L'avenir proche d'EDF devient enfin un peu plus clair. Alors que jusqu'ici les membres du gouvernement se bornaient à dire que la nationalisation n'était pas exclue, Elisabeth Borne a annoncé ce mercredi, lors de son discours de politique générale, que l'Etat a l'intention de renationaliser à 100% le groupe EDF.
« Je vous confirme aujourd'hui l'intention de l'Etat de détenir 100% du capital d'EDF. Cette évolution permettra à EDF de renforcer sa capacité à mener dans les meilleurs délais des projets ambitieux et indispensables pour notre avenir énergétique », a-t-elle déclaré devant l'Assemblée nationale.
L'action de l'énergéticien a immédiatement décollé, gagnant 8 % quelques minutes après les déclarations d'Elisabeth Borne.
Une nationalisation pour gagner du temps
Outre les investisseurs, cette déclaration devrait aussi rassurer dans les plus hauts rangs de l'électricien qui, selon nos informations, espérait une nationalisation le plus rapidement possible afin de gagner du temps. Objectif : pouvoir entamer plus sereinement les discussions avec la Commission européenne, qui sera intransigeante sur le respect des règles de la concurrence, et donc très à cheval sur la régulation du nucléaire.
Selon une source proche du dossier, l'Etat et l'électricien redoutent surtout de voir sa note de nouveau dégradée par Standard & Poor's, alors que l'agence de notation l'a placé, fin mai, en surveillance négative. L'agence d'évaluation s'inquiète notamment de la hausse de l'endettement d'EDF et de l'indisponibilité historique de son parc nucléaire, dont 27 réacteurs sur 56 sont actuellement à l'arrêt, en raison, entre autres, d'un problème de corrosion sous contrainte.
C'est déjà cette crainte qui avait poussé l'Etat à recapitaliser EDF à hauteur de 2,1 milliards d'euros.
Le spectre d'une nouvelle dégradation de la note financière
Si un tel scénario intervenait, le risque pour EDF serait de ne plus être en mesure de refinancer sa dette auprès des investisseurs privés. En mars dernier, c'était déjà la perspective d'une dégradation de la note financière d'EDF, qui avait poussé l'Etat à participer en grande partie à l'augmentation de capital de l'électricien.
« Ma première préoccupation, c'est la notation d'EDF qui détermine la capacité d'EDF à refinancer sa dette », avait alors confié un haut fonctionnaire proche du dossier.
Fin 2021, la dette comptable d'EDF s'élevait à 43 milliards d'euros. Mais sa dette économique (qui englobe des éléments hors bilan comme les loyers ou des éléments liés aux retraites par exemple), pourrait, selon les calculs de Standard & Poors, culminer à 96 milliards d'euros à la fin de l'année 2022.
Eviter un scénario façon Uniper
La santé financière et économique d'EDF est si inquiétante que certaines parties prenantes n'hésitent pas à comparer la situation de l'électricien français avec celle de l'allemand Uniper, actuellement au bord de la faillite. Le week-end dernier, ce grand fournisseur d'énergie, étranglé par l'explosion du prix du gaz et par la réduction drastique de l'approvisionnement russe, a ainsi sollicité un plan de sauvetage à l'Etat fédéral allemand.
« Est-ce que l'on veut être dans la même situation que l'allemand Uniper, renfloué de toute urgence par l'Etat allemand, parce que l'entreprise est au bord de la faillite ? » s'interroge l'une des parties prenantes.
En France, il est inimaginable qu'EDF puisse faire faillite. L'Etat, qui détient près de 84% du capital, viendrait dans tous les cas à son secours. La question, en revanche, est de savoir quand l'exécutif français va sortir EDF de l'impasse.
« L'Etat peut agir maintenant, à froid, ou à chaud, comme dans le cas d'Uniper », souligne la même source.
La nationalisation, une condition nécessaire mais pas suffisante
En effet, la nationalisation d'EDF ne devrait être qu'une première étape.
« Elle ne résout qu'un petit bout du problème. Ce n'est pas une solution structurelle, mais une condition nécessaire », estime un fin connaisseur du secteur. « Il faudra ensuite régler les questions de la restructuration de la dette, de la régulation du nucléaire et du financement du nouveau nucléaire », poursuit-il.
La grande question reste donc celle des contreparties exigées par la Commission européenne. L'an passé, sa volonté de scinder EDF en plusieurs parties (avec les activités nucléaires regroupées dans un EDF Bleu 100% public, les renouvelables et le réseau de distribution Enedis dans un EDF vert, en partie ouvert aux marchés, et un EDF azur pour l'hydroélectricité ) avait fait échouer le projet Hercule, vivement critiqué par les syndicats et les collectivités notamment.
Est-on en "absurdie" ?
« Nationaliser EDF sans changer le statut juridique de l'entreprise de SA en EPIC, sans mettre un terme au dispositif de l'Arenh [mécanisme qui contraint EDF de vendre de l'électricité à ses concurrents à prix bradés, ndlr] et sans sortir l'électricité du marché, ça ne sert pas à grand chose hormis rassurer les banques de notation », réagit, pour sa part, Sébastien Menesplier, le secrétaire de fédération Mines-énergie de la CGT.
Les syndicats ne sont pas les seuls à remettre en cause ce principe de concurrence, instauré en France en 2010. Selon une source proche du dossier, même la gouvernance d'EDF s'interroge sur l'utilité d'une concurrence en aval, c'est-à-dire sur la fourniture d'électricité. Quant au fonctionnement du marché européen de l'électricité, on n'hésite pas à le comparer au royaume de l'absurde, « 'absurdie ».
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