Énergie : RTE investit des sommes colossales pour transporter de plus en plus d’électricité en France

Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité prévoit d'augmenter de 50% ses investissements au cours des 15 prochaines années pour accompagner la transition énergétique, marquée par une hausse de la consommation électrique dans l'industrie et l'essor des énergies renouvelables. RTE doit aussi renouveler des infrastructures vieillissantes, dont certaines datent des années 30. Dès cette année, il va investir quelque 2 milliard d'euros par an dans son réseau. Explications.
Juliette Raynal
(Crédits : Reuters)

Changement de pylônes, renouvellement des lignes électriques, enfouissement de certaines, installation de nouveaux postes électriques, renforcement des interconnexions en zones frontalières... Les Français doivent s'attendre, au cours des prochains mois et mêmes années, à voir de plus en plus de chantiers aux abords du réseau de transport d'électricité à haute tension. Son gestionnaire, RTE, prévoit en effet de mener des projets tous azimuts et d'augmenter de 50% ses investissements dans les quinze prochaines années pour accompagner la transition énergétique et renouveler les infrastructures vieillissantes.

Au total, une enveloppe de 33 milliards est prévue sur la période 2019-2035, mais le rythme d'investissements sera beaucoup plus élevé au cours des prochaines années. RTE passera ainsi d'1,3 milliard d'euros d'investissements en 2020 à un rythme de croisière de 2 milliards d'euros par an, dès 2022.

Sa mission consiste à garantir de l'électricité sûre et peu coûteuse à tout moment de la journée et à tous sur le territoire métropolitain continental. Il doit, pour cela, assurer en permanence un équilibre entre l'offre d'électricité et la demande.

Un réseau vieillissant

Trois facteurs l'obligent aujourd'hui à engager des investissements colossaux. D'abord, la vétusté de certaines infrastructures, dont les plus anciennes ont vu le jour dans les années 30, puis après la seconde guerre mondiale« Nous avons un mur de renouvellement à faire dans les années qui viennent. Jusqu'en 2020, nous remplaçions 300 km de câbles aériens par an. En 2020, nous en avons remplacés 500 km, en 2024 ce sera 600 km, puis 1.200 km en 2030 », indique Khalid Abdallaoui, directeur exécutif, en charge du développement et de l'ingénierie de RTE.

Même scénario pour les pylônes, dont l'acier noir avec lequel ils ont été construits il y a plusieurs décennies est de moins bonne qualité que les aciers galvanisés d'aujourd'hui. « Actuellement, nous en remplaçons 500 par an. Dans deux, trois ou quatre ans, nous en remplacerons environ 1.000 par an », projette Khalid Abdallaoui. La priorité sera donnée à ceux se trouvant en bord de mer ou dans des zones industrielles très polluées où la corrosion est plus forte.

Des nouvelles lignes pour décarboner l'industrie...

Outre ce renouvellement lié à la vétusté des installations, le réseau doit s'agrandir et se moderniser pour accompagner la décarbonation de l'économie, et en particulier de l'industrie, qui passe par une consommation d'électricité accrue.

En effet, si dans les années à venir la consommation énergétique globale de la France doit sensiblement baisser, la part de la consommation d'électricité (produite à partir d'énergie décarbonée comme le nucléaire, le solaire, l'éolien ou encore l'hydraulique), elle, est vouée à augmenter considérablement pour se substituer aux énergies fossiles.

Dans sa stratégie nationale bas carbone (SNBC), la France table ainsi sur une consommation énergétique globale d'environ 930 térawattheures (TWh) en 2050, contre près de 1.600 TWh actuellement. A cet horizon, l'électricité devrait représenter 55% de cette consommation d'énergie finale, contre 27% aujourd'hui.

L'industrie est l'un des pans de l'économie où la croissance de la consommation électrique devrait le plus accélérer, alors qu'elle reste aujourd'hui encore minoritaire par rapport au gaz, au pétrole et au charbon (36%, contre 51% pour les énergies fossiles). Les 250 grands sites industriels actuellement raccordés au réseau de RTE sont ainsi responsables de 10 à 15% des émissions de gaz à effet de serre en France.

Cependant, les projets d'électrification se multiplient sur le territoire. A eux seuls, ceux liés à la production d'hydrogène propre représentent déjà une demande de 6 gigawatts. A cela s'ajoute la construction à venir de plusieurs gigafactories, ces usines géantes dédiées à la fabrication de batteries pour véhicules électriques, de piles à combustible et d'électrolyseurs.

« Cela représente des puissances électriques majeures. On parle de plusieurs gigawatts. Cela va être un facteur très important de la restructuration du réseau de transport électrique », affirme Khalid Abdallaoui.

Dans son scénario de référence, RTE table ainsi sur une consommation de 180 TWh d'électricité pour le secteur industriel en 2050, contre 115 TWh aujourd'hui.

... et intégrer la part grandissante des énergies renouvelables

RTE doit également investir massivement pour intégrer à son réseau les énergies renouvelables. « La seule insertion des énergies renouvelables terrestres conduit à l'installation d'une centaine de nouveaux postes électriques d'ici à 2030 », précise Khalid Abdallaoui.

