Retraites : les syndicats de l’énergie galvanisés par le 49.3

Depuis les centrales électriques aux sites de stockage de gaz, en passant par les raffineries, les terminaux de GNL et les usines dédiées à la fabrication du combustible nucléaire, les délégués syndicaux observent un nouveau souffle dans la mobilisation contre la réforme des retraites. Ils prévoient de muscler et de multiplier leurs actions. Etat des lieux.
Juliette Raynal
(Crédits : Reuters)

« Le 49.3 a eu un effet catalyseur sur les personnels. Cela encourage le personnel à continuer d'exiger le retrait de cette réforme. Nous étions plus nombreux en assemblée générale ce matin. Il y a un regain de vitalité », témoigne, auprès de La Tribune, Virginie Neumayer, déléguée syndicale CGT Mines-Energie, depuis la centrale nucléaire de Tricastin (Drôme). « Le 49.3 a enflammé les bancs. Il est hors de question que cette loi soit appliquée. Notre mobilisation continue et même se renforce », abonde, Ben Frédéric, délégué syndical central CGT de Storengy, une filiale d'Engie spécialisée dans le stockage du gaz. « Les salariés ont haussé le ton », a, pour sa part, rapporté à l'AFP Eric Sellini, coordinateur CGT chez TotalEnergies.

Au lendemain du recours à l'article 49.3 par Elisabeth Borne pour faire adopter la réforme des retraites, les syndicats du monde de l'énergie apparaissent encore plus déterminés à faire barrage. Depuis le début du mouvement social contre cette réforme portée par le gouvernement, les syndicats du secteur sont particulièrement mobilisés. Car, au-delà du report de l'âge légal de départ à la retraite, les travailleurs des industries électriques et gazières (IEG) risquent de perdre leur régime spécial, leur permettant, dans certaines conditions, un départ anticipé à la retraite.

Lire aussiRetraites: après le 49.3, les syndicats veulent accentuer la pression, sur fond de manifestation spontanée devant l'Assemblée

Les terminaux GNL à l'arrêt, les stockages de gaz bloqués

Ainsi, les trois terminaux méthaniers situés à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) et à Saint-Nazaire opérés par Elengy, une filiale d'Engie, sont à l'arrêt depuis 11 jours. Le quatrième terminal français, situé à Dunkerque et opéré par Gaz Opale, est également à l'arrêt. Aucun navire n'accoste, aucun navire n'est déchargé et aucune goutte de gaz n'est injectée dans le réseau de transport gazier, géré par GRTgaz. Chez Elengy, le blocage a été acté jusqu'à mardi prochain.

Ces actions très ciblées constituent de puissants leviers aux mains des syndicats de l'énergie car les terminaux méthaniers sont devenus des outils industriels éminemment stratégiques pour la sécurité d'approvisionnement en gaz de la France depuis l'invasion russe de l'Ukraine il y a un an. Alors que l'Hexagone ne reçoit plus aucune molécule russe par pipeline depuis l'été dernier, le pays s'est largement tourné vers le GNL, essentiellement importé depuis les Etats-Unis. Les trois terminaux d'Elengy ont ainsi vu leur activité grimper en flèche (+70%) avec l'accueil de 330 navires méthaniers en 2022, ce qui correspond quasiment à l'arrivée d'un navire par jour.

Dans ce contexte, pour compenser l'absence d'approvisionnement en GNL, les 14 sites de stockage (12 opérés par Storengy et deux par Terega) doivent être sollicités à 100%. Ces sites sont remplis de gaz l'été, lorsque la demande est faible, pour pouvoir injecter du gaz sur le réseau l'hiver, lorsque la consommation augmente. Plus le débit de sous-tirage est fort, plus le volume de gaz alimentant le réseau est important.

Faire baisser la pression dans le réseau et couper l'alimentation des sites

Mais les sites de stockage de Storengy font, eux aussi, l'objet de blocages. Le plus grand stockage de gaz d'Europe, à Chémery (Loir-et-Cher), a été mis à l'arrêt vendredi. « Petit à petit, la sortie de gaz des sites de stockage vers le réseau de GRTgaz diminue », affirme Ben Frédéric. En pied de nez à l'usage du 49.3 par la Première ministre, les représentants CGT de Storengy souhaitent que la pression dans le réseau de transport de gaz passe à 49.3 bars, au lieu de 55 ou 65 bars. Ce qui pourrait conduire, dans certaines géographies, à couper l'alimentation des centrales électriques fonctionnant au gaz, voire à certains industriels. « Notre but n'est pas de couper le gaz aux particuliers. Nous ne sommes pas là non plus pour saboter l'outil d'autres salariés grévistes », insiste néanmoins Ben Frédéric. « Nous avons demandé à notre direction qu'elle mette en œuvre cette action pour que cela soit fait proprement, mais nous n'avons pas été entendus. Ce qui nous conduit à mener des opérations qui peuvent présenter un danger », explique-t-il.

Hier, certains grévistes ont ainsi coupé l'alimentation en électricité (20.000 volts) du site de stockage de Beynes (Yvelines). « Cette coupure d'électricité a mis à l'arrêt le site. Pendant plusieurs heures, aucun débit de gaz ne sortait pour alimenter le réseau », souligne le représentant syndical. Ce site « occupe une place stratégique pour l'approvisionnement en gaz naturel de l'Île-de-France et de la Normandie », précise Storengy sur son site Internet. Hier, une cinquantaine de puits, reliés aux sites de stockage, ont également été coupés selon les affirmations de la CGT. « Par puit, cela revient à se priver de 15.000 à 20.000 mètres cubes/heure de gaz », précise le délégué syndical. D'autres puits seront coupés au cours de la journée, ajoute-t-il. « Nous ne relevons pas d'impact sur la sécurité d'approvisionnement », assure, pour sa part, Storengy.

