Ne plus pouvoir allumer une plaque de cuisson, lancer une machine à laver, faire fonctionner un four à pain, une ligne de production, prendre l'ascenseur, recharger une voiture électrique, un téléphone portable, remonter ou baisser un store électrique, allumer un chauffage, ou encore assurer l'éclairage public... Durant cet hiver, et particulièrement au mois de janvier prochain, tous les Français, qu'ils soient sur leur lieu de travail, dans leur foyer ou dans l'espace public, pourraient se retrouver confrontés à des coupures d'électricité programmées d'une durée de deux heures consécutives maximum. C'est ce qu'on appelle le délestage.
Dans le secteur de l'énergie, ce terme est évoqué par les experts depuis de nombreux mois déjà. Très hypothétique il y a encore quelques semaines, cette mesure d'urgence, qui n'a jamais été utilisée auparavant à l'échelle du pays, devient toutefois de plus en plus tangible, au fur et à mesure que l'hiver approche. Et tout particulièrement depuis que RTE, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité à haute tension, a tiré la sonnette d'alarme vendredi dernier.
Un risque élevé en janvier
En effet, l'opérateur, qui doit assurer en permanence un équilibre entre l'offre et la demande d'électricité (car celle-ci ne se stocke pas), prévoit désormais un risque élevé de déséquilibre sur le réseau en janvier, en raison d'une disponibilité du parc nucléaire plus faible que prévu. Le parc des 56 réacteurs d'EDF cumule, en effet, les déboires entre les opérations de maintenance décalées par le premier confinement, les problèmes de corrosion affectant les réacteurs les plus récents, et les grèves qui ont retardé le retour de plusieurs tranches nucléaires sur le réseau.
Autrement dit, RTE craint que la production électrique nationale et les importations venant de nos pays voisins ne suffisent pas à répondre à la demande d'électricité certains jours de froid lors des pointes de consommation quotidiennes, c'est-à-dire entre 8h et 13h, puis entre 18h et 20h.
Un tel déséquilibre sur le réseau peut provoquer un blackout, c'est-à-dire une panne d'électricité géante non maîtrisée et généralisée sur tout le territoire. Pour éviter ce scénario catastrophe (aujourd'hui totalement exclu), RTE peut activer plusieurs mesures d'urgence et notamment s'appuyer, en dernier recours, sur le fameux délestage.
Enedis dans les starting-blocks
« Ces opérations de délestage ne sont pas inéluctables », veut rassurer Sandrine Hartmann, cheffe des postes ressources chez Enedis, qui cite d'autres mesures à activer au préalable comme les écogestes, les plans de sobriété ou encore une baisse de tension de 5% sur tout le réseau de distribution. Reste que la probabilité d'y avoir recours cet hiver est bien plus élevée que les hivers précédents. « La situation est totalement inédite et exceptionnelle », reconnaît Catherine Lescure, directrice de la communication d'Enedis. Dans cette optique, les équipes de la filiale d'EDF en charge du réseau de distribution multiplient les exercices de simulation. Le dernier datant du 13 octobre tandis que le prochain est prévu en décembre. « Il n'y a pas de stress, ni de fébrilité, les agents de conduite s'entraînent », témoigne Olivier Loriot, directeur régional d'Enedis, en région Centre-Val de Loire, depuis l'Agence de conduite régionale (ACR) près d'Orléans.
Sur place, l'ambiance est très studieuse, car ce sont dans ces agences (28 au total en France métropolitaine), qui communiquent en permanence avec RTE, que les opérations de délestage seront mises en œuvre si jamais elles devaient avoir lieu. Présentées comme des tours de contrôle, les ACR ont pour mission de surveiller l'état du réseau de distribution d'électricités 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Ces tours de contrôle pilotent également les quelque 2.300 postes sources répartis sur le territoire qui font l'interface entre le réseau de transport d'électricité (géré par RTE et composé de lignes à haute tension) et le réseau de distribution d'électricité (géré par Enedis et composé de lignes à moyenne et à basse tension).
