:22
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Le Maire... ou Macron ! Celui là n'aime visiblement pas Renault et ça ne devrait plus tarder pour que ce soit au grand jour.

à écrit le 19/04/2022 à 8:50
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Adieu Renault, c'était bien... Ma prochaine bagnole sera je pense une Renault 5 équipée d'un allumage électronique et d'un transistor...

à écrit le 19/04/2022 à 8:31
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Luca di meo , c'est pas celui qui se fiche bien que les alpine soient construites à Dieppe ?

à écrit le 19/04/2022 à 8:20
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Avis d'un acteur de la transformation en cours : Le passage au 100% électrique d'ici à 2030 (au plus tard) met sous énorme pression tous les constructeurs traditionnels ("Legacy Automakers"). Certains n'y parviendront pas car il faut à la foi produi...

le 19/04/2022 à 8:53
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Il faut surtout changer d'époque, nous allons vers les transports en commun comme s'était le cas dans les années 70 et là il faudrait investir massivement car les bagnoles de 2 tonnes, 200 chevaux batterie et tout le bazar ce ne sera pas pour tout le...

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