« Tout le monde est conscient de la nécessité de mener la décarbonation de nos activités et d'assurer l'approvisionnement en métaux critiques », assure Christian Mion à la Tribune, associé EY, spécialiste du secteur minier, invoquant la multiplication des catastrophes naturelles et l'envolée des primes de risque des compagnies d'assurances. Or cet approvisionnement dépend avant tout de la capacité du secteur minier à développer de nouvelles productions. « Il y a une augmentation des gisements découverts mais il faut rappeler qu'entre la recherche et la mise en exploitation, il faut compter entre 8 et 10 ans », rappelle l'expert. Cela représente un défi pour le secteur qui doit composer avec certaines difficultés.
L'ESG, une composante incontournable
Celles-ci sont classées dans la 15e édition annuelle du baromètre EY sur les risques et opportunités du secteur minier et métallurgique mondial, issue d'une enquête menée auprès de 300 responsables du secteur. Ainsi, pour la troisième année consécutive, les questions environnementales et sociétales arrivent en tête des préoccupations des professionnels. « L'ESG est devenue une composante incontournable dans les plans d'investissement et les stratégies des acteurs miniers », souligne l'étude. « Elle peut favoriser l'efficience minière, mais il faut aller plus vite, notamment en matière de réhabilitation du site », pointe Christian Mion, co-auteur de l'enquête. Le secteur, épinglé régulièrement par les associations de défense de l'environnement a conscience qu'il doit se justifier sur son activité en toute transparence, une communication nécessaire pour éviter le risque réputationnel. « Il est difficile d'avoir une bonne gouvernance par exemple dans certains pays d'Afrique en raison d'Etats défaillants et du manque d'infrastructures », souligne l'expert. Au delà de la persistance de l'ESG, cette 15e édition fait apparaître des évolutions.
Les conséquences de la guerre entre la Russie et l'Ukraine
Le secteur est aussi préoccupé par les risques géopolitiques, critère passé du quatrième au deuxième rang. Si évidemment la guerre menée par la Russie en Ukraine et ses conséquences ont modifié la perception des acteurs miniers, les deux pays étant des acteurs majeurs du secteur, il y a d'autres tensions, notamment la compétition exacerbée entre les Etats-Unis et la Chine, en particulier sur la sécurisation des approvisionnements en métaux stratégiques qui s'inscrit dans une concurrence internationale. Il faut également ajouter les élections chez certains pays producteurs qui peuvent conduire à favoriser un nationalisme des matières premières, à l'exemple du Chili où le nouveau président a décidé de nationaliser la production du lithium. «Aujourd'hui, le contexte géopolitique est difficile selon les continents. L'Afrique, continent riche en ressources minérales, est regardé de près, mais il est relativement mal approché», remarque l'expert minier d'EY, qui rappelle le risque d'avoir des exploitations minières dans des zones d'affrontement.
Si le risque climatique rétrograde de la deuxième à la troisième position, il reste un critère majeur d'adaptation du secteur car il va contraindre les compagnies minières à intégrer la décarbonation de leurs activités en visant l'objectif de la neutralité carbone à l'horizon 2050. Cela passe par l'électrification des engins ou encore la production d'une énergie « verte » sur les sites d'extraction, ce qui pourrait renchérir les coûts de production.
Ce dernier critère, avec la compétitivité, bondit d'ailleurs de la dixième à la cinquième place. La hausse rapide des taux décidée par les banques centrales, en particulier la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne (BCE), qui rend le coût du capital plus élevé, dans un contexte d'inflation généralisée, peut mener à retarder le lancement des projets.
La baisse des cours des métaux est conjoncturelle
Cet aspect financier est d'autant plus important pour les investissements que les cours des métaux ont reflué ces derniers mois pour des raisons conjoncturelles, notamment le ralentissement de l'économie mondiale. Ainsi, sur un an, le cours du lithium est en baisse de 70%, celui du cobalt de 36%, celui du nickel de 20%, quant à ceux du cuivre et de l'acier, ils sont restés stables. Cela va-t-il durer ? « Les métaux sont entrés dans un cycle structurel haussier long, même si les cours fluctuent plus ou moins, mais sur les quinze prochaines années la tendance sera structurellement haussière », assure Christian Mion. L'appréciation des cours est déterminante pour assurer l'ouverture de nouvelles mines et leur rentabilité.
Autre enseignement du baromètre de cette année, en se hissant au sixième rang, « la perturbation des approvisionnements fait son entrée pour la première fois dans le classement des risques et opportunités du secteur minier ». « L'impact de la pandémie de Covid-19, de la guerre en Ukraine, de la hausse des prix de l'énergie et les défis de la logistique et du fret expliquent en grande partie ce risque », indique l'étude. La compétition entre pays producteurs et consommateurs pourrait également conduire à certaines restrictions. Ainsi, l'Indonésie a décidé de suspendre ses exportations de nickel et d'autres métaux pour alimenter sa production locale et remonter dans la chaîne de valeur minière, avec par exemple la production de batteries pour véhicules électriques.
Le manque de main d'œuvre s'accentue
Autre crainte, la main d'œuvre, qui passe du 8e au 7e rang. « Il est difficile de trouver du personnel qualifié pour le secteur minier. Localement, il n'y en a pas et en faire venir d'ailleurs est de plus en plus difficile, notamment en Afrique », constate Christian Mion. Le secteur doit en effet faire face à des départs massifs à la retraite, ou encore à des démissions. Un bon exemple est l'Australie, pays minier par excellence, où « le secteur compte plus de postes vacants aujourd'hui qu'à n'importe quel moment de son histoire », souligne le baromètre, qui rappelle qu'en mai 2022, 36.000 emplois étaient à pourvoir dans le secteur minier américain contre 27.000 un an auparavant.
Pour autant, malgré les risques hiérarchisés par le baromètre EY, « les groupes miniers s'adaptent, c'est dans leur ADN », juge Christian Mion, rappelant qu'aujourd'hui « c'est le secteur qui prend le mieux en compte les risques et les aléas climatiques ». Un secteur qui reste encore largement méconnu du grand public, notamment dans les économies développées, mais qui dans l'économie de demain sera aussi important que celui des hydrocarbures dans celle d'hier et d'aujourd'hui.
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