Or, ce sont depuis ces postes sources que partent les lignes électriques de moyenne tension qui seront coupées en cas de délestage. « En général, un poste source peut compter entre dix et vingt départs de lignes moyenne tension », explique Sébastien Sarrazin, chef de l'Agence de conduite du Centre-Val de Loire. Une ligne moyenne tension ne peut desservir qu'un seul client très gourmand en électricité, comme un site industriel, mais aussi tout un quartier, ou plusieurs communes regroupant jusqu'à plusieurs dizaines de milliers de petits consommateurs.
Un algorithme choisit les lignes à couper
Quelles lignes seront coupées lors des délestages ? C'est RTE qui définit le plan de délestage et qui envoie ensuite la consigne à Enedis. « Cette consigne se matérialise par un fichier indiquant des blocs de puissance à délester sur les différentes plages horaires », indique Sébastien Sarrazin. Ce plan est ensuite digéré par l'algorithme du système d'information d'Enedis qui va identifier automatiquement les différentes lignes à couper, tout en s'assurant que les clients prioritaires ne seront pas touchés par ces délestages et qu'un client touché par une coupure de 8h à 10h, ne sera pas de nouveau touché par une coupure de 10h à 12h. Une vérification par des opérateurs est ensuite effectuée. « En aucun cas, le compteur connecté Linky ne jouera un rôle dans ces coupures », souligne Olivier Loriot, anticipant de potentielles inquiétudes.
Parmi les clients prioritaires figurent les établissements de santé, comme les hôpitaux et les laboratoires, mais aussi les services dits de défense nationale. Un quartier desservi par la même ligne électrique qu'un hôpital, par exemple, sera donc systématiquement préservé de ces coupures. La liste des clients prioritaires est dressée dans chaque département par les préfectures. Toutes sont désormais établies, mais restent néanmoins confidentielles. « Ce qui a été demandé aux préfets c'est que l'ensemble des clients prioritaires ne représentent pas plus de 38% de la consommation électrique du département », précise Sandrine Hartmann.
Certains sites épargnés
Au-delà de cette liste prioritaire, toutes les installations directement connectées au réseau de transport d'électricité via des lignes haute tension gérés par RTE seront préservées de ces coupures. Cela peut être le cas de gros sites industriels, ou encore du réseau du métro parisien et celui de la SNCF. Par ailleurs, les lignes de moyenne tension alimentant uniquement des sites de production d'électricité, comme un champ éolien, ne pourront pas non plus être coupées. En revanche, des antennes télécoms, ne figurant pas dans la liste des clients prioritaires du département, pourraient être affectées.
Ces opérations de délestage pourraient éventuellement durer plusieurs jours. Et, au pire des cas, « un client pourrait subir deux coupures dans la journée, une première lors de la pointe du matin (de 8h à 13h) et une seconde lors de la pointe du soir (de 18h à 19h) », indique Sandrine Hartmann. A priori, aucune coupure ne devrait donc avoir lieu dans l'après-midi, ni au cours de la nuit.
Les particuliers et les entreprises fixés la veille
Concernant le calendrier, RTE alertera trois jours à l'avance sur le potentiel risque de délestage via un signal rouge Ecowatt. Les Patients à haut risque vital (PHRV) seront, eux, tous informés directement par Enedis à J-3. Si le risque se confirme, en raison des conditions météorologiques et de l'effet insuffisant des écogestes mis en place, RTE enverra un plan de délestage à Enedis la veille des coupures organisées. Enedis disposera alors d'une heure pour faire tourner son algorithme afin de traduire ce plan.
Dès 19h30, les Français pourront alors consulter sur le site Ecowatt si leur département est concerné par les coupures d'électricité programmées le lendemain. Les départements concernés apparaîtront en rouge sur la carte. Toutefois, ce n'est pas parce qu'un département s'affiche en rouge, que tous les consommateurs résidant dans ce même département seront affectés par la coupure. La ventilation des coupures ne sera communiquée qu'à partir de 21h30. Les particuliers et entreprises devront alors entrer leur adresse dans un onglet dédié pour savoir s'ils seront touchés oui ou non et, si oui, à quelle heure de la journée. Comme au plus haut de l'épidémie du Covid, le gouvernement pourrait alors, de nouveau, organiser des moments de communication réguliers pour sensibiliser le public.
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