
Alors que la France a commencé mardi soir à évacuer ses ressortissants du Niger à la suite du putsch orchestré la semaine dernière, le groupe français Orano maintient ses activités sur place. « Aujourd'hui, les activités opérationnelles se poursuivent », indique à La Tribune l'entreprise spécialiste du cycle du combustible nucléaire.
Au total, Orano emploie 900 salariés au Niger, dont 99% sont de nationalité nigérienne. La société travaille aussi avec 1.200 sous-traitants, presque exclusivement nigériens également. « La continuité des activités n'est donc pas liée à la présence des expatriés », précise l'entreprise, qui ajoute que la vigilance a été renforcée afin d'assurer la sécurité des collaborateurs et des sites. « Notre priorité est le maintien de la sécurité de nos collaborateurs dans le pays », assure le groupe.
« S'agissant des ressortissants étrangers, Orano est en liaison permanente et suit de près les consignes données par l'Ambassade visant à donner la possibilité aux collaborateurs expatriés qui le souhaitent de quitter le territoire nigérien. De l'ordre d'une dizaine de collaborateurs Orano sont concernés », indique l'entreprise, sans préciser toutefois si des collaborateurs ont déjà été rapatriés.
Trois sites, mais une seule mine en exploitation
Le groupe tricolore, détenu à 90% par l'Etat, est présent au Niger depuis plus de 50 ans à travers trois filiales de droit nigérien, qui correspondent à trois sites miniers dédiés à l'extraction d'uranium, le minerai qui fait carburer les réacteurs nucléaires. Il s'agit de la Compagnie des mines d'Akokan (Cominak), de la Société des mines de l'Aïr (Somaïr) et d'Imouraren. Toutes sont codétenues par l'Etat nigérien et se situent dans le nord-ouest désertique du pays, à proximité de la ville d'Arlit, à 800 kilomètres à vol d'oiseaux de Niamey, la capitale.
Actuellement, seule la mine à ciel ouvert de Somaïr est en exploitation. « Aujourd'hui, nous avons une vision de la production de la mine à un horizon de près de 10 à 15 ans », indique Orano. « Les investissements en termes de R&D, d'innovation et d'excellence opérationnelle nous permettent de mieux développer et de mieux connaître les gisements, ce qui permet d'étendre la durée d'exploitation », précise encore le groupe.
La production de la mine souterraine de Cominak a, elle, été arrêtée fin mars 2021. Mais Orano n'a pas déserté le site car il y mène encore des activités d'après-mine : des travaux de réaménagement et de surveillance environnementale doivent, en effet, se poursuivre jusqu'en 2033.
Cominak, une mine fermée à sécuriser
Enfin, sur le site d'Imouraren, la production n'a pas encore débutée. Souvent présenté comme la « mine du siècle » avec des réserves estimées à près de 200.000 tonnes d'uranium, il a été placé sous cocon en 2013, le temps que le groupe évalue la faisabilité d'une méthode d'extraction de l'uranium par pompage, rapporte un article du Monde. Ce procédé consiste à injecter de l'acide dans le sol avant de le pomper pour aspirer le minerai. Orano prévoit d'en tester les performances économiques et environnementales via deux projets pilotes, dont le premier est prévu en 2024. Une décision d'investissement est, elle, attendue en 2028.
Pour l'heure, aucun élément n'indique qu'Orano sera contraint de quitter le Niger. Toutefois, si le nouveau régime décidait de chasser le groupe français, cela pourrait avoir plusieurs conséquences. Les interrogations se sont multipliées au cours des derniers jours sur les potentiels risques pour l'approvisionnement en uranium de la France et de l'Union européenne en général (voir notre encadré en fin d'article), mais une autre catégorie de risque pourrait aussi se dessiner. Elle est liée aux travaux de réaménagement de la mine de Cominak.
« Si le nouveau régime chassait Orano, et si le site n'était ni repris par l'Etat nigérien, ni par un autre industriel, ces opérations de sécurisation seraient abandonnées et cela pourrait présenter un risque sanitaire et environnemental », pointe Tristan Kamin, ingénieur en sûreté nucléaire.
