Electricité : RTE dessine le chemin escarpé vers la sortie des énergies fossiles

RTE, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité, vient de publier un nouveau rapport. Celui-ci définit la trajectoire à prendre d'ici 2035 pour parvenir à la neutralité carbone d'ici 2050. Son scénario central dessine un chemin escarpé, mais réalisable, pour couvrir les besoins électriques qui sont amenés à exploser si la France veut tenir ses objectifs climatiques, tout en menant à bien la réindustrialisation du pays. Une vraie rupture par rapport aux années passées.
Juliette Raynal
Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE.
Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE. (Crédits : RTE)

C'est une petite gymnastique mentale à laquelle il faut s'habituer. Pour tenir ses objectifs de décarbonation, la France va devoir baisser significativement sa consommation globale d'énergie. Mais, dans le même temps, sa consommation d'électricité augmentera considérablement, dopée par le déploiement des véhicules électriques, la production d'hydrogène propre, l'électrification des procédés industriels et du chauffage dans les bâtiments.

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En réalité, cette consommation d'électrons pourrait même exploser. Elle devrait atteindre 615 térawattheures (TWh) en 2035, si la France veut tenir les nouveaux objectifs climatiques européens, tout en menant à bien sa réindustrialisation, selon le scénario de référence du nouveau rapport très attendu de RTE, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité, chargé de produire des bilans prévisionnels. A titre de comparaison, les Français ont consommé 460 TWh d'électricité en 2022. Un tel scénario suppose donc que la consommation d'électrons augmente de près de 34% en l'espace de 13 ans seulement.

Une rupture par rapport aux années passées

« Ces perspectives de croissance marquent clairement une rupture par rapport aux années passées. Depuis 15 ans, la consommation électrique est en baisse ou stagne. C'est contre-tendanciel », a reconnu ce mercredi Xavier Piechaczyk, le président du directoire de RTE, lors d'une conférence de presse dédiée à la mise à jour de son bilan prévisionnel à l'horizon 2035.

Pour mémoire, en 2021, RTE tablait encore sur une consommation de 540 TWh à cet horizon. Cette réactualisation, publiée deux ans après la publication du rapport initial, tient compte de deux grandes évolutions : les nouveaux objectifs climatiques européens (il faut désormais diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 55% à l'horizon 2030, et non plus de 40%) et les nouveaux enjeux d'indépendance énergétique et de réindustrialisation dans un contexte géopolitique, où les questions de souveraineté sont devenues centrales. Il intègre aussi une moins grande disponibilité de la biomasse.

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Dans le cadre de cet exercice, RTE devait répondre à une réponse cruciale : la France est-elle capable de couvrir ces immenses besoins électriques à l'horizon 2035 ? Autrement dit, peut-elle boucler l'équation en termes de production annuelle d'électricité ? Oui, répond le rapport du gestionnaire.

« La France a les moyens de gérer ces besoins d'électricité qui sont en hausse en s'appuyant sur quatre leviers essentiels : l'efficacité énergétique, la sobriété, le développement des énergies renouvelables et la disponibilité du parc nucléaire. Ces quatre leviers sont nécessaires. Il faut les activer simultanément plus ou moins fortement. Des marges de manœuvre sont possibles, mais il n'est pas possible de renoncer totalement à l'un d'entre eux », expose Xavier Piechaczyk.

Ce sera « facile nulle part, mais accessible partout »

« C'est facile nulle part, mais accessible partout », a-t-il encore assuré, tout en pointant du doigt les deux domaines où la France est encore beaucoup trop lente : le développement des énergies renouvelables et de la rénovation thermique.

Dans le détail, cela suppose de réaliser 100 TWh d'économies d'énergies d'ici 2035, via la performance des équipements électriques et une augmentation du volume des rénovations thermiques efficaces des bâtiments. Côté sobriété, RTE table sur une économie de 25 TWh. Elle consiste principalement à prolonger les petits gestes mis en place l'hiver dernier (limiter le niveau de chauffage, mieux gérer les éclairages...). RTE fait aussi l'hypothèse d'un niveau de sobriété plus élevé, qui conduirait à économiser 60 TWh d'ici 2035. Cela impliquerait néanmoins de réels changements de consommation, comme une utilisation beaucoup plus modérée des véhicules particuliers.

Côté production, le développement à vitesse grand V des énergies renouvelables apparaît comme indispensable, étant donné que les futurs réacteurs de type EPR 2, voulus par l'exécutif, ne seront pas mis en service avant 2035. « Il est nécessaire de construire beaucoup d'énergies renouvelables et sans regret », a insisté le patron de RTE. Selon les prévisions du gestionnaire, la France doit viser un minimum de 270 TWh par an et, si possible 320 TWh, contre 120 TWh actuellement. En mettant de côté la production hydraulique, dont le potentiel de développement reste très limité, cela suppose de multiplier par quatre la production des énergies renouvelables intermittentes.

