Qu’est-ce que le « gaz vert », solution promise par les industriels ?

Exit le gaz fossile, place au « gaz vert » renouvelable, local et peu polluant : telle est la promesse des industriels du secteur, qui répètent à l’envi que les chaudières carburant aujourd’hui au gaz fossile fonctionneront demain grâce à la fermentation de matières agricoles et de déchets organiques. Qu’en est-il réellement ? La Tribune fait le point.
Marine Godelier
« Aujourd'hui, on compte 577 unités de méthanisation qui injectent dans le réseau, ce qui représente 10,3 térawattheures (TWh), sur un peu plus de 500 TWh au total », détaille à La Tribune l'association France Biométhane.
« Aujourd'hui, on compte 577 unités de méthanisation qui injectent dans le réseau, ce qui représente 10,3 térawattheures (TWh), sur un peu plus de 500 TWh au total », détaille à La Tribune l'association France Biométhane. (Crédits : iStock)

Le terme ne date pas d'hier, mais il est désormais bien difficile d'y échapper : si l'on en croit les industriels du secteur gazier, qui usent et abusent de l'expression dans leurs publicités, conférences et autres rencontres informelles, le « gaz vert » deviendra l'un des piliers du mix énergétique neutre en carbone de demain, en lieu et place de son équivalent fossile.

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Dans la bataille menée par la filière ces dernières semaines pour défendre les chaudières thermiques face à leur possible interdiction par le gouvernement, c'était en tout cas l'un des principaux arguments brandis. « Ce ne sont pas les chaudières qui sont fossiles mais le vecteur énergétique qui les alimente », a ainsi répété à l'envi le syndicat des professionnels du gaz dans le bâtiment, Coénove. En d'autres termes : inutile d'interdire cette installation, alors qu'elle carburera demain à l'énergie verte.

Le 27 juillet, ce lobby dirigé par l'ancien administrateur de l'Ademe et ex-député macroniste Jean-Charles Colas-Roy, a même demandé à ce que le terme de « chaudières fossiles » soit remplacé par « chaudières à combustibles fossiles »...voire « chaudières compatibles ENR [énergies renouvelables, ndlr] » ! Mais de quoi parle-t-on concrètement, et, au-delà des éléments de langage, les chaudières au gaz pourront-elles réellement se passer d'hydrocarbures à temps pour atteindre les objectifs climatiques ?

Une molécule récupérée sur le sol, plutôt qu'en-dessous

Pour l'heure, le « gaz vert » reste en réalité une notion floue. Celle-ci renvoie principalement au biométhane, ou biogaz, c'est-à-dire le produit de la fermentation de matières organiques issues notamment du milieu agricole (fumier, résidus de culture), mais aussi forestier, urbain (boues, restes alimentaires) ou industriel.

Rien à voir donc, en termes d'impact, avec le gaz « naturel » que l'on utilise aujourd'hui pour se chauffer, et qui résulte de l'exploitation d'hydrocarbures (autrement dit, la méthanisation d'éléments vivants enfouis depuis plusieurs millions d'années, et dont l'extraction par l'homme libère par là-même des gaz à effet de serre). Car le biogaz, lui, provient principalement de la transformation d'effluents agricoles ou de déchets de culture, incorporés dans de grosses cuves appelées « méthaniseurs ». Ainsi, selon GRDF, tandis que le gaz naturel émet 227 grammes de CO2 par kilowattheure sur l'ensemble de son cycle de vie, le biométhane n'en émet que 44 grammes.

Or, celui-ci peut répondre aux mêmes usages que ceux du gaz fossile (CH4), puisqu'il n'en diffère que par son origine. Ainsi, nul besoin d'adapter la chaudière, ni même le réseau pour en incorporer, contrairement à l'hydrogène, dont l'injection pose de sérieux défis. Cette solution paraît donc idéal sur le papier : produite localement, renouvelable, inscrite dans une économie circulaire et peu émettrice de gaz à effet de serre sur l'ensemble de son cycle de vie, une telle source d'énergie pourrait, a priori, répondre aux nouvelles exigences de « souveraineté énergétique » martelées par l'exécutif européen, tout en limitant les rejets de CO2.