Cloisonner les nappes phréatiques
Orano travaille actuellement à cloisonner plusieurs nappes phréatiques traversée par une galerie. Si ces opérations étaient arrêtées, « l'eau utilisée par la population locale pourrait alors être contaminée par des nappes phréatiques qui baignent dans le gisement d'uranium », explique l'ingénieur.
La groupe tricolore doit aussi s'atteler à maîtriser les stériles et résidus miniers. Les premiers désignent les terres, sables ou roches ne contenant pas ou très peu de minerai d'uranium, mais qu'il faut cependant extraire pour accéder au minerai exploitable. Les seconds sont la partie du minerai finement broyée, résultant de la séparation de la roche et de l'uranium dans l'usine de traitement de minerai. Ils se présentent sous forme de sables fins argileux et contiennent encore 70 % de la radioactivité initiale.
« Ces résidus et stériles doivent être couverts pour maîtriser la vitesse à laquelle ils s'érodent et ainsi éviter que les poussières radioactives se disséminent plus rapidement que ce qui est acceptable ou que les eaux de pluie viennent se charger et aillent polluer une nappe phréatique », détaille Tristan Kamin. « Ces opérations sont très génériques et ne concernent pas particulièrement les mines d'uranium », précise l'ingénieur.
Des pertes économiques en cas de retrait
L'exposition de la population à ces dangers, s'ils se présentaient, pourrait par ailleurs être atténuée, note le spécialiste, dans la mesure où la ville voisine d'Arlit, construite spécialement pour l'exploitation des mines de Somaïr et de Cominak, pourrait se vider dans le sillage du départ hypothétique d'Orano.
« Cominak, société dont l'Etat du Niger est coactionnaire [à hauteur de 31%, ndlr], poursuit ses activités. Les salariés majoritairement nigériens assurent le réaménagement et le suivi environnemental du site industriel », assure aujourd'hui le groupe tricolore, contacté par La Tribune.
Un retrait contraint d'Orano se traduirait aussi par des pertes économiques pour le groupe, même si le poids du Niger a nettement diminué dans son mix de production d'uranium. En 2022, la production nigérienne d'uranium a représenté environ 14,5% du mix de production d'Orano, soit environ 1.200 tonnes sur un total de 8.200 tonnes environ. La même année, le groupe français a également produit 2.000 tonnes d'uranium au Kazakhstan et 5.000 tonnes au Canada. A titre de comparaison, en 2021, le Niger pesait pour 32% dans le mix de production d'Orano.
Si le Niger représente aujourd'hui un quart de l'approvisionnement des Vingt-Sept, la Commission européenne a estimé, mardi, qu'il n'y avait « pas de risque » et ce en raison des stocks déjà constitués. La question se pose spécifiquement pour la France et ses 54 réacteurs nucléaires dont la consommation en uranium enrichi correspond, en moyenne, chaque année à l'équivalent de 7.000 tonnes d'uranium naturel. Pas de risque de rupture d'approvisionnement non plus estime Teva Meyer, spécialiste en géopolitique du nucléaire. « L'uranium n'est ni le pétrole, ni le gaz dans la temporalité géopolitique : si une mine est à l'arrêt, cela n'a pas d'effet immédiat sur la consommation finale de combustible considérant les multiples étapes intermédiaires de transformation », explique-t-il sur Twitter. D'autant plus que la France dispose d'un stock conséquent pour son parc. « La loi exige l'équivalent de deux ans de stocks. Mais, en pratique, si l'on regarde l'inventaire de fin 2021, la France dispose de dix ans de stocks, composés à la fois de combustibles déjà assemblés, d'uranium déjà enrichi et d'uranium naturel non enrichi », détaille Tristan Kamin, ingénieur en sûreté nucléaire.Quid de l'approvisionnement en uranium de la France et de l'Union européenne en cas de rupture des liens ?
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