Entre 13 et 19.000 mâts d'éoliennes

Concrètement, pour les panneaux solaires, RTE recommande d'installer 7 GW par an, et ce, dès maintenant. Ce rythme (plus qu'un doublement par rapport à celui observé actuellement) porterait la capacité installée en 2035 à 90 GW, soit six fois plus qu'aujourd'hui. Dans cette configuration, cela pourrait représenter entre 35 et 80.000 hectares d'emprise au sol. Pour l'éolien terrestre, un rythme moyen de 1,5GW ajouté chaque année permettrait d'atteindre 39 GW de capacité en 2035, soit l'équivalent de 13 à 19.000 mâts. Opter pour un rythme inférieur conduirait à se priver de toute autre marge sur les autres leviers de production, prévient le gestionnaire. Pour l'éolien en mer, RTE retient l'objectif ambitieux que s'est fixé le gouvernement de 18 GW.

« Ces objectifs sont très ambitieux, mais atteignables. Cela reste très inférieur à ce que font nos voisins allemands, anglais et espagnols », a rappelé Xavier Piechaczyk.

Le dernier levier repose sur une disponibilité accrue du parc nucléaire existant. RTE table ainsi sur 360 TWh, en intégrant l'EPR de Flamanville. Il s'agit d'une hypothèse prudente, qui comprend la possibilité de fermer trois réacteurs pour raison de sûreté. L'idéal serait toutefois d'atteindre 400 TWh, et ainsi de renouer avec les niveaux de production qu'a connu le parc atomique tricolore durant la décennie 2010. Le défi est de taille alors qu'en 2022, la production nucléaire d'EDF a touché un plus bas historique à 279 TWh.

La flexibilité de la demande, une priorité

Si en termes de volumes, la France a les moyens de boucler cette périlleuse équation, un second challenge doit être relevé : celui de faire correspondre en permanence l'offre et la demande d'électricité. Il s'agit de faire concorder, à chaque instant, la puissance électrique demandée et la puissance disponible.

« Sans développer plus de flexibilité qu'aujourd'hui, nous n'arriverons pas à garantir l'équilibre entre l'offre et la demande à l'horizon 2030 », a alerté Thomas Veyrenc, directeur exécutif chargé du pôle stratégie, prospective et évaluation de RTE.

La flexibilité de la demande est prioritaire pour assurer la sécurité d'approvisionnement, explique le gestionnaire du réseau, qui plaide pour le déploiement d'un plan ad hoc. Cette flexibilité consiste à déplacer la consommation électrique de quelques heures pour la positionner lorsque la production renouvelable et nucléaire est abondante ou de la limiter lorsqu'il est nécessaire d'utiliser des centrales thermiques fossiles, celles-ci étant plus coûteuses et polluantes.

Fermer les dernières centrales à charbon sera possible

Aujourd'hui, cette flexibilité de la demande réside, en grande partie, dans la capacité d'un industriel à diminuer ponctuellement sa consommation, en échange d'une rémunération. Il faudra rapidement la déployer également chez les ménages, grâce à des dispositifs connectés permettant de baisser automatiquement la consommation de leurs appareils électriques sans perte de confort. Le renforcement de ces dispositifs permettrait, en outre, de dégager des économies allant de quelques centaines de millions à environ un milliard d'euros par an, souligne le gestionnaire.

RTE estime, enfin, qu'il sera possible de fermer définitivement les dernières centrales charbon et d'éviter la construction de nouvelles unités sans mettre en péril la sécurité d'approvisionnement du pays, seulement si la disponibilité du parc nucléaire atteint de nouveau un niveau élevé (55 GW au minimum durant l'hiver) ou un développement poussé de la sobriété.

Le scénario d'une « mondialisation contrariée », pas écarté

Dans son rapport, le gestionnaire étude aussi un autre scénario baptisé « mondialisation contrariée. » Celui-ci se caractérise par un ralentissement prolongé de l'économie mondiale et la persistance des tensions géopolitiques, qui pourraient rendre « plus difficile et plus coûteuse » la mise en œuvre de la transition énergétique. Dans ce cas, la hausse de la consommation électrique sera plus modérée et comprise entre 525 et 535 TWh à l'horizon 2035. Ce scénario « permet paradoxalement d'être au rendez-vous du Fit for 55 [objectif climatique européen, ndlr], mais pour de mauvaises raisons : la crise économique qui perdure et une économie nationale atone », a pointé le patron de RTE. « Ce scénario nous conduit à avoir une facture des hydrocarbures toujours très élevée et à une réindustrialisation nationale beaucoup moins aboutie. »

Juliette Raynal

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Commentaires 3
à écrit le 22/09/2023 à 11:50
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Développer des ENRS alors que les prix négatifs ne cessent d'augmenter l' été... Rien d'étonnant à ne pas voir les PME et les ETI se lancer dans la production !

à écrit le 21/09/2023 à 18:00
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615 terawattheures... en 2035, diantre. Dans son scénario 100 % ENR, l'ADEME avait évalué les besoins électriques à 482 TWh... en 2050. Bon, on va nous dire que c'est dans l'épaisseur du trait. De son côté, Wargon, tout juste nommée à la CRE, avait ...

à écrit le 20/09/2023 à 21:43
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J'avais préconisé sans succès de faire pédaler dans les prisons.

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