Ces investissements vont aller grandissants alors que l'objectif est de tripler la capacité éolienne et solaire en dix ans, et de la multiplier par cinq en 15 ans. Par ailleurs, l'ambition d'Emmanuel Macron de faire construire 50 parcs éoliens en mer (soit environ 40 gigawatts)  à l'horizon 2050, constitue un défi industriel majeur pour RTE. « Il faut réussir l'accostage de l'éolien en mer », rappelle Khalid Abdallaoui.

La part de plus en plus importante des énergies renouvelables dans le mix électrique (au moins 50% à l'horizon 2050) demande au réseau d'être beaucoup plus flexible afin de pouvoir gérer le caractère intermittent de ces sources d'énergie. En effet, avec le solaire et l'éolien, les pics de production ne correspondent pas systématiquement au pic de consommation. Les centrales solaires produisent ainsi beaucoup moins en soirée, à l'heure où les ménages utilisent de nombreux appareils électroménagers. Un des leviers de flexibilité du réseau repose sur les interconnexions. Elles permettent, à l'échelle européenne, de mieux mutualiser les capacités de production électrique, et notamment des énergies renouvelables.

« Dans le cadre de la transition énergétique, la France ambitionne de doubler sa capacité d'échange en 15 ans pour passer à environ 30 gigawatts à l'horizon 2035 », fait valoir Khalid Abdallaoui.

Doubler les capacités d'interconnexions avec nos voisins européens

Il s'agit ici de créer de nouvelles interconnexions ou de renforcer celles déjà existantes. Une nouvelle interconnexion entre la France et l'Italie via le tunnel de Fréjus devrait ainsi bientôt voir le jour. D'autres interconnexions sont prévues avec l'Irlande, l'Espagne et, à plus long terme, avec l'Angleterre. En parallèle, des interconnexions déjà existantes avec la Belgique et l'Espagne vont être renforcées grâce à des câbles « à faible dilatation », permettant de faire transiter plus d'énergie.

Ces interconnexions sont clefs pour la transition énergétique, mais aussi pour la souveraineté européenne, à l'heure où les livraisons de gaz russe vers les Vingt-Sept diminuent progressivement dans le contexte de la guerre en Ukraine.

« De nombreux projets d'interconnexions étaient en cours bien avant la crise ukrainienne. Depuis, aucun nouveau projet d'interconnexion n'a émergé mais, depuis, nous étudions avec nos voisins la possibilité de nouveaux projets. Ce qui est certain, c'est qu'il devient encore plus impérieux de réussir les projets existants dans les délais », précise le directeur exécutif, en charge du développement et de l'ingénierie.

Un impact "modéré" sur la facture des consommateurs

Quel impact auront l'ensemble de ces chantiers sur la facture des consommateurs ? « Pour le consommateur, l'impact devrait être plutôt modéré »rassure RTE. Aujourd'hui, le transport de l'électricité représente 8% de la facture finale du consommateur. « En 2035, on représentera toujours 8 à 10% de la facture », assure le gestionnaire, qui doit néanmoins, comme tous les acteurs économiques, faire face à la hausse du prix des matières premières.

« Nous travaillons beaucoup avec nos fournisseurs et prestataires de travaux pour maîtriser au maximum cette augmentation des coûts. Aujourd'hui, elle est modérée car nous travaillons sur des marchés passés il y a déjà quelque temps », rassure Khalid Abdallaoui.

Par ailleurs, pour minimiser les coûts pour la collectivité, RTE mise sur des solutions techniques permettant d'éviter de construire de nouvelles lignes électriques utiles seulement quelques heures par an. Il s'agit notamment de solutions numériques qui automatisent l'écrêtement des énergies renouvelables.

Concrètement, cela consiste à réduire ponctuellement et de manière automatique la production des centrales solaires et des parcs éoliens dans le cas d'un surplus de production électrique qui ne pourrait être transporté par le réseau, par exemple lors d'un pic de production au moment d'un épisode venteux. « Le fait de pouvoir écrêter 0,3% des énergies renouvelables (soit quelques dizaines d'heures par an) permet d'éviter 7 milliards d'euros d'investissements », fait valoir le chef de l'ingénierie.

Juliette Raynal

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Commentaires 4
à écrit le 29/06/2022 à 21:19
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En fait une conséquence prévisible du développement des énergies renouvelables intermittentes et aléatoires. Le réseau doit pouvoir encaisser les coûts de boutoir quand ces énergies produisent beaucoup (en particulier l'éolien) et ceci bien sûr même ...

à écrit le 28/06/2022 à 22:06
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Bonjour, Bon ils faut dire que EDF n'as pas vraiment entretenu les réseaux, donc RTE as du travail.... Bien sûr ils ne faut pas le dire... Maintenance, que l'électricité et le transport soit deux entités différents me semble plus logique, surtout ...

à écrit le 28/06/2022 à 16:39
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J'avais lu que les allemands devaient faire de même, la production provenant du nord (éolien en mer) et l'utilisation intensive étant plutôt au sud, associé à la vétusté aussi, les années passent. Ils sont en aluminium les câbles des pylônes ? Bon co...

à écrit le 28/06/2022 à 9:24
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L'acier d'avant moins bon que celui d'aujourd'hui? Ce n'est pas parce qu'il est galvanisé que l'acier d'aujourd'hui issu du recyclage est meilleur. Pour une bonne nuance d'acier il faut y mettre le prix. Ce n'est pas toujours la voie privilégiée.

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