Nouveau soutien des pouvoirs publics

Pourtant, celle-ci représente toujours une goutte d'eau dans l'océan fossile. Dans le détail, elle représentait 2% seulement du gaz injecté sur le réseau français l'année dernière, et moins d'1% de la consommation totale de gaz. « Aujourd'hui, on compte 577 unités de méthanisation qui injectent dans le réseau, ce qui représente 10,3 térawattheures (TWh), sur un peu plus de 500 TWh au total », détaille à La Tribune l'association France Biométhane. L'incorporation reste donc, pour l'heure, pour le moins marginale.

D'ailleurs, les objectifs fixés par les pouvoirs publics ont été revus à la baisse : la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) de 2020, en théorie toujours en vigueur, entend porter la part du gaz renouvelable dans la consommation totale de gaz dans l'Hexagone à 7% d'ici à 2030... alors que la loi de transition énergétique pour la croissance verte prévoyait en 2015 un objectif cible de 10% à ce même horizon. Un « signal très mauvais », regrettait en mai 2022 le directeur général du gestionnaire du réseau de transport de gaz Teréga (avec GRTgaz).

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Néanmoins, les lignes bougent et la nouvelle PPE prévue à l'automne pourrait bien tailler une place de choix au biométhane. En avril 2022 déjà, les industriels se réjouissaient de la publication d'un décret encadrant les certificats de production de biogaz (CPB) imposant aux fournisseurs de gaz une obligation de production de cette source d'énergie, annoncé dans la loi Climat et résilience.

Et ce n'est pas tout : il y a quelques semaines, la filière de méthanisation a reçu un soutien conséquent des pouvoirs publics, par le biais d'un ajustement des conditions d'application du tarif d'achat de biogaz. De quoi donner un nouveau souffle à la filière, qui a paradoxalement souffert de la flambée des prix de l'énergie en 2022, puisqu'un méthaniseur demande de l'électricité pour fonctionner.

« C'est une très bonne étape pour redémarrer la filière. Celle-ci a perdu un an et demi, à cause d'un changement dans le mécanisme de soutien à la production de biométhane. Mais on voit que l'histoire nous a donné raison », salue un géant du secteur ayant requis l'anonymat.

De leur côté, GRTGaz et Engie promettent même qu'il est possible de porter à 20% la part du biogaz dans le réseau de transport de gaz français à l'horizon 2030. Avant d'atteindre environ 130 TWh en France d'ici à la moitié du siècle, sur environ 250 TWh de gaz consommés à cette échéance, assure Engie.

Des questions en suspens

Néanmoins, un tel objectif interroge sur le modèle agricole souhaité à l'avenir. « Les intrants resteront à plus de 80% issus du monde agricole », explique-t-on chez France Biométhane. La production de biogaz pourrait donc reposer, en partie, sur l'élevage intensif, lui aussi source d'émissions de gaz à effet de serre, avec des fermes de plus en plus grosses afin de faciliter la récupération des effluents.

« Le gisement restera important, même en cas de baisse de l'élevage », répond-on chez France Biométhane.

Quid, par ailleurs, de la concurrence avec l'alimentation, alors que certaines cultures se voient déjà menacées par le dérèglement climatique ? En France, le code de l'environnement interdit déjà d'utiliser plus de 15% de cultures dédiées à la méthanisation afin d'éviter les conflits avec la demande alimentaire, mais les contrôles restent rares.

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De leur côté, France Biométhane et Engie militent pour que les agriculteurs puissent s'appuyer sur des « cultures intermédiaires à valorisation énergétique » (CIVEs) pour générer la précieuse molécule, c'est-à-dire implantées et récoltées entre deux cultures principales dans une rotation culturale. Les CIVE sont récoltées pour être utilisées en tant qu'intrant dans une unité de méthanisation agricole. « Cela ne prend pas de surface utile, et ne vient pas réduire la production alimentaire », assure-t-on chez France Biométhane.