Le requièrement, « une atteinte au droit de grève », selon la CGT

En cas de risque sur la sécurité d'approvisionnement, GRTgaz, qui a la responsabilité d'équilibrer le système gazier en France, pourrait activer un requièrement de niveau 2, contraignant les salariés déclarés grévistes à assurer leurs fonctions. Storengy et Elengy ont, quant à elles, la possibilité d'activer un requièrement de niveau 1 pour assurer la sécurité des installations. « Il est systématiquement activé en cas de mouvement social », précise Elengy. Storengy y a également recours lors de mouvements sociaux avec préavis, indique la filiale.

« Toutes les personnes qui travaillent en 3x8 ou qui sont d'astreinte ne peuvent pas être au piquet de grève. C'est une atteinte au droit de grève », dénonce Ben Frédéric.

Du côté d'EDF, les grévistes poursuivent leurs actions sur les outils de production en procédant à des baisses de charge sur les centrales thermiques, hydrauliques et nucléaires. « Certains travaux sont également suspendus pour certaines tranches nucléaires et nous réalisons des piquets de grève filtrant aux abords des centrales », précise Virginie Neumayer. Les grévistes entendent multiplier les actions à l'échelle locale dès ce week-end, sans attendre la prochaine journée de mobilisation nationale prévue le jeudi 23 mars. Des blocages sont prévus sur le site de Tricastin (Drôme) tandis que certains grévistes viennent déjà en aide à leurs collègues de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) pour bloquer une écluse entravant l'arrivée des péniches sur le site pétrochimique de Feyzin, situé aux abords de Lyon. « Nous allons continuer à maintenir la pression et même l'amplifier. Il y a un regain de vitalité », assure Virginie Neumayer.

L'usine Malvesi d'Orano à l'arrêt

Le mouvement semble faire tache d'huile, puisqu'Orano, (ex-Areva), est désormais, lui aussi, concerné par des arrêts de production.

Le spécialiste tricolore du combustible nucléaire a confirmé à La Tribune que son usine Malvesi, située près de Narbonne (Aude) chargée de la conversion de l'uranium,  était à l'arrêt. « L'arrêt a été voté jusqu'à lundi », précise une source syndicale.

À la raffinerie TotalEnergies de Donge, la grève reconduite une semaine de plus

Le mouvement semble également se durcir dans les raffineries. À Donges (Loire-Atlantique), les salariés de TotalEnergies ont décidé de reconduire leur grève pour une semaine supplémentaire, jusqu'au vendredi 24 mars, rapporte l'AFP, alors que depuis le 7 mars dernier plus aucune goutte de carburant ne sort de cette raffinerie.

La raffinerie TotalEnergies de Normandie sera quant à elle arrêtée dès ce week-end. Les raffineries de La Mède et d'Esso à Fos-sur-Mer étaient également en grève aujourd'hui.

Dans ce mouvement de contestation, « le secteur de l'énergie constitue un levier qui fonctionne mieux que les autres, car il n'y a pas de marge de manœuvre [sur le système énergétique français, Ndlr] », observe un grand patron du secteur. Les syndicats « rajoutent de la pression à la pression ».

Juliette Raynal

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 8
à écrit le 18/03/2023 à 11:31
Signaler
Le chaos ajoute au chaos pour un chaos toujours plus grand qui ne profite jamais aux plus faibles qui en font en général les frais. Vous ne voulez pas de l'extrême droite et pourtant vous aurez une extrême droite en France qui appliquera strictement ...

à écrit le 17/03/2023 à 23:22
Signaler
Étonnant que vous vous étonniez … faut sortir de votre schéma personnel pour comprendre : Ça dépasse largement le sujet des retraites , la population majoritaire -qui travaillent dans. 3x8 et wk, qui se lève a 4-5h pour aller bosser, fait 3-5 de t...

à écrit le 17/03/2023 à 19:29
Signaler
Si le 49.3 rend illégitime la loi qu'il permet d'adopter, je demande l'abrogation de la CSG : elle a été adoptée par 49.3... Merci aux agités qui vont me faire faire beaucoup d'économies !

le 19/03/2023 à 11:49
Signaler
Le 49-3 est légitime par nature, il fait partie de la constitution de la Veme république, voulu par De Gaule. Il permet de débloquer l'obstruction qui a détruit le pays lors des républiques précédentes.

le 20/03/2023 à 13:57
Signaler
@officierfred : vous avez parfaitement raison. Le 49.3 est parfaitement légitime et bienvenu. Il faut s'extirper de cette pensée unique gauchiste qui prétend s'arroger le monopole bien-pensant d'une démocratie en réalité galvaudée, pour mieux nous im...

à écrit le 17/03/2023 à 19:05
Signaler
Emmanuel Macron a réussi un exploit historique , à célébrer longtemps dans les piquets de grêves: il a ressuscité à lui tout seul le syndicalisme moribond et l'a même rendu populaire pour la grande majorité des gueux. Le masque tombe: le prétendu va...

à écrit le 17/03/2023 à 18:39
Signaler
Etonnant de voir ces syndicats prôner l'anarchie et le non respect des institutions. Ils se prennent por ce qu'ils ne sont pas. Chacun à sa place.

le 17/03/2023 à 23:31
Signaler
Vous pouvez faire vos valises et rejoindre vos comptes offshore et Amis bolsonaro trump etc . Bon vent et aucun droit sociaux vous vous ferez vos places bas .

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.