Par ailleurs, des questions demeurent en suspens sur l'effet réel sur l'environnement des résidus de la fermentation, appelés « digestats ». En effet, la méthanisation produit, en plus du biogaz, cette matière solide, qui correspond en moyenne à 90% du tonnage entrant. Etant donné que celui-ci contient un engrais azoté qui peut être utilisé pour remplacer les engrais synthétiques minéraux issus des carburants fossiles, il est épandu sur les sols. Mais son impact sur la vie des sols reste sujet à controverse. D'autant que si l'épandage n'est pas réalisé dans des conditions optimales, il est en mesure de se volatiliser sous forme de gaz ammoniac, au fort potentiel de réchauffement global.

Prioriser les usages

Enfin, la filière reste floue sur la répartition concrète de cette molécule entre les différents usages. Alors que, pour Engie, la ressource ira en priorité au chauffage des bâtiments (et « très peu » dans la mobilité), le vecteur gaz est « appelé à prendre une place importante » dans les « besoins de carburants », estime la vice-Présidente du CLER, Madeleine Charru, dans une interview à Coénove publiée en 2018.

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D'autant que plusieurs secteurs ne disposent d'aucune alternative crédible, contrairement au chauffage des bâtiments. Notamment les compléments de production électrique via des centrales à gaz décarbonées, afin de pallier l'intermittence des énergies renouvelables, certains usages industriels de pointe, ou encore la mobilité lourde, l'aérien et le maritime en tête, où cette molécule pourrait se substituer au pétrole. Une chose est sûre : comme pour l'hydrogène bas carbone, il faudra bien prioriser les usages de biogaz. Autrement dit, renoncer à l'utiliser dans certains secteurs où d'autres solutions existent, alors que le gisement restera de toute façon limité.

Marine Godelier

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Commentaires 9
à écrit le 06/08/2023 à 8:12
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Il y a une ambiguïté, aussi bien dans la tête de nos ministres que dans l'article, qui rend la compréhension hasardeuse. La production de gaz "vert" par méthaniseur ne constitue pas (du tout) une limite à la disponibilité du gaz décarboné. Non seulem...

à écrit le 06/08/2023 à 8:01
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Une bonne idée mais entre les mains des pires aliénés donc avec des conséquences dramatiques et qui comme à leurs habitudes le seront exponentiellement.

à écrit le 05/08/2023 à 13:29
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"le biométhane n'en émet que 44 grammes." hé oui, fermenter génère également du CO2, c'est donc pas "parfait". Et ça nécessite de le séparer pour envoyer le méthane bio dans les tuyaux. On comprend que les gens de la filière y voient un eldorado et ...

à écrit le 05/08/2023 à 12:25
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Le gaz ça n'existe pas.

à écrit le 05/08/2023 à 8:56
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Ces installations sont vendues aux fermiers comme le nouvel eldorado. Très vite ceux ci vont se rendre compte qu'ils seront une fois de plus les dindons de la farce quand leur rétribution sera divisée par 2 ou 3. Et une fois de plus les campagnes se...

le 05/08/2023 à 11:02
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L'argument est recevable. Ce ne serait pas la première fois et le marché de l'énergie est un théâtre de pantalonnades plutôt tragiques. Il suffit de voir les restrictions punitives et inutiles qui affligent les installations solaires. Légalement parl...

le 05/08/2023 à 11:52
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" Très vite ceux ci vont se rendre compte qu'ils seront une fois de plus les dindons de la farce " Le drame est bien là, ils ne s'en rendent jamais compte.

à écrit le 04/08/2023 à 21:52
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On peut produire des millions de tonnes de gaz méthane à partir d'hydrogène et de CO2 en utilisant la "réaction de Sabatier". (voir Wikipedia)

à écrit le 04/08/2023 à 18:38
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Chaque évolution humaine possède son effet pervers particulièrement dans le secteur de l'énergie. Je remarque deux effets pervers pour ce gaz dit vert,: parfois des surfaces agricoles sont utilisées pour alimenter ces digesteur et c'est autant de